Annotations

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Environnement et ressources naturelles

Fil des billets

vendredi 26 novembre 2021

Pourquoi la taxe carbone fonctionne vraiment

« Un ami m’a récemment dit qu’il se cassait la tête sur une question éthique. Il aimerait faire un voyage sur long-courrier pour voir sa famille mais il sait qu’un vol aurait une forte empreinte carbone. Est-ce que ce déplacement pourrait se justifier ? J’ai suggéré à mon ami de trouver quelle est l’empreinte carbone d’un tel vol (il s’avère qu’elle est d’une tonne de CO2) et d’imaginer ensuite une hypothétique taxe carbone. Désirerait-il toujours voyager s’il avait à payer la taxe ? Si ce n’est pas le cas, le voyage n’en valait pas la peine.

Mon conseil soulève la question de savoir ce que cette taxe carbone serait. A une taxe carbone de 5 euros par tonne de CO2 (beaucoup d’émissions mondiales de carbone sont moins taxées que cela) le supplément de taxe pour un vol occasionnant une tonne de carbone serait négligeable. A 50 euros la tonne, une taxe serait significative, mais peut-être pas décisive. (Les marchés des quotas d’émissions en Union européenne et au Royaume-Uni ont jusqu’à récemment impliqué un prix du carbone d’environ 50 euros la tonne de CO2 : le prix a depuis bondi. Les démocrates aux Etats-Unis considèrent leur propre taxe carbone). Si la taxe carbone s’élevait à 500 euros par tonne de CO2, mon ami se priverait vraiment de voir sa famille.

Je sais qu’il est chimérique de conseiller de jauger les décisions de consommation individuelles au regard d’une taxe complètement hypothétique, mais cela montre ce à quoi sert fondamentalement une taxe carbone. Ce n’est pas simplement une incitation à changer de comportement ; c’est une source d’information à propos du comportement que nous avons le plus urgemment à changer.

Cette information n’est actuellement pas disponible. Les chaines d’approvisionnement mondiales sont formidablement complexes, fournissant des produits avec une empreinte carbone que l’on ne peut estimer que de façon imprécise. La vue d’ensemble est par contre assez nette : les vols sont mauvais, le vélo bat la voiture, le double vitrage est une bonne idée. Mais les habitants du Royaume-Uni doivent-ils acheter des tomates britanniques qui ont sûrement été conçues dans une serre chauffée artificiellement ou des tomates espagnoles qui ont fait plusieurs centaines de kilomètres en camions ? Même pour ceux qui sont vigilants, ces questions sont difficiles.

Il y a une décennie Mike Berners-Lee publiait How Bad Are Bananas?, un livre qui donnait l’empreinte carbone de plusieurs produits de la vie courante. (Les bananes sont bonnes.) Le titre souligne le désespoir qu'il y a à attendre des consommateurs qu'ils changent par eux-mêmes de comportement pour vaincre le changement climatique. A quel point le vin rouge est mauvais ? A quel point un iPhone est mauvais ? Collectivement, nous faisons plusieurs milliards de décisions chaque jour quant à savoir quoi acheter, comment nous déplacer et à quel niveau fixer le thermostat. On ne peut s’attendre à ce que nous le fassions avec le livre de Berners-Lee entre nos mains.

L’intérêt d’une taxe carbone est que nous n’avons pas à le faire. Le prix de toutes les choses que nous achetons est lié au coût des ressources requises pour les fabriquer et les transporter. Si quelque chose requiert des acres de terre, des tonnes de matières premières, des mégawatt-heures d’énergie et des journées de travail qualifié, vous pouvez être sûr que cela ne sera pas bon marché. Le lien entre le prix et le coût est flou, mais il existe. Pourtant, les émissions de carbone ne se reflètent pas dans ce coût.

Une taxe carbone change cela en faisant apparaître l’impact sur le climat comme un coût aussi réel qu’un autre. Elle envoie un signal tout au long des chaînes de valeur, nudgeant toute décision vers l’alternative à plus bas carbone. Un client peut décider qu’un tee-shirt incorporant une taxe carbone est trop cher, mais parallèlement l’usine textile cherchera à économiser en électricité, tandis que le fournisseur d’électricité donnera plus de place à l’énergie solaire. Chaque étape de la chaine de valeur devient plus verte. (...)

Le café offre un exemple instructif illustrant à quel point le changement serait imperceptible. Selon Mark Maslin et Carmen Nab de l’University College London, un kilogramme de graines de café fourni au Royaume-Uni a typiquement une empreinte d’environ 15 kilogrammes de CO2. Si le café était produit et transporté d’une façon plus soutenable, l’empreinte pourrait facilement être ramenée à 3,5 kilogrammes. Avec une taxe carbone de 100 euros la tonne, cela ferait une taxe à payer de 1,5 euro dans le premier cas et de 35 centimes dans le second. Vous pouvez faire des douzaines de cafés avec un kilogramme de graines de café, donc les buveurs de café ne noteraient guère la différence, mais vous pouvez être sûr que dans les coulisses les fermiers et les transporteurs chercheraient à réduire leurs coûts, donc à verdir leur production.

