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Environnement et ressources naturelles

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vendredi 11 octobre 2019

Martin Weitzman, cet économiste du changement climatique qui a bouleversé ma vision du monde

« J’ai lu beaucoup d’articles d’économie, mais je n’ai pas beaucoup lu d’articles d’économie qui me fassent réfléchir, qui me fassent dire "cela change tout". Mais Martin Weitzman en a écrit un. Je me souviens très bien de l’endroit où j’étais lorsque je l’ai lu. Même pour un intello comme moi, ce n’est pas habituel.

Le professeur Weitzman s’est donné la mort fin août. Il avait 77 ans et on dit qu’il s’inquiétait beaucoup de perdre sa lucidité.

La triste disparition de Weitzman m’a amené à réfléchir sur ce qui a pu, dans cet article, autant me frapper. C’était un commentaire à propos du rapport de Lord Nicholas Stern sur l’économie du changement climatique. Weitzman a gentiment démoli le rapport Stern ("exact pour de mauvaises raisons") et a présenté une vision alternative du problème.

Pour ceux d’entre nous qui pensent que le changement climatique nécessite une action ferme et urgente, il y a deux faits dérangeants à prendre en compte. Le premier est que ses répercussions les plus inquiétantes (notamment les déluges, les mauvaises récoltes et les maladies) vont mettre plusieurs décennies, voire plusieurs siècles, avant de pleinement se manifester. Le deuxième est que, dans la mesure où le monde s’est fortement enrichi, les générations futures sont susceptibles d’être bien plus riches que nous ne le sommes.

Ces deux faits dérangeants nous amènent à conclure qu’il ne faudrait pas faire quelque chose de trop cher à court terme.

Voici une petite analogie. Imaginez que je découvre un problème d’humidité encore naissant dans mon logement. Un expert me dit que si je dépense 1.000 euros aujourd’hui, cela économisera 5.000 euros à mes arrière-petits-enfants en travaux de réparation dans un siècle. A première vue, il semble que je devrais régler ce problème d’humidité. Après réflexion, il pourrait être égoïste que je dépense ainsi cette somme aujourd’hui. Il vaudrait mieux que je place 1.000 euros en Bourse pour le compte de mes arrière-petits-enfants. Avec un taux de rendement réel de 3 % par an, cette somme rapporterait 20.000 euros ; avec un rendement de 5 %, elle rapporterait 130.000 euros. Dans tous les cas, mes arrière-petits-enfants ne seraient-ils pas plus riches que je ne le suis, tout comme je suis bien plus riche que ne l’étaient mes arrière-grands-parents ? Pourquoi s’inquiéter ? Mes arrière-petits-enfants pourront facilement régler le problème.

Cette simplification excessive des complexités du changement climatique permet d’évoquer quelque chose d’important. L’appel à l’action lancé par Lord Stern dépend du fait que nos descendants très riches vivant dans un avenir très éloigné prennent un poids important dans nos calculs. Il est difficile (pas impossible, mais difficile), de concilier cela avec la façon par laquelle nous nous comportons concernant d’autres problèmes, personnels ou sociaux. Nous ne mettons tout simplement pas de côté les neuf dixièmes de notre revenu pour en faire bénéficier les générations futures.

Weitzman a été l’un des économistes les plus importants qui aient soulevé ce problème. Mais il nous a ensuite demandé d’envisager le risque d’effets d’emballement. Un exemple : à mesure que le permafrost arctique fond, un large volume de méthane, un puissant gaz à effet de serre, est susceptible de s’en échapper. D’autres économistes ont reconnu le problème des "risques extrêmes" (tail risks), qui ne sont pas pris en compte dans les scénarii considérés comme les plus probables, mais personne n’a autant réfléchi à ces risques que Weitzman.

Les estimations centrales peuvent nous tromper. Le scénario le plus probable est que le changement climatique va provoquer des dégâts significatifs, mais gérables, pour les générations futures. Par exemple, l’Organisation Mondiale de la Santé estime qu’entre 2030 et 2050, le changement climatique pourrait provoquer 250.000 morts supplémentaires chaque année, en raison de menaces comme la malaria, l’exposition aux fortes chaleurs et la malnutrition, un problème moins grave que la pollution de l’air locale et la pollution atmosphérique à l’intérieur des habitations, un problème qui tue 8 millions de personnes chaque année. Si nous nous focalisons sur la prévision centrale, c’est la pollution atmosphérique au niveau local qui devrait retenir l’essentiel de notre attention.

