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Croissance, cycles et crises

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lundi 23 octobre 2023

La Chine peut-elle rattraper la Grèce ?

« Le dirigeant de la Chine, Xi Jinping, a récemment évoqué l’objectif d’atteindre le revenu par tête d’un "pays développé de niveau intermédiaire d’ici 2035". Cet objectif peut-il être atteint ? Pas d’après nous. Le maintien d’une croissance rapide fait face à des vents contraires de plus en plus puissants, allant du vieillissement démographique et des rendements d’échelle décroissants aux limites du modèle de croissance chinois centré sur l’investissement. D’autres obstacles à la croissance semblent se dresser, notamment un tournant vers une gestion publique plus étroite de l’économie, l'aggravation des problèmes du crédit dans l’immobilier et d’autres secteurs et les limites de l’accès aux technologies étrangères clés. Même sous des hypothèses optimistes concernant les fondamentaux de la croissance future, la Chine ne semble à même de refermer qu’une fraction de l’écart avec les pays à haut revenu au cours des prochaines années.

Une déplaisante arithmétique de croissance


Il n’est pas clair quant à savoir quel groupe de pays Xi avait précisément en tête en se référant aux pays développés, mais il se pourrait que ce soit ceux classifiés comme "économies avancées" par le FMI. Ce groupe de pays inclut 32 économies, avec des revenus par tête allant en 2022 de 36.900 dollars (la Grèce) à 127.600 dollars (Singapour) mesurés en parités de pouvoir d’achat. (La conversion des revenus en dollars PPA corrige les différences en termes de coût de la vie entre les pays.) Nous définissons par "niveau intermédiaire" le 25ème centile de ce groupe, correspondant au revenu par tête de 49.300 dollars.

La Chine est actuellement un pays à revenu intermédiaire, avec un revenu par tête de 21.400 dollars, la plaçant juste au-dessus du 60ème centile de la répartition mondiale des revenus. La Chine a encore un long chemin à parcourir pour atteindre notre seuil de revenu. Le revenu par tête devrait être multiplié par 2,3, ce qui correspond à un maintien du taux de croissance à 6,6 % pour atteindre ce seuil d’ici 2035. La croissance annuelle du revenu devrait être de 4,3 % pour atteindre le niveau actuel de la Grèce cette année-là.

Un regard sur l’histoire montre le défi colossal que représente ce rattrapage. Des quarante-trois pays qui avaient en 2009 le niveau de revenu actuel de la Chine, aucun n’a réussi à atteindre le taux de croissance nécessaire pour pousser la Chine au 25ème centile de l’économie avancée au cours des treize années suivantes (cf. graphique ci-dessous). En effet, le taux de croissance médian du revenu de ce groupe a été de 3,1 %, avec seulement cinq pays ayant connu une croissance supérieure à 4 %. Et pour les vingt-quatre pays avec des revenus supérieurs à 49.300 dollars, cela prit en moyenne 32 ans atteindre ce niveau depuis le niveau de revenu actuel de la Chine. Seulement deux pays y sont parvenus en moins de 20 ans.

GRAPHIQUE Croissance annuelle moyenne du revenu par tête les 13 années après avoir atteint le niveau de la Chine en 2022 (en %)

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Un optimiste à propos de la croissance chinoise ne manquerait sans doute pas de rappeler que la trajectoire de croissance de la Chine a été particulièrement robuste depuis que les réformes de marchés furent entreprises au début des années 1980. La croissance du revenu par tête attint 6,5 % de 2009 à 2022 et elle fut même encore plus rapide les décennies antérieures (9,4 % entre 1996 et 2009, 8,8 % entre 1983 et 1996). La Chine a même été le moteur de la croissance du revenu mondial durant les trois périodes.

La performance passée de croissance chinoise est en effet impressionnante. Pour autant, les données officielles montrent que la croissance tendancielle du revenu a ralenti depuis le milieu des années 2000 (cf. la ligne bleue sur le graphique ci-dessous, qui montre les taux de croissance sur cinq ans). Les objectifs de revenu des autorités impliquent d’inverser ou, du moins, de stopper cette tendance. (...)

GRAPHIQUE Taux de croissance du revenu par tête chinois (moyenne mobile sur cinq ans, en %)

Clark_Higgins__Chine_croissance_revenu_par_tete_statistiques_officielles_Penn_World_Table.png

En outre, ces chiffres prennent les statistiques officielles de la croissance chinoise comme argent comptant. Cela fait longtemps que l’exactitude des statistiques chinoises fait l’objet d’un profond scepticisme (…) et beaucoup d’analystes croient que la croissance a été systématiquement surestimée. L’économiste Harry Wu a accrédité cette idée et proposé plusieurs ajustements aux données officielles. Ces ajustements servent de base pour des séries alternatives publiées dans des bases de données internationales comme la Penn World Table (…). La croissance du revenu de la Chine est restée exceptionnelle même selon ces ajustements, la plaçant dans le décile supérieur de la distribution mondiale au cours de chacune des trois récentes périodes de treize ans. Mais ces données montrent que la croissance a déjà ralenti à "seulement" 4,4 % de 2009 à 2022 (à peine assez rapide pour permettre d’accéder au bas du classement des pays avancés d’ici 2035) et à un rythme encore plus lent au cours des cinq dernières années (la ligne rouge sur le graphique ci-dessous).