Mes collègues Gillian Tett et Simon Kuper ont écrit à propos des risques d’une "inflation du vert" (greeflation) et des souffrances qu’une taxe carbone significative provoquerait. Ils ont raison de s’inquiéter des dommages politiques qu’une taxe bâclée ferait. Mais on peut aussi s’inquiéter de trop. On a l’impression qu’il faudrait faire un bond de géant pour décarboner l’économie mondiale, mais en fait il faudrait plutôt voir la décarbonation comme le résultat d’un milliard de petits pas. D’une consommation plus sobre à une logistique plus efficace en passant par le développement de sources d’électricité renouvelables, les taxes carbone nous poussent délicatement à chaque instant vers la solution la plus verte, que nous soyons rongés par la culpabilité ou indifférents par la question climatique. Elles devraient être au coeur de notre lutte contre le changement climatique. »

Tim Harford, « Why carbon taxes really work », 29 octobre 2021. Traduit par Martin Anota

vendredi 6 août 2021

Que nous enseigne l’épidémie de Covid-19 à propos du changement climatique ?

« Comme le faiseur de sermons peu inspiré qui cherche une façon de tout relier à Jésus, certains commentateurs trouvent une façon de relier chaque chose au changement climatique. En décembre dernier, un éditorial publié dans le journal médical The Lancet qui évoquait l’épidémie de Covid-19 et le changement climatique déclarait que "les causes des deux crises partagent des similarités et leurs effets convergent… Toutes deux sont nées de l’activité humaine qui a entraîné une dégradation de l’environnemental".

Je suppose que c’est vrai. Mais comme avec le faiseur de sermons dont les chaussettes dépareillées lui rappelle le miracle de la multiplication des pains et poissons, ce n’est pas parce qu’une analogie peut être faite qu’elle peut être instructive. Il est vrai que le changement climatique et la pandémie de Covid-19 sont de gros problèmes qui nécessitent une forte réponse, mais les différences entre les deux peuvent être aussi instructives que les similarités.

Une différence, évidente pour les journalistes, est que le Sars-Cov-2 a mis le monde sens dessus dessous en quelques semaines, alors que le rythme du changement climatique ne colle pas au cycle des nouvelles. Les volcans, qui peuvent temporairement altérer le climat, prennent du temps pour le faire. L’explosion du Tambora en Indonésie en 1815, l’une des plus puissantes éruptions de ces 100.000 dernières années, a réduit les températures mondiales et provoqué des mauvaises récoltes et pénuries alimentaires à l’autre bout du monde. Même avec un déclencheur si spectaculaire, cela prit une année.

Le changement climatique dû à l’émission de gaz à effet de serre est bien en cours, mais à une vitesse mesurée en décennies. En conséquence, il est presque impossible de couvrir le changement climatique comme une pure nouvelle. En fait, nous, les journalistes, écrivons à propos de sujets parallèles, par exemple en couvrant des conférences mondiales ou la publication de prodigieux rapports. Le fait est énorme, mais il ne s’agit pas de nouvelle.

Les activistes parlent désormais d’"urgence climatique" afin d’insuffler un sentiment d’urgence. Je suis d’accord : nous avons déjà perdu un quart de siècle pour mettre en place des mesures évidentes comme la tarification du carbone et tout retard supplémentaire aggrave le problème. Mais de tels retards seront toujours tentants.

Pour ceux qui s’inquiètent d’un manque d’action en matière environnementale, cette réalité décourageante est une fonction du mot "nouvelles". Il n’est pas facile de couvrir quelque chose qui survient lentement, que ce soit une menace existentielle comme le changement climatique ou un succès encourageant comme la disponibilité de vaccins contre les maladies infantiles.

Greta Thunberg a déploré dans le Financial Times la semaine dernière que "la crise climatique n’a jamais été traitée comme une crise". Elle a raison, mais jamais celle-ci ne sera traitée comme telle. Nous n’aurons jamais des conférences de presse quotidiennes au cours desquelles le premier ministre expliquerait à la nation comment le climat a changé au cours des dernières 24 heures.

C’est la différence la plus désespérante entre le changement climatique et l’épidémie de Covid-19. Mais il y a aussi une similarité tout aussi désarmante. Tous deux sont propices à la désinformation, à la polarisation et à la pensée magique. Aucun d’entre nous n’aime les conséquences du changement climatique ou du coronavirus, mais quelques uns vont plus loin. Parce qu’ils préfèreraient que le problème n’existe pas, ils se jettent sur n’importe quelle chose qui pourrait nous faire croire qu’il n’existe pas (…). Il y a en réserve un bataillon d’"entrepreneurs de conflits" qui profitent de la désinformation pour satisfaire cette demande de mensonges rassurants.