Le débat sur le vrai taux de croissance de la Chine n’est pas clos. Heureusement, nous n’avons pas à le trancher. Comme nous allons le voir, un examen des sources de la croissance chinoise suggère que celle-ci va chuter sous nos valeurs de référence même si les données officielles sont correctes.

Les leçons du modèle de croissance néoclassique


Le modèle de croissance néoclassique standard fournit un cadre utile pour évaluer les perspectives de croissance de la Chine. Selon ce modèle, la croissance économique provient essentiellement de deux sources : l’accumulation des facteurs travail et capital et le progrès technique. Les contributions du travail et du capital à la croissance sont égales aux taux de croissance de ces facteurs, pondérés par leurs parts dans la valeur de la production. La contribution de la technologie à la croissance (la "productivité globale des facteurs", soit PGF) est calculée comme un résidu, comme la hausse de la production qui n’est pas expliquée par l’accumulation des facteurs.

Une perspective néoclassique révèle deux contraintes fondamentales sur la trajectoire future de la croissance chinoise. Le facteur travail est susceptible de décliner sous le poids du vieillissement de la population. Selon les projections des Nations unies, la population en âge de travailler (c’est-à-dire âgée de 20 à 64 ans) va chuter de 6 % d’ici 2035. En principe, les hausses du taux d’activité ou du nombre d’heures par travailleur pourraient compenser une partie du déclin de la population en âge de travailler. Mais ces deux variables atteignent déjà des niveaux élevés en Chine.

La part élevée de l’investissement dans le PIB chinois (régulièrement supérieure à 40 % depuis le milieu des années 2000) a soutenu une accumulation rapide du stock de capital du pays. En effet, le ratio capital sur production de la Chine est maintenant l’un des plus élevés au monde en termes de PPA. Mais l’accumulation du capital est sujette à des rendements décroissants : une hausse donnée contribue de moins en moins à la croissance à mesure que le capital est de plus en plus abondant. En outre, comme le stock de capital augmente relativement à la production, une part plus élevée des nouveaux investissements doit compenser la dépréciation du stock existant. L’impact des rendements décroissants est déjà manifeste. Selon nos estimations, une hausse du facteur capital a contribué à la croissance du PIB à hauteur de 3,4 points de pourcentage en moyenne entre 2018 et 2022, contre 4,3 points de pourcentage entre 2013 et 2017.

Dans un précédent travail base sur le cadre néoclassique, nous avons conclu que la contribution du capital à la croissance va continuer de baisser ces prochaines années, même sous des hypothèses optimistes. Des projections actualisées avec de nouvelles données renforcent cette conclusion, impliquant une contribution de 1,4-1,9 points de pourcentage pour la période allant jusqu’à 2035. (…) En somme, nous nous attendons à ce que la baisse des contributions du travail et du capital maintienne la croissance du revenu en-deçà de 4 % s’il n’y a pas en parallèle d’accélération de la croissance de la PGF.

Une hausse de la croissance de la PGF semble toutefois improbable, puisque la croissance de la productivité en Chine est déjà assez élevée, s’élevant en moyenne 1,8 % depuis 2009. Seulement cinq des quarante-trois pays qui avaient atteint le niveau de revenu actuel de la Chine par le passé ont connu une croissance de la PGF aussi élevée au cours des treize années suivantes (cf. graphique ci-dessous). Aucun n’a réussi à avoir un rythme supérieur de quelques dixièmes de points de pourcentage. En résumé, la Chine devra connaître une croissance de la PGF qui n’a jamais eu de précédent par le passé afin d’atteindre ses objectifs de revenu. En outre, ces estimations supposent que les chiffres officiels de croissance soient exacts. Si les taux de croissance plus faibles que rapportent les travaux de Wu s’avèrent corrects, la croissance de la PGF a déjà chuté à environ zéro.

GRAPHIQUE Croissance annuelle moyenne de la PGF au cours des 13 années après avoir atteint le niveau de revenu actuel de la Chine (en %)

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Des vents contraires structurels


Selon nous, une combinaison de vents contraires structurels, certains anciens et d’autres émergents, va empêcher la Chine de maintenir sa performance de productivité passée, encore moins de la dépasser. Les vents contraires anciens ont été largement évoqués ailleurs, notamment dans nos propres travaux, et nous nous contentons de les lister ici : la gestion de l’économie par un Etat omniprésent et le Parti communiste, une tendance qui s’est accentuée sous la présidence de Xi ; un retard institutionnel, qui se reflète par exemple par les faibles scores en ce qui concerne des indicateurs basés sur les enquêtes tels que les indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale ; le besoin de rééquilibrer l’économie de façon à la rendre moins dépendante de l’investissement et à ce que la croissance soit davantage tirée par la consommation ; les dettes élevées du secteur privé et du gouvernement, accumulés pour financer la croissance tirée par l’investissement.

De nouveaux vents contraires ont émergé pour s’ajouter aux anciens. La croissance chinoise a longtemps été dépendante de l’activité du secteur immobilier. (Selon certains indicateurs, l’immobilier contribue à un quart de l’activité économique.) Les autorités chinoises ont par le passé relâché ou resserré le crédit et la réglementation du secteur de façon à lisser les fluctuations de la croissance du PIB. Cependant, l’activité immobilière réelle connaît depuis deux ans un déclin, a priori insensible aux efforts des autorités pour soutenir l’activité.