Mais il y a de l’espoir. La formidable réponse à l’épidémie de Covid-19 suggère que nous sommes capables d’user de certaines des vertus qui pourraient être nécessaires pour s’attaquer au changement climatique. Nous pouvons nous adapter de façon extraordinaire si nous devons et désirons faire d’importants sacrifices pour le bien commun. La pandémie nous montre aussi que résoudre un problème avec la technologie peut être plus facile que de le résoudre avec un changement de comportement tenace. Il est instructif de voir à quel point les vaccins ont été indolores et bon marché en comparaison avec les incessants confinements ou les morts en masse.

Bien sûr, il n’y a pas de vaccin contre le changement climatique, mais il y a eu des avancées étonnamment rapides vers des sources d’énergie bon marché et propres telles que le solaire et l’éolien et des batteries bon marché qui les rendent pratiques.

Là aussi, il y a une leçon à tirer de l’épidémie de Covid-19. Les vaccins ont produits au terme d’une quête mondiale de résultats, avec les chercheurs partageant des informations, tout en faisant la course pour les développer. Les gouvernements ont dépensé d’importantes sommes pour s’assurer que les sociétés privées aient les ressources et incitations nécessaires pour avancer à une vitesse qui sinon aurait été commercialement risquée. (Cela dit, les gouvernements auraient pu en faire davantage et ils peuvent toujours en faire davantage, dans la mesure où les bénéfices d’un surcroît de doses plus tôt sont énormes.)

Les gouvernements ont dans une certaine mesure soutenu l’énergie verte et d’autres technologies environnementales, mais à nouveau ils pourraient en faire plus avec les taxes, les subventions et les normes pour financer leur développement et en encourager l’adoption. Il y a peu de bénéfices à avoir une invention, que ce soit un panneau solaire bon marché ou un vaccin à ARN messager, s’il n’y a pas beaucoup d’utilisateurs.

Mais peut-être que je suis en train de devenir en faiseur de sermons, allant trop loin dans les analogies. Le développement d’un vaccin est un défi différent, plus facile, que le développement d’une nouvelle source d’énergie et d’un nouveau système énergétique pour l’utiliser. Les leviers de politique publique sont différents, tout comme les obstacles technologiques. Pour autant, nous pouvons agir de façon décisive, faire des sacrifices pour prendre soin les uns des autres, s’appuyer sur une génération pour en aider une autre et travailler à des miracles technologiques. Tout ce dont nous avons besoin à présent est de trouver une façon de nous focaliser sur un problème qui est trop lent pour être qualifié de crise, mais trop dangereux pour être nommé autrement. »

Tim Harford, « What does Covid teach us about climate change? », 9 avril 2021. Traduit par Martin Anota.

mardi 4 mai 2021

Changement climatique versus utopie technologique

« L’Humanité n’a jamais fait face à un défi collectif aussi considérable que celui que représente le changement climatique. Les émissions nettes mondiales de gaz à effet de serre doivent être réduites à zéro dans les trois prochaines décennies pour nous donner une chance de maintenir à 2 °C la hausse des températures relativement aux niveaux préindustriels. Plus nous tardons à atteindre ce seuil, plus il est probable que nous allons vers un scénario catastrophe. Avec les Etats-Unis de retour dans l’Accord de Paris, c’est le moment pour le monde de se réengager dans ces défis historiques.

La voix très respectée de Bill Gates offre une contribution bienvenue à ces efforts. Dans son nouveau livre, Climat : comment éviter un désastre, Gates affirme que nous avons besoin d’expérimenter davantage de nouvelles idées et d’innovations technologiques si nous voulons trouver une solution. Mais la géo-ingénierie solaire qu’il promeut est un pas dans la mauvaise direction, parce qu’elle peut saper les incitations qui sont nécessaires pour répondre au problème du changement climatique.

L’idée derrière la géo-ingénierie solaire est simple : si nous ne pouvons pas limiter la quantité de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, peut-être pouvons-nous bloquer le rayonnement solaire qui génère la chaleur, par exemple en créant un couvercle réfléchissant. Les éruptions volcaniques le font naturellement. Suite à l’éruption du Mont Pinatubo dans les Philippines en 1991, d’amples volumes d’acide sulfurique et de poussières se retrouvèrent dans la stratosphère, réduisant temporairement le volume de rayonnement solaire que recevait la Terre. Au cours des trois années suivantes, les températures chutèrent de 0,5 °C dans le monde et de 0,6 °C dans l’hémisphère nord.

De nombreux chercheurs travaillent à présent dans des projets de géo-ingénierie solaire. Les scientifiques de la Stratospheric Controlled Perturbation Experiment de l’Université de Harvard, par exemple, ont proposé d’utiliser du carbonate de calcium plutôt que des aérosols de sulfate toxiques, mais l’idée reste la même et Gates lui-même a soutenu plusieurs de ces efforts technologiques.