Les difficultés actuelles du secteur de l’immobilier illustrent le défi plus large que constitue la réorientation de la croissance vers un modèle moins centré sur le crédit et l’investissement. Mais ces difficultés ont leur propre dynamique. L’abandon d’une croissance tirée par l’investissement va entraîner une réallocation substantielle des dépenses publiques de l’investissement vers la consommation et le versement de revenus de transfert aux ménages. En même temps, les déficits publics et la dette publique sont déjà très importants. Un tel changement dans les priorités de dépenses publiques va s’opérer alors même que devra être traitée la question politiquement épineuse de la restructuration de la dette publique.

Un deuxième vent contraire émergent tient à la tendance à la relocalisation et à l’atténuation des risques (derisking) des partenaires commerciaux de la Chine. La pandémie a révélé la fragilité des chaînes de valeur internationales, centrées sur la Chine. En outre, les tensions géopolitiques entre la Chine et ses principaux partenaires commerciaux se sont accentuées au cours des dernières années. Ces forces ont conduit à l’adoption de mesures visant à rapprocher les chaînes de valeur et, même si celles-ci restent internationales, à délocaliser dans des pays avec lesquels les relations sont moins conflictuelles ; des politiques que les responsables américains et européens ont qualifiées d’"atténuation des risques" (derisking).

En outre, l’exacerbation des tensions géopolitiques a poussé les Etats-Unis et leurs partenaires à limiter davantage l’accès de la Chine aux technologies étrangères critiques. Par exemple, en octobre dernier, le gouvernement américain a adopté de nouveaux contrôles des exportations qui ont bloqué l’accès de la Chine aux technologies clés pour la production ou l’acquisition des circuits intégrés de pointe ou même des produits contenant de tels circuits intégrés. Cette action américaine a ensuite été rejointe par des partenaires majeurs, notamment le Japon et les Pays-Bas. Ces contrôles sont conçus de façon à ramener les technologies de fabrication de puces chinoises aux niveaux antérieurs à 2014. Plus récemment, les Etats-Unis ont adopté un décret qui place les restrictions ciblées sur certains investissements des entités américaines en Chine. (…) »

Hunter L. Clark & Matthew Higgins, « Can China catch up with Greece? », Federal Reserve Bank of New York, Liberty Street, 19 octobre 2023. Traduit par Martin Anota



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« Anatomie de la croissance chinoise »

« La Chine rencontre Solow. Autour de l'épuisement du modèle de croissance chinois »

« Le boom immobilier chinois est-il soutenable ? »

« Où en est le rééquilibrage de l’économie chinoise ?

« Surestime-t-on la croissance chinoise ? »

mercredi 23 août 2023

A quel point la crise chinoise est-elle inquiétante ?

« Les difficultés économiques des années post-pandémiques ont entraîné d’intenses débats intellectuels et politiques. Une chose sur laquelle presque tout le monde, cependant, s’accorde est que la crise post-Covid a peu de ressemblances avec la crise financière mondiale de 2008. Pour autant, la Chine (la plus grosse ou la deuxième plus grosse économie au monde, selon votre façon de mesurer sa taille) semble être au bord d’une crise qui ressemble beaucoup à ce que le reste du monde a connu en 2008.

Je n'ai pas de connaissances suffisamment précises de la Chine pour juger si elle va réussir à contenir son moment Minsky, l’instant auquel tout le monde prend soudainement conscience que la dette insoutenable s’avère effectivement insoutenable. En fait, je ne suis pas sûr que quelqu’un (même parmi les responsables chinois) sache répondre à cette question.

Mais je pense que nous pouvons répondre à une question plus conditionnelle : si la Chine avait une crise semblable à celle de 2008, celle-ci se répercuterait-elle violemment au reste du monde, en particulier aux Etats-Unis ? Et la réponse est clairement négative. Aussi grosse que l’économie chinoise, l’économie américaine a peu d’exposition financière ou commerciale aux problèmes de la Chine.

Avant d’arriver à cette conclusion, parlons des raisons pour lesquelles la Chine en 2023 ressemble aux économies de l’Atlantique Nord (c’est-à-dire la fois les Etats-Unis et l’Europe) en 2008.

La crise de 2008 a été provoquée par l’éclatement d’une ample bulle immobilière des deux côtés de l’Atlantique. Les effets de l’éclatement de la bulle ont été amplifiés par des perturbations financières, en particulier l’effondrement du système bancaire parallèle (shadow banks), des institutions qui agissent comme les banques, qui subissent le risque de connaître l’équivalent de ruées bancaires, mais qui n’étaient pas régulées et qui manquaient du filet de sécurité fourni aux banques conventionnelles.

Aujourd’hui, la Chine a un secteur immobilier encore plus gonflé que celui des nations occidentales à la veille de 2008. La Chine a aussi un secteur bancaire parallèle très important et en difficulté. Et elle a des problèmes qui lui sont spécifiques, notamment d’importantes dettes détenues par les gouvernements locaux.

La bonne nouvelle est que la Chine n’est ni comme l’Argentine, ni comme la Grèce, des nations qui possédaient d’importantes dettes vis-à-vis des créanciers étrangers. La dette en question est essentiellement de l’argent que la Chine doit à elle-même. Et il doit être en principe possible pour le gouvernement national de résoudre la crise via une certaine combinaison de renflouements des débiteurs et de décotes pour les créanciers.