Qu’est-ce qui pourrait mal aller ? Pour commencer, les risques associés à la géo-ingénierie solaire sont aussi grands que ses potentiels bénéfices. En plus d’avoir créé une instabilité climatique, l’éruption du Pinatubo semble aussi avoir accéléré la destruction de la couche d’ozone. Pour avoir un effet significatif sur le changement climatique, nous devrions répliquer l’effet de cette éruption mais à une bien plus grande échelle, ce qui pourrait provoquer une bien plus ample variabilité climatique, notamment de brutales baisses de températures dans certaines parties du monde. Parce que ces effets ne seraient pas répartis uniformément entre les pays ou régions, nous pouvons craindre qu’ils n’alimentent l’instabilité géopolitique.

Si une proposition a d’importants bénéfices potentiels, mais aussi de massifs coûts potentiels, la chose sensée à faire est de mener des expérimentations à petite échelle pour en tester la viabilité, ce qui est précisément ce que certains projets soutenus par Gates sont en train de faire. Le problème est que des expérimentations à petite échelle ne vont pas forcément révéler les véritables coûts, étant donné la complexité des dynamiques climatiques au niveau mondial. Créer une couche de poussières bloquant les rayons du soleil peut produire un certain effet à une petite échelle et un effet complètement différent à une plus grande échelle.

En outre, même si elle est poursuivie avec de bonnes intentions, la géo-ingénierie a un mauvais côté. Plus nous croyons en son efficacité, plus nous allons rejeter des solutions essayées et testées comme la taxe carbone ou les investissements dans les énergies renouvelables. C’est ce que les économistes appellent un "aléa moral" : une fois que les agents économiques comprennent qu’ils ne vont pas supporter les coûts de leurs imprudences, il est plus probable qu’ils adoptent un comportement imprudent.

Dans le contexte de la lutte contre le changement climatique, une fois que les gouvernements croient qu’il y a une façon de continuer de polluer sans faire les choix difficiles qui sont nécessaires pour éviter un désastre, ils vont éviter de faire ces choix. Les taxes carbone seront définitivement écartées, le soutien à la recherche verte se fera plus rare et les consommateurs auront moins d’incitations à réduire leur propre empreinte carbone.

Cet aléa moral n’est pas qu’une simple curiosité intellectuelle. Par exemple, Gates lui-même suggère que même si une taxe carbone pouvait être introduite aux Etats-Unis, les énergies solaire et éolienne ne suffiraient pas. Mais une telle réflexion est une erreur fatale. Il est facile d’imaginer à quel point ce scepticisme peut se révéler attrayant pour les politiciens qui ne veulent pas poursuivre des politiques qui vont nuire aux communautés qui dépendent toujours de la production de charbon. Mais ne devons pas ignorer les énormes progrès réalisés dans le rapport efficacité-coût des énergies solaire et éolienne. Et nous ne devons pas ignorer les énormes progrès qui pourraient être réalisés en combinant ces sources d’énergies avec des avancées en matière de technologies de stockage.

L’aléa moral n’est pas confiné aux gouvernements. Mes propres travaux avec Will Rafey de l’Université de Los Angeles trouvent que la poursuite de la géo-ingénierie peut brider les incitations du secteur privé à opérer la transition vers les énergies propres. Les entreprises qui ont déjà commencé à investir dans les énergies renouvelables opèrent à partir de l’hypothèse qu’il y aura de plus sévères réglementations environnementales et une réelle fiscalité carbone dans le futur. Si elles commencent à croire en la possibilité que la géo-ingénierie solaire empêchera le réchauffement climatique, les firmes vont commencer à s’attendre à ce que la réglementation environnementale reste lâche et la fiscalité carbone allégée, elles vont réduire en conséquence leurs investissements verts.

Finalement, il n’y a pas de solution facile, ni d’alternative aux taxes carbone et aux énergies renouvelables si nous voulons éviter le désastre climatique. Ce message s’est perdu dans l’enthousiasme de Gates pour la géo-ingénierie solaire. Mais plus nous tardons à adopter des taxes carbone et à entreprendre les investissements massifs qui sont nécessaires pour développer les énergies renouvelables, plus il sera difficile de faire face au défi climatique.

Le soutien de Gates en faveur de la géo-ingénierie solaire est une expression de techno-utopisme. La technologie fait partie intégrante de la solution, mais elle ne sera pas le remède miracle pour des siècles d’émissions excessives de carbone. Le problème avec le techno-utopisme est qu’au lieu d’accepter le fait qu’il est nécessaire d’entreprendre des investissements coûteux et de cultiver des solutions communautaires tirées de diverses perspectives, il cherche des solutions rapides et, une fois celles-ci trouvées, les impose ensuite à la société. Comme le politiste James C. Scott l’a montré, cette perspective a produit plusieurs désastres sociaux au cours du vingtième siècle et elle peut encore en produire avec son enthousiasme actuel pour la géo-ingénierie.

Nous pouvons déjà voir les dommages provoqués par le techno-utopisme dans des domaines comme l’intelligence artificielle, où on nous a promis des avancées spectaculaires, mais où nous ne voyons que des destructions d’emplois à grande échelle provoquées par les algorithmes ou des phénomènes de discrimination. Ils sont également visibles dans le domaine de la santé, où les Etats-Unis dépensent massivement, en l’occurrence environ 18 % de leur PIB, en partie parce qu’ils privilégient les solutions de haute technologie plutôt que les investissements dans la santé publique, la prévention et l’assurance-santé. Le résultat est une détérioration de la santé malgré d'énormes dépenses.