Mais le gouvernement chinois est-il assez compétent pour gérer le genre de restructuration financière dont son économie a besoin ? Les responsables chinois ont-ils assez de détermination ou de clarté intellectuelle pour faire ce qui doit être fait ? Je m’inquiète tout particulièrement à propos du dernier point. La Chine doit remplacer un investissement immobilier insoutenable par une plus forte demande des consommateurs. Mais certaines informations suggèrent que les hauts responsables restent méfiants quant au "gâchis" que représentent pour eux les dépenses des ménages et rechignent à l’idée de "donner plus d’autonomie aux individus pour qu’ils prennent plus de décisions par eux-mêmes sur la façon de dépenser leur argent". Et il n’est pas rassurant de voir que les responsables chinois répondent à la crise potentielle en poussant les banques à prêter plus, fondamentalement en continuant sur le sentier qui a amené la Chine où elle se trouve à présent.

Donc la Chine pourrait avoir une crise. Si c’est le cas, comment nous affectera-t-elle ? La réponse, autant que je sache, est que l’exposition des Etats-Unis à une potentielle crise chinoise est étonnamment faible. Combien les Etats-Unis ont-ils investi en Chine ? L’investissement direct (l’investissement qui implique un contrôle) en Chine et à Hong Kong est d’environ 215 milliards de dollars. L’investissement de portefeuilles (essentiellement sous la forme d’actions et d’obligations) est d’un montant un peu supérieur à 300 milliards de dollars. Donc, nous parlons d’environ 515 milliards de dollars au total. Cela peut sembler être un gros chiffre, mais pour une économie aussi grosse que celle des Etats-Unis, il est faible. Voici une comparaison. Aujourd’hui, il y a plusieurs inquiétudes à propos de l’immobilier commercial américain, en particulier les bâtiments de bureaux, qui font probablement face à une réduction permanente de la demande avec l’essor du télétravail. Eh bien, les bâtiments de bureaux représentent actuellement environ 2.600 milliards de dollars, soit environ cinq fois plus que l’investissement américain en Chine.

Pourquoi est-ce qu’une grosse économie a si peu attiré l’investissement américain ? Fondamentalement, selon moi, parce qu’étant donné l’arbitraire de la politique chinoise, beaucoup de potentiels investisseurs craignent que la Chine puisse être comme un piège à insectes : vous pouvez y entrer, mais pas en sortir.

Que dire de la Chine en tant que marché ? La Chine est un gros acteur dans le commerce international, mais elle n’achète pas beaucoup aux Etats-Unis, l’équivalent de 150 milliards de dollars en 2022, soit moins de 1 % du PIB américain. Donc un effondrement chinois n’aurait pas beaucoup d’effet direct sur la demande de produits américains. L’effet sera plus large pour les pays qui vendent beaucoup à la Chine, comme l’Allemagne et le Japon, et il pourrait y avoir un effet ricochet sur les Etats-Unis via les ventes de ces pays. Mais l’effet global serait toujours faible. Une crise économique chinoise pourrait même avoir un petit effet positif sur les Etats-Unis, parce qu’elle réduirait la demande de produits de base, en particulier le pétrole, ce qui pourrait réduire l’inflation.

Rien de cela ne signifie que nous devrions considérer comme bienvenue la possibilité d’une crise chinoise ou jubiler à l’idée que la Chine puisse connaître des difficultés. (…) Nous devrions nous inquiéter à propos de ce que le régime chinois pourrait faire pour détourner ses citoyens des problèmes domestiques. Mais en termes économiques, nous pourrions penser qu’une potentielle crise chinoise ne serait pas un événement mondial comme la crise de 2008. »

Paul Krugman, How scary Is China’s crisis? », 21 août 2023. Traduit par Martin Anota



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« Quel serait l’impact d’un ralentissement de la croissance chinoise sur le reste du monde ? »

« Quelles seraient les répercussions internationales d’un atterrissage brutal de l’économie chinoise ? »

« Le boom immobilier chinois est-il soutenable ? »

« Où en est le rééquilibrage de l’économie chinoise ?

vendredi 13 janvier 2023

Le ralentissement de la croissance en Europe

« Je pense depuis un certain temps à faire ce que je propose dans ce billet. En bref, j’aimerais faire pour le ralentissement de la croissance en Europe le même exercice de comptabilité que j’ai fait pour les Etats-Unis dans mon livre Fully Grown. (…)

Pour les Etats-Unis, j’ai distingué entre un vingtième siècle marqué par une croissance relativement rapide et un vingt-et-unième siècle marqué par une faible croissance. Le PIB par tête aux Etats-Unis a augmenté à environ 2,25 % par an au vingtième siècle et à environ 1 % par an au vingt-et-unième siècle. Ce ralentissement semble s’être amorcé avant la crise financière mondiale, en l’occurrence à un certain instant autour de l’année 2000.