Le changement climatique pose un défi encore plus grand. Il est trop important pour être laissé à ceux qui promettent qu’une solution technologique radicale viendra, littéralement, des cieux. »

Daron Acemoglu, « Climate change vs. techno-utopia », 28 avril 2021. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Le changement climatique n'épargnera pas la croissance à long terme des pays riches »

« La transition vers les technologies plus propres »

« Les robots, les intelligences artificielles et le travail »

mercredi 14 avril 2021

Pourquoi les économistes n'aident guère dans la lutte contre le changement climatique



« (…) Le changement climatique est l’une des plus importantes questions en matière de politique économique pour l’avenir du pays et du monde et la profession des économistes n’a tout simplement pas été à la hauteur. (...)

Le climat dans l’angle mort de l’économie

Un gros problème avec l’économie du climat est qu’elle est très limitée. Le changement climatique va affecter chaque pan de notre économie. Quantitativement, il est bien plus important qu’un calcul d’imposition optimale ou qu’un détail d’une certification professionnelle ; il est probablement même plus important que le cycle d’affaires lui-même. Mais il y a peu d’articles dédiés au changement climatique dans les revues les plus prestigieuses. Dans un article de 2019, intitulé "Why are economists letting the world down on climate change?", les économistes Andrew Oswald et Nicholas Stern écrivaient :

"Nous regrettons de constater que les économistes universitaires laissent tomber le monde. La science économique a contribué à étonnamment peu de discussions à propos du changement climatique. Par exemple, le Quarterly Journal of Economics, qui est actuellement la revue la plus citée dans le domaine de l’économie, n’a jamais publié un article sur le changement climatique. (…) Nous pensons que la science économique moderne est piégée dans une sorte d’équilibre de Nash. Les économistes universitaires sont obsédés à l’idée de publier et d’être bien référencés. La raison pour laquelle il y a peu d’économistes qui écrivent des articles sur le changement climatique est, selon nous, que les autres n’écrivent pas d’articles sur le changement climatique."

Ils (…) montrent à quel point il y a eu peu d’articles sur le changement climatique publiés dans les revues d’économie les plus prestigieuses (...). Il y en a eu 57, sur un nombre total d’environ 77.000 articles, c’est-à-dire environ 0,074 %. Comme Oswald et Stern le soulignent, c’est réellement surprenant, dans la mesure où le changement climatique a) est provoqué par l’activité économique, b) a de significatives répercussions économiques et c) nécessitera d’ingénieuses politiques économiques pour nous sortir de là. En fait, je pense que la situation est même pire que ne le suggère leur article, dans la mesure où une grosse partie des travaux en économie du climat sont de piètre qualité.

De mauvais travaux

Le plus monstrueux pan de l’économie du climat est certainement cet ensemble de travaux qui conclut que le changement climatique n’est absolument pas un problème. Le plus grand délinquant dans ce domaine que je connaisse est Richard Tol, un professeur de l’Université de Sussex. Tol a écrit un célèbre article en 2009 dans lequel il affirma que le réchauffement climatique se traduirait par des gains économiques pour les gens qui vivent dans les zones tempérées et que ces gains dépasseraient les coûts qu’en subiraient les personnes vivant dans les tropiques. Son raisonnement ? Avec des températures plus chaudes, vous n’avez plus à utiliser autant le chauffage ; des températures plus élevées sont meilleures pour la santé ; et un surcroît de CO2 dans l’atmosphère accroît le rendement des récoltes.

C’est évidemment ridicule, pour diverses raisons qu’une poignée de secondes de réflexion permet à chacun d’imaginer, même sans s’y connaître grandement sur la question du changement climatique. Tout d’abord, le changement climatique ne se contente pas simplement d’accroître partout les températures de quelques degrés : il rend la météo plus instable, ce qui inclut notamment davantage d’épisodes de grand froid (c’est quelque chose qui a été saisi bien avant que Tol n’écrive son article). Deuxièmement, de très nombreuses études montrent que le changement climatique nuit à la productivité agricole, et ce via de nombreux mécanismes (…). Troisièmement, il y a de très nombreuses manifestations du changement climatique que Tol écarte de sa réflexion, en se contentant de dire qu’ils "semblent a priori faibles". Le mot "incendie" n’apparaît pas dans son article. Tol reconnaît ce problème, en écrivant que "des surprises négatives devraient être plus fréquentes que les surprises positives" et qu’"il est relativement facile d’imaginer un scénario catastrophe pour le changement climatique", mais il ne va guère plus loin.

Mais en outre, les calculs de Tol se sont révélés erronés. En 2014, il eut à publier un correctif quand il s’avéra qu’il s'était trompé sur le signe de certains chiffres, ce qui l’avait amené à compter des coûts du changement climatique comme des bénéfices (oups !). Il avait également commis une erreur de codage qui l’amena à ignorer certaines données. (…) Andrew Gelman et d’autres trouvèrent tout un lot d’erreurs supplémentaires dans les données, l’analyse et le modèle de Tol. En 2015, la revue publia un nouveau correctif.