Est-ce la même chose pour l’Europe ? Fondamentalement, oui. (…) Commençons en regardant les Etats-Unis et la France. Dans le graphique ci-dessous, j’ai représenté le taux de croissance annualisé sur dix ans pour chaque année. Par exemple, en 2000, le graphique indique le taux de croissance entre 1990 et 2000. Les Etats-Unis ont connu une croissance juste supérieure à 2 % tout au long du vingtième siècle, avec un pic de croissance à la fin des années 1960 et au début des années 1970, mais ensuite le ralentissement s’amorce malgré la période 1998-2008. Il y a eu une accélération de la croissance en 2009-2019, en partie parce que le début de cette période correspond à la crise financière.

GRAPHIQUE 1 Taux de croissance sur 10 ans du PIB par tête des Etats-Unis et de la France (en %)

Dietrich_Vollrath__taux_croissance_PIB_par_tete_France_Etats-Unis.png

Et à propos de la France ? Les choses semblent légèrement différentes au cours des premières années. Entre 1960 et 1980, le taux de croissance a généralement été supérieur à celui des Etats-Unis, à environ 4 % par an. Et souvenez-vous qu’il s’agit de la croissance du PIB par tête, donc que le taux de croissance du PIB a été encore plus élevé. Après 1980, la France ressemble beaucoup aux Etats-Unis, avec une croissance d’environ 2 % jusqu’au début des années 2000 et, ensuite, elle a connu un ralentissement de la croissance dans des proportions similaires. (...)

Convergence versus ralentissement


Retournons à la France. Il y a deux ralentissements différents sur le graphique. Il y a le ralentissement entre 1970 et 1980, puis il y a le ralentissement entre 2000 et 2010. Comme dans mon livre Fully Grown, je ne m’intéresse qu’au second ralentissement. Le premier ralentissement est fondamentalement le mouvement de convergence de la France à son sentier de croissance équilibrée après la Seconde Guerre mondiale. Ce premier ralentissement de la croissance est, selon moi, presque entièrement explicable en termes de dynamique à la modèle de Solow. C’est une croissance de rattrapage, équivalente au fait de courir un peu plus vite que les autres pendant un petit moment parce que vous vous êtes arrêté pour refaire vos lacets. Une fois que vous avez rattrapé votre groupe, vous ralentissez naturellement jusqu'à vous caler à son rythme régulier.

Pour l’Europe en général, nous avons la même histoire. Le deuxième graphique est le même que le premier, mais avec des pays en plus. Le choix des pays est quelque peu arbitraire, mais en furetant dans les données je n’ai pas trouvé de différence substantielle. Il y a en général eu une période de croissance rapide au début (entre 1960 et 1980), reflétant la convergence, une croissance régulière à environ 2 % par an entre 1980 et 2000, et ensuite un ralentissement notable de la croissance. C’est sur ce dernier que ce billet porte. (…)

GRAPHIQUE 2 Taux de croissance sur 10 ans du PIB par tête des Etats-Unis et d'une sélection de pays européens (en %)

Dietrich_Vollrath__taux_croissance_PIB_par_tete_pays_europeens_Etats-Unis_convergence.png

Si vous regardez le graphique, vous allez noter quelques différences par rapport à la France :

  • Le Royaume-Uni n’a pas le même taux de croissance de rattrapage entre 1960 et 1980. Cela ressemble aux Etats-Unis, avec une croissance d’environ 2 % entre 1960 et 2000.

  • L’Allemagne et l’Italie n’ont pas une période distincte de croissance régulière entre 1980 et 2000. Toutes les deux ont une croissance relativement élevée autour de 1960 et ensuite celle-ci décline continûment jusqu’au début des années 2000. L’Italie a une chute distincte dans son taux de croissance, similaire à la France, mais l’Allemagne ralentit moins vite. Mon hypothèse est que l’Allemagne et l’Italie ne sont fondamentalement pas différentes des autres, mais qu’elles n’ont juste pas eu le même ralentissement de la croissance à la fin du vingtième siècle.

  • L’Espagne et les Pays-Bas ont eu des rebonds distincts autour de 1980 dans leurs taux de croissance, en croissant à un rythme élevé de 2,7-3 % par an pour l’essentiel des années 1990, avant le ralentissement du début des années 2000. A nouveau, je ne suppose pas que cela reflète un mécanisme vraiment différent, mais il va y avoir des différences intéressantes dans l’exercice de comptabilité.



Décomposons cela !


L’essentiel des pays d’Europe occidentale a connu un ralentissement de la croissance similaire à celui qu’ont connu les Etats-Unis à partir du début des années 2000. Comme je l’ai fait dans Fully Grown, je vais comptabiliser les sources de ce ralentissement de la croissance en distinguant les contributions suivantes : l’accumulation du capital physique, l’accumulation du capital humain et la croissance de la productivité.

Pour rafraichir votre mémoire, ce que j’ai trouvé dans Fully Grown à propos des Etats-Unis était que la grande majorité (pour ne pas dire la totalité) du ralentissement de la croissance pouvait être attribuée à une explosion de la croissance du capital humain au vingtième siècle comme les boomers entraient dans la population active et un frein sur la croissance du capital humain au vingt-et-unième siècle comme les boomers commencèrent à sortir de la population active. Une façon de voir l’expérience américaine est de dire que la croissance au vingtième siècle a été anormalement élevée parce que le taux d’emploi grimpa rapidement grâce aux boomers et que le ralentissement est une réaction naturelle à cette stimulation temporaire (…).