C’est évidemment déplorable, mais l’analyse bâclée de Tol fit son chemin dans les conversations de politique publique. En 2009, il publia une tribune intitulée "Why worry about climate change?". Les Républicains du Sénat le classèrent dans leur liste de climato-sceptiques. En 2013 (…), les travaux de Tol furent utilisés par des chroniqueurs conservateurs pour affirmer que le changement climatique est bon pour la planète.

Tol n’est-il qu’un cas isolé ? Il est difficile de trouver des travaux aussi piètres que son article de 2009, mais plusieurs des mêmes erreurs qu’il a commises se retrouvent dans d’autres travaux en économie du climat. Par exemple, en 2011, Michael Greenstone et Olivier Deschenes publièrent un article à propos du lien entre changement climatique et mortalité (…). Leur approche consistait à mesurer les effets des températures sur les taux de mortalité en temps normal et à utiliser cette estimation pour prédire de quelle façon un réchauffement du monde affecterait la mortalité. Les auteurs firent la grave erreur, pourtant évidente, de supposer que le changement climatique n’affecterait la mortalité humaine que via ses effets sur la température : insolations, infarctus et ainsi de suite. Les mots "tempête", "feu" et "inondation" n’apparaissent pas dans l’article. Les auteurs mentionnent le fait que le changement climatique pourrait alimenter les épidémies, mais ils ne vont pas plus loin. Vers la fin de l’article, ils écrivent qu’"il est possible que l’incidence des événements extrêmes augmente et qu’ils puissent affecter la santé humaine. (…) Cette étude n’est pas équipée pour éclairer ces questions". (...)

Comment les mauvais travaux en économie du climat parviennent-ils à être publiés ? Beaucoup de gens pourraient rapidement penser que c’est politique, qu’il s’agit d’économistes conservateurs qui croient que les inquiétudes suscitées par le changement climatique sont un prétexte pour détruire le capitalisme, si bien qu’ils sont prédisposés à privilégier les résultats qui minimisent les potentiels dommages du changement climatique. Je ne sais pas dans quelle mesure ce phénomène existe, mais je pense qu’il y a d’autres bonnes raisons.

La première est l’effet lampadaire : les économistes se focalisent surtout sur ce qu’ils peuvent mesurer et tendent à délaisser ce qu’ils ne peuvent mesurer. La deuxième est la compartimentation : les économistes ne sont pas du genre à faire appel à des climatologues pour réaliser une étude. Si vous regardez les références dans l’un des articles de Deschenes et Greenstone, vous verrez très peu de références aux articles de climatologie ; en fait, il s’agit principalement de références à des articles d’économie. Pourtant, vous pourriez penser qu’une collaboration avec des scientifiques qui étudient le processus physique du changement climatique et ses effets sur la météo, l’agriculture et ainsi de suite est importante si l’on veut savoir quel sera l’impact économique du changement climatique, n’est-ce pas ? En tout cas, j’en suis arrivé à penser que ce genre d’études contribue à alimenter la conviction que les économistes du climat ne sont pas des experts à qui il faut se fier.

Les modèles DICE

S’il y a un économiste du climat qui est respecté plus que tout autre, c’est William Nordhaus de l’Université de Yale, qui gagna le Nobel d’économie en 2018 "pour avoir intégré le changement climatique dans l’analyse macroéconomique de long terme". Le comité a notamment cité la création par Nordhaus d’un "modèle d’évaluation intégré" permettant d’analyser les coûts du changement climatique. Le plus célèbre de ce type de modèle est le modèle DICE, utilisé par l’agence de protection de l’environnement aux Etats-Unis.

Mais le modèle DICE, ou du moins la version que nous avons utilisée pendant des années, pose problème. Comme le notait David Roberts en 2018, selon la version standard du modèle de Nordhaus, le coût économique d’une hausse de 6 °C des températures mondiales s’élèverait à 10 % du PIB. Or, comme le note Roberts, les climatologues croient qu’une telle hausse des températures rendrait la Terre essentiellement invivable. Une terre invivable coûterait bien plus que 10 % du PIB.

Les modèles de Nordhaus recommandent une hausse de 3,5 °C, ce qui est plus élevé que ce que le monde devrait connaître d’ici la fin du siècle si nous n’en faisons pas davantage. En d’autres termes, le modèle d’économie du climat d’un lauréat du Nobel recommande que le coût économique de n’importe quelle action que nous entreprendrions en plus que nous faisons déjà pour lutter contre le changement serait trop élevé.