Concernant le capital humain, (…) plusieurs points me frappent. Premièrement, les Etats-Unis se singularisent. On retrouve le récit que j’en ai fait ci-dessus. Il y a eu une croissance relativement forte du capital humain au milieu du vingtième siècle (ajoutant environ 1,5-2 points de pourcentage à la croissance) et ensuite sa contribution est devenue négative au vingt-et-unième siècle, avec seulement une récente poussée (à nouveau, probablement un artefact de la crise financière). Aucun pays européen ne présente une telle évolution.

GRAPHIQUE 3 Taux de croissance sur 10 ans du capital humain des Etats-Unis et d'une sélection de pays européens (en %)

Dietrich_Vollrath__taux_croissance_capital_humain_pays_europeens_Etats-Unis.png

L’Allemagne a une croissance négative du capital humain tout au long du vingtième siècle, puis celle-ci est devenue positive autour de 2000, compensant le ralentissement de la croissance. La France a également eu une croissance négative du capital humain autour de 1960 et ensuite celle-ci est passée au-dessus de zéro. La situation du Royaume-Uni s’apparente à celle de l’Allemagne. Les Pays-Bas ont connu une croissance significative au capital humain lors des années 1990 et ensuite un lent déclin de celle-ci.

L’Italie a connu une explosion de sa croissance du capital humain à la fin du vingtième siècle et ensuite celle-ci est retombée au vingt-et-unième siècle. L’Espagne a conne une forte vague de croissance du capital humain à la fin du vingtième siècle qui a ensuite chuté au début du vingt-et-unième siècle, ce qui fournit au moins une partie de l’explication pour l’effondrement de la croissance espagnole. Ces deux dynamiques sont probablement les plus proches de celle observée aux Etats-Unis, mais l’échelle et le calendrier ne sont pas les mêmes. Aux Etats-Unis, vous pouvez voir un lent déclin de la croissance du capital humain avant 2000, ce qui est cohérent avec le vieillissement, tandis qu’en Italie et en Espagne la chute apparaît plus soudaine et le calendrier est tel qu’elle apparaît davantage comme une réponse à la crise financière mondiale qu’autre chose.

Enfin, que dire à propos de la croissance de la productivité ? Le graphique ci-dessous montre que, relativement aux Etats-Unis, un déclin de la croissance de la productivité est plus apparent pour l’Europe autour de l’instant du ralentissement de la croissance. Si vous regardez le cas des Etats-Unis, la croissance de la productivité augmente jusqu’à environ 2005 et ensuite elle diminue. Mais si vous regardez le Royaume-Uni ou la France, par exemple, leur croissance de la productivité reste à 2 % jusqu’à environ 2006 et ensuite elle chute à quasiment zéro, voire elle est parfois négative. C’est une chute de la croissance de la productivité bien plus forte que pour les Etats-Unis.

GRAPHIQUE 4 Taux de croissance sur 10 ans de la productivité des Etats-Unis et d'une sélection de pays européens (en %)

Dietrich_Vollrath__taux_croissance_productivite_pays_europeens_Etats-Unis.png

(…) Je tente quelques conclusions. Les changements dans l’accumulation du capital physique n’ont pas été importants pour le ralentissement de la croissance européenne. Les changements dans la croissance du capital humain ont été importants pour le ralentissement de la croissance européenne, mais cet effet varie d’un pays à l’autre. Cela ne nous dit pas si cela tient à la démographie (comme aux Etats-Unis) ou à d’autres facteurs du capital humain, comme les changements dans l’éducation ou le nombre d’heures travaillées. Une source significative du ralentissement de la croissance en Europe est due à une chute de la croissance de la productivité, assez généralisée. Cette chute a été plus forte qu’aux Etats-Unis. (...) »

Dietrich Vollrath, « Fully grown - European vacation! », Growth Economics blog, 29 décembre 2022. Traduit par Martin Anota



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« Comment expliquer le ralentissement de la productivité dans les pays avancés ? »

« Comment le vieillissement démographique affecte-t-il la croissance de la productivité ? »

« Pourquoi la croissance de la productivité a-t-elle ralenti ? »

« L'essoufflement de la productivité, une pathologie transatlantique ? »

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mardi 9 août 2022

Inflation et chômage. Quelle trajectoire l’économie américaine suivra-t-elle ces six prochains mois ?

« Huit réflexions à propos de ce qui pourrait survenir pour l’économie américaine au cours des six prochains mois.

1. L’inflation va baisser, probablement plus que ce que beaucoup ne s’y attendent. Cela tient au brutal retournement du prix de certains produits de base, à la faiblesse de l’économie chinoise, aux améliorations des chaînes de valeur et au dollar fort. Il y aura des revendications de victoire (non par la Fed), mais elles s’avèreront fausses.

2. L’inflation ne va pas baisser au point d’atteindre le niveau de 2 %, celui que cible la Fed. C’est parce que l’interaction inertielle prix-salaires est à présent clairement à l’œuvre et qu’elle ne va pas disparaître de sitôt. Donc, la Fed va avoir à resserrer davantage sa politique monétaire.

3. L’objectif du resserrement monétaire est de réduire l’activité économique et, par ce biais, de pousser à la baisse les hausses de salaires et de prix. Donc, la Fed va essayer d’atteindre un ralentissement. C’est clairement à l’œuvre, même si les chiffres du PIB sous-estiment sûrement l’activité au cours des deux premiers trimestres de l’année 2022.