C’est évidemment n’importe quoi, donc poursuivons et penchez-nous sur certains problèmes évidents que pose le modèle. Un premier problème avec les modèles DICE ou, du moins, avec les chiffres que Nordhaus a utilisés dans ses modèles DICE est qu’ils supposent un taux d’actualisation trop élevé. Le taux d’actualisation est le degré auquel nous ne nous inquiétons pas pour le futur : plus ce taux est élevé, moins nous nous inquiétions de ce qui se passera dans 20 ou 50 ans. Les modèles DICE tirent leur taux d’actualisation des taux d’intérêt, qui représentent le niveau d’inquiétude que nourrissent vis-à-vis de l’avenir les investisseurs financiers actuellement vivants. Si les achats obligataires des investisseurs financiers suggèrent qu’ils ne s’inquiètent aucunement que leurs arrière-petits-enfants vivent dans un enfer, alors le modèle DICE ne s’inquiète pas non plus.

Or il s’avère que la plupart des économistes pensent que ce n’est pas une bonne façon de sélectionner les taux d’actualisation. En 2016, David Roberts rapportait les résultats d’une enquête auprès des économistes montrant qu’ils soutenaient dans leur majorité l’usage d’un plus faible taux d’actualisation que le taux de marché, en raison des inquiétudes éthiques relatives à l’avenir de l’humanité (…). C’est bien sûr la bonne chose à faire et les économistes le savent, pourtant celui qui a été le modèle d’économie du climat le plus populaire pendant des années fut celui qui ignorait le bien-être des générations futures. (...)

Surtout, il y a une autre énorme faiblesse du modèle DICE : il se focalise sur le scénario le plus probable et ignore les risques extrêmes. Comme Richard Tol l’écrit, "les surprises négatives pourraient être plus probables que les surprises positives" en ce qui concerne le changement climatique et "il est relativement facile d’imaginer un scénario catastrophe pour le changement climatique". La possibilité que le changement climatique ait des effets bien plus pervers que nous ne le prévoyons devrait nous inquiéter et nous pousser à en faire davantage pour l’éviter. Il y a certaines choses que nous pouvons imaginer, mais auxquelles nous attachons une faible probabilité, comme les "points critiques" au-delà desquels le changement climatique devient cumulatif. Et il y a d’autres choses dont nous ne parvenons pas à prendre conscience avant qu’elles ne se produisent. (...)

Il y a un célèbre économiste qui a cherché à imaginer ces choses. Martin Weitzman a écrit en 2009 un article intitulé "On modeling and interpreting the economics of catastrophic climate change". Les équations sont complexes, mais l’idée est simple et facile à comprendre : s’il y a un risque qu’une énorme catastrophe se produise, alors l’analyse coût-bénéfices standard ne fait pas grand sens. Weitzman a écrit :

"Peut-être que finalement les économistes du changement climatique pourraient se rendre utiles en se préservant de présenter une estimation coûts-bénéfices pour ce qui est de façon inhérente une situation extrême avec une exposition à des pertes potentiellement sans limites comme si elle était précise et objective. (…) La netteté artificielle présentée par les analyses coûts-avantages des modèles d’évaluation intégrés conventionnels est particulièrement et exceptionnellement trompeuse en comparaison avec les situations plus ordinaires qui ne concernent pas le changement climatiques qui font habituellement l’objet d’analyses coûts-avantages."

Weitzman a essayé de nous prévenir. Alors que beaucoup s’attendaient à ce qu’il partage le prix Nobel avec Nordhaus, il a été snobé, ce qui constitue à mes yeux l’une des plus graves erreurs du comité. (...) »

Noah Smith, « Why has climate economics failed us? », 13 avril 2021. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Le réchauffement climatique pèse sur la croissance… surtout celle des pays pauvres »

« Le changement climatique n'épargnera pas la croissance à long terme des pays riches »

« L’impérieuse nécessité d’une relance verte »

« Les économistes sous-estiment les coûts du réchauffement climatique »

mardi 7 juillet 2020

Ce que la pandémie nous apprend sur nos priorités, notre planète et le mouvement décroissant

« Certains écologistes affirment depuis longtemps que la croissance économique doit être interrompue pour protéger la planète. La "décroissance" est brièvement définie par l’un de ses proposants, Riccardo Mastini, comme "l’abolition de la croissance économique comme objectif social". La décroissance représente l’idée selon laquelle nous ne pouvons suffisamment réduire les émissions de dioxyde de carbone via les nouvelles technologies, les incitations tarifaires ou même des investissements majeurs dans l’énergie et les systèmes de transport. La seule chose qui marchera est l’arrêt définitif de la croissance économique. La pandémie nous donne un aperçu de ce à quoi ressemble la fin de la croissance. Donc, quelles leçons devons-nous en tirer ?

Les confinements ont en effet fait chuter les émissions de dioxydes de carbone, mais moins que nous pourrions espérer. Le site de science climatique Carbon Brief estime que les émissions en 2020 sont susceptibles de chuter d’environ 5 ou 6 % relativement au niveau d’émissions de l’année dernière. Ce serait la plus forte chute enregistrée. Cela peut vous surprendre, mais ce n’est pas suffisant. Si cette baisse se poursuivait au même rythme jusqu’à la fin de la décennie, nous ne respecterions toujours pas les objectifs du programme environnement des Nations Unies en vue de contenir la hausse de la température mondiale à 1,5 degrés. (Une cible de 2 degrés serait plus facile à atteindre : il suffirait de cinq pandémies au cours de la prochaine décennie.)