4. Alors que la focale a été placée sur la politique monétaire, il y a une substantielle consolidation budgétaire à l’œuvre, avec une baisse majeure du déficit public. L’effet de cette consolidation est atténué par le fait que les ménages ont accumulé de l’épargne auparavant et qu’ils peuvent à présent la dépenser. Mais la baisse du déficit fédéral va jouer un rôle. Plus ses effets adverses seront forts, moins la Fed aura à relever ses taux d’intérêt.

5. La triste vérité est qu’il n’y a pas de ralentissement sans hausse du chômage. L’espoir de réduire le nombre de postes d’emplois vacants sans augmenter le taux de chômage (chose que certains responsables de la Fed ont suggéré) est vain. Le nombre de postes vacants va diminuer et le chômage va augmenter.

6. C’est une autre question de savoir si ce ralentissement va se traduire ou non par une récession, c’est-à-dire par une croissance (vraiment) négative. Le ralentissement de l’inflation peut donner une marge de manœuvre à la Fed pour aller moins vite et essayer d’atteindre une croissance certes plus faible, mais toujours positive. Comme le président de la Fed Jerome Powell l’a déclaré, il est difficile de faire juste bien.

7. Le paysage économique à l’instant des élections de mi-mandat en novembre 2022 pourrait ne pas être trop mauvais. Une moindre inflation, une croissance faible mais positive, toujours un faible chômage. Si c’est le cas, cela va aider les démocrates. Mais la dure tâche de réduire l’inflation ou du moins de la rapprocher de la cible demeurera.

8. A un moment ou à un autre l’année prochaine, l’inflation reviendra à 3 %, il y aura une intense discussion quant à savoir s’il est utile de freiner davantage l’activité pour atteindre les 2 %. La Fed peut décider de déclarer sa mission accomplie et de rester à 3 %, peut-être pour toujours, du moins pour un moment. »

Olivier Blanchard, « Inflation and unemployment. Where is the US economy heading over the next six months? », PIIE, Realtime Economic Issues Watch (blog), 8 août 2022. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« La Fed peut-elle réduire l’inflation sans provoquer de récession ? »

« Et si les banques centrales ciblaient une inflation de 4 % ? »

jeudi 7 juillet 2022

L’économie mondiale est aujourd'hui effroyablement similaire à ce qu'elle était dans les années 1970

« L’économie mondiale connaît un ralentissement soudain de l’activité accompagné d’une forte accélération de l’inflation mondiale, cette dernière atteignant des niveaux qu’elle n’avait pas atteint depuis plusieurs décennies. Ces développements amènent certains à craindre une stagflation, c’est-à-dire une conjonction entre faible croissance et forte inflation, similaire à ce que le monde a subi dans les années 1970. Nous avons vu quels dommages cela peut infliger aux pays émergents et en développement. La stagflation à l’époque s’était soldée par une récession mondiale et une série de crises financières dans les pays émergents et en développement. A la lumière des leçons tirées de l’épisode de stagflation, ces économies doivent rapidement réfléchir à des politiques pour faire face aux conséquences d’un resserrement rapide des conditions de financement mondiales.

L’inflation et la croissance ne vont pas dans le même sens


En mai 2022, l’inflation mondiale (8,1 %) et celle des pays émergents et en développement (9,4 %) ont atteint le niveau le plus élevé depuis 2008 (cf. graphique 1). L’inflation dans les pays développés a atteint les niveaux les plus élevés observés ces quatre dernières décennies. Dans la mesure où les récents chocs dans les prix de l’énergie et des produits alimentaires refluent, où les goulots d’étranglement se desserrent et où les conditions financières se resserrent, on s’attend à ce que l’inflation mondiale décline d’environ 3 points de pourcentage l’année prochaine. Mais elle serait toujours supérieure d’un point de pourcentage à sa moyenne en 2019, avant que la pandémie ne mette le monde sens dessus dessous.

GRAPHIQUE 1 Taux d'inflation (en %)

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Après l’effondrement lors de la récession mondiale de 2020, la croissance mondiale a rebondi à 5,7 % en 2021, soutenue par des politiques budgétaire et monétaire accommodantes sans précédent. On s’attend maintenant à ce que la croissance ralentisse à 2,9 % en 2022, avec peu de changement en 2023-2024, en raison de la guerre en Ukraine, de l’érosion de la demande de rattrapage et du retrait du soutien fourni par les politiques économiques dans un contexte de forte inflation. Au-delà du moyen terme, on s’attend à ce que la croissance mondiale reste faible tout au long des années 2020, en raison d’un affaiblissement tendanciel des moteurs fondamentaux de la croissance.

Un ralentissement de la croissance plus marqué, mais une hausse de l’inflation plus limitée (pour l’instant)


L’actuelle conjoncture ressemble à celle du début des années 1970 à trois égards :

Une inflation élevée et une faible croissance. L’économie mondiale a émergé de la récession mondiale associée à la pandémie de 2020 de la même façon qu’elle avait émergé de la stagflation après la récession mondiale de 1975. L’inflation mondiale a atteint 11,3 % en rythme annuel entre 1973 et 1983, soit un rythme trois fois plus rapide que celui de 3,6 % qu’elle atteignait en 1962-1972 (cf. graphique 1). Alors que l’accélération de l’inflation depuis la récession mondiale de 2020 provoquée par la pandémie de Covid-19 a été moins forte qu’après la récession de 1975, on s’attend à un ralentissement plus marqué de la croissance : entre 2021 et 2024, on prévoit que la croissance mondiale baisse de 2,7 points de pourcentage, soit deux fois plus amplement qu’entre 1976 et 1979 (cf. graphique 2).