Evidemment, il paraît impossible d’atteindre les cibles d’émissions via une décroissance brute. La misère humaine serait immense. Il y aurait alors un contrecoup politique. Relativement à la crise lente du changement climatique, les effets du coronavirus sont visibles et immédiats. Il tue des gens par milliers, chaque jour, souvent dans les villes les plus riches et célèbres au monde. Il devrait être facile d’amener les gens à se rallier à l’idée de faire des sacrifices pour battre l’épidémie. Pourtant, il y aurait toujours une minorité visible opposée à un quelconque sacrifice économique. Cela devrait énerver tous ceux d’entre nous qui s’inquiéteraient de la menace bien plus diffuse que représente le changement climatique.

Les politiques raffinées battent les politiques brutes. La raison pour laquelle nous nous sommes résolus à nous confiner était que nous n’avions pas développé de meilleures options. Nous n’avions pas de vaccin, nous n’avions pas de remède efficace et, dans plusieurs pays, nous ne pouvions même pas obtenir des choses de base comme des tests en masse, le traçage des contacts et des équipements protecteurs pour le personnel soignant.

Le raffiné bat aussi le brut en ce qui concerne le changement climatique. Nous pourrions bien sûr réduire nos niveaux de vie pour empêcher l’effondrement de l’écosystème, tout comme nous les avons réduits pour empêcher qu’il y ait des décès massifs avec l’épidémie de Covid-19. Mais ce serait aussi en dernier ressort, si nous admettons que nous n’avons pas d’alternative.

Nous avons en fait plein d’alternatives, bien que nous hésitons à les utiliser : les subventions à la recherche pour la technologie verte ; le soutien aux réseaux intelligents nécessaires pour exploiter des énergies solaire et éolienne à des coûts toujours plus faibles ; la tarification du carbone. Cette dernière a été dure à vendre, politiquement, mais je suis prêt à parier qu’elle passera mieux qu’une puissante dépression verte.

Bien sûr, certains écologistes opineraient du chef en entendant Greta Thunberg parler des "contes de fée de la croissance économique éternelle", mais la plupart seraient d’accord à l’idée que la priorité n’est pas de ramener la croissance du produit intérieur brut à zéro ou en territoire négatif, mais de réduire les émissions de pollution, de préserver les écosystèmes naturels et de garantir l’épanouissement et la liberté des êtres humains.

D’accord. Pourtant, si la fin de la croissance n’est pas l’objectif, mais le moyen pour atteindre une fin, est-ce que je pourrais suggérer que ce n’est pas un moyen très efficace ? "L’abolition de la croissance économique" marche bien comme slogan politique radical, mais quand nous cherchons des leviers de politique publique à actionner nous revenons à des impôts, subventions, investissements publics et réglementations spécifiques. Donc, pourquoi ne cessons-nous pas de parler de décroissance pour nous focaliser sur les politiques qui pourraient s’attaquer à la dégradation environnementale ?

Nous pourrions trouver que ces politiques, appliquées avec suffisamment de vigueur pour sauver la planète, auraient eu l’effet secondaire de ramener la croissance économique à l’arrêt. J’en doute. Mais pour le savoir, il faut le tenter ; nous pourrions être agréablement surpris en voyant comment l’activité économique peut être flexible et tout le bien que nous pouvons connaître tout en respectant les limites planétaires.

Ici, de nouveau, la pandémie est éclairante. Parce qu’à court terme, nous n’avions que très peu d’options, nous avons combattu l’épidémie avec les confinements. Ces derniers ont endommagé la croissance économique. Mais il n’y a pas d’ "épidémiologistes décroissants" affirmant que l’étranglement de l’activité économique est le but plutôt que l’effet secondaire malvenu et que les vaccins et le traçage des contacts sont des contes de fées racontés par les économistes néolibéraux.

L’épidémie nous a enseigné que notre mode de vie est plus vulnérable que nous pouvions le penser. Elle nous a enseigné l’importance de faire des sacrifices maintenant pour nous préparer à des risques prévisibles dans le futur. Elle peut même nous avoir rappelé qu’il n’est pas toujours utile de rouler pour aller au travail ou de traverser la moitié du monde en avion pour une conférence et nous avoir rappelé les joies de la marche ou du vélo dans des rues calmes.

Ces enseignements peuvent nous aider à faire face à la menace du changement climatique qui plane au-dessus de nous. Mais mes amis dans le gouvernement écologiste doivent assimiler une autre leçon : si la décroissance est la seule solution que nous ayons trouvée pour nos problèmes, peut-être que nous n’avons pas assez cherché. »

Tim Harford, « What the pandemic teaches us about our priorities, our planet, and the degrowth movement », 1er mai 2020. Traduit par Martin Anota

- page 2 de 8 -