GRAPHIQUE 2 Ralentissement de la croissance après les récessions mondiales (en points de pourcentage)

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Des chocs d’offre après le maintien prolongé d’une politique monétaire accommodante. Des perturbations du côté de l’offre provoquées par la pandémie et le récent choc d’offre ayant touché les prix de l’énergie et des produits alimentaires avec l’invasion russe de l’Ukraine ressemblent aux chocs pétroliers de 1973 et de 1979-1980. La hausse des prix de l’énergie dans les années 1970 et durant la période 2020-2022 sont les plus amples variations qu’ils aient connues au cours des 50 dernières années (cf. graphique 3). A l’époque et aujourd’hui, la politique monétaire était généralement très accommodante à la veille de ces chocs, avec des taux d’intérêt réels négatifs pendant plusieurs années.

GRAPHIQUE 3 Variation mensuelle des prix de l'énergie et des aliments (en %)

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De significatives vulnérabilités dans les pays émergents et pays en développement. Dans les années 1970 et au début des années 1980, comme aujourd’hui, une dette élevée, une forte inflation et de fragiles finances publiques rendaient les pays émergents et en développement vulnérables à un resserrement des conditions financières. La stagflation des années 1970 a coïncidé avec la première vague mondiale d’accumulation de la dette du dernier demi-siècle. De faibles taux d’intérêt réels mondiaux et le développement rapide des marchés de prêt syndiqué ont encouragé une explosion de la dette des pays émergents et en développement, en particulier en Amérique latine et dans plusieurs pays à faible revenu. Les années 2010 ont été marquées par la quatrième (et actuelle) vague d’endettement mondial impliquant la hausse la plus forte, la plus rapide et la plus généralisée de la dette publique dans les pays émergents et en développement que l’on ait pu observer au cours du dernier demi-siècle. Plusieurs pays à faible revenu sont déjà en situation de détresse ou presque. La magnitude et la vitesse de l’accumulation de dette accroît les risques associés.

D’importantes différences par rapport aux années 1970


Même si les similarités que nous venons de souligner sont inquiétantes, il y a d’importantes différences structurelles et conjoncturelles entre la situation des années 1970 et celle d’aujourd’hui. Cela signifie que l’économie mondiale peut encore échapper à une répétition de cet épisode stagflationniste.

Des chocs moins amples. Du moins jusqu’à présent, les hausses des prix des matières premières ont été plus limitées que celles observées lors des années 1970. Pour l’instant, l’inflation mondiale en 2022 est moins généralisée qu’elle ne l’était dans les années 1970 et l’inflation sous-jacente est restée modérée dans plusieurs pays, même si elle a récemment augmenté.

Des cadres de politique monétaire plus crédibles. Les cadres de politique monétaire se sont de plus en plus focalisés sur la stabilité des prix au cours du temps. Dans les années 1970, les banques centrales faisaient souvent face à des objectifs contraires, en cherchant à la fois atteindre une forte croissance et le plein emploi, ainsi que la stabilité des prix. A l’inverse, les banques centrales dans les pays développés et plusieurs pays émergents et en développement ont à présent des mandats privilégiant la stabilité des prix, prenant typiquement la forme d’une cible d’inflation explicite (…). En conséquence des améliorations apportées aux cadres de politique monétaire et au meilleur ancrage des anticipations d’inflation, l’inflation, en particulier sous-jacente, est devenue bien moins sensibles aux surprises d’inflation.

Des économies plus flexibles. Les années 1970 ont été une époque de fortes rigidités économiques structurelles. Plusieurs d’entre elles ont depuis été assouplies. La plus grande flexibilité économique d’aujourd’hui, avec une fixation des salaires moins centralisée et une moindre répression financière, permet à l’offre et à la demande de réagir plus vite dans les secteurs où les prix augmentent particulièrement vite et elle réduit la probabilité de spirales prix-salaires. En outre, l’intensité énergétique du PIB a considérablement chuté depuis les années 1970, rendant les économies plus résilientes aux chocs touchant les prix de l’énergie. Moins d’assouplissement budgétaire. Les années 1960 et 1970 ont été marquées par une politique budgétaire expansionniste. A l’inverse, on s’attend à ce que la politique budgétaire soit resserrée ces prochaines années, comme les gouvernements vont retirer le soutien budgétaire sans précédent qu’ils ont fourni durant la pandémie. (…) »

Jongrim Ha, M. Ayhan Kose & Franziska Ohnsorge, « Today’s global economy is eerily similar to the 1970s, but governments can still escape a stagflation episode », Brookings, 1er juillet 2022. Traduit par Martin Anota



« L’économie mondiale aux prises avec les goulots d’étranglement »

« Doit-on s’attendre à une spirale inflationniste ? »

« Le monde face à la vague de la dette »

« La Fed peut-elle réduire l’inflation sans provoquer de récession ? »

« Inflation américaine : que nous enseignent les années 1960 ? »

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