Ce n’est seulement que lorsque que nous prenons en compte le risque extrême que nous réalisons à quel point le changement climatique pourrait être dangereux. La pollution atmosphérique locale ne va pas éradiquer l’humanité. Le changement climatique ne le fera probablement pas non plus. Mais il le peut. Quand nous achetons une assurance, ce n’est pas parce que nous nous attendons au pire, mais parce que nous savons que le pire peut se produire.

La contribution qui ouvre vraiment les yeux (du moins pour moi) a été l’explication de Weitzman que le pire scénario possible doit avoir un poids important dans les calculs rationnels. S’il y a une chance infime que le problème d’humidité donne à mes arrière-grands-enfants une pneumonie fatale, je ne dois pas l’ignorer. Et mes arrière-grands-enfants ne voudraient pas que je l’ignore : probablement riches, ils seraient heureux de sacrifier une petite fraction de leur revenu pour éviter de mourir hâtivement. Mais ils n’ont pas le choix. C’est moi qui l’ai.

Weitzman a été un homme particulièrement ingénieux. D’autres de ses contributions célèbres ont étudié l’arbitrage entre les taxes des émissions polluantes et les permis d’émissions, le problème de l’"Arche de Noé" de ce sur quoi il faut se focaliser quand il s’agit de préserver la biodiversité et l’un des premiers arguments en faveur d’un partage des profits des entreprises avec leurs salariés.

"Si nous ne pensons pas qu’une idée mérite le prix Nobel, nous ne devrions pas travailler dessus", a-t-il dit à un collègue. Certains économistes diraient qu’il a atteint cette norme plus d’une fois. Et ils ont été surpris d’apprendre qu’il ne partageait pas le prix Nobel l’année dernière, lorsque William Nordhaus a été récompensé pour ses travaux dans le domaine de l’économie du changement climatique.

Néanmoins, le message des récents travaux de Weitzman a influencé les débats sur le changement climatique : il ne faut pas ignorer les scenarii extrêmes. Ce que nous ne savons pas à propos du changement climatique est bien plus important, et bien plus dangereux, que ce que nous en savons. »

Tim Harford, « How this climate change economist changed my world ». Traduit par Martin Anota

mardi 23 avril 2019

Et si la croissance même des pays développés appauvrissait l’Afrique ?

Dans une étude qui vient d’être publiée (dans les Proceedings of the National Academy of Sciences) sur les effets du changement climatique sur la croissance économique, Noah Diffenbaugh et Marshall Burke affirment, en utilisant un modèle complexe, que le changement de température dû aux émissions de CO2 a principalement affecté les pays pauvres et réduit cumulativement leur PIB de 17 à 31 % (entre 1961 et 2010). Le changement climatique a eu par conséquent tendance à creuser les inégalités entre pays pondérées en fonction de la taille de la population. Le résultat clé de leur étude est un graphique (panel B) reproduit ci-dessous qui montre que, en comparaison avec la situation sans changement climatique, les 10 % les plus pauvres de la population mondiale (plus exactement, le décile le plus pauvre de la population mondiale si les gens étaient classés par ordre croissant selon le PIB par tête de leur pays) ont perdu un quart de leur production, tandis que les pays riches en ont gagné approximativement 25 %.

Diffenbaugh_Burke__rechauffement_climatique_PIB_par_tete_croissance.png

Il est impossible de comprendre tous les ressorts du modèle à partir d’un bref texte de quelques pages, mais d’après ce que je lis il se fonde sur trois liens clés. Premièrement, la hausse des émissions de carbone a provoqué une hausse des températures à travers le monde. Deuxièmement, la hausse de la température est inégale d’un pays à l’autre. Troisièmement, la hausse de la température est particulièrement mauvaise pour les pays situés au niveau des tropiques qui souffrent déjà d’un climat chaud et d’événements climatiques extrêmes comme les sécheresses, les tempêtes, etc. Comme les deux auteurs l’écrivent, "le réchauffement climatique a réduit la croissance économique et le PIB par tête" des pays pauvres parce que "la température moyenne de (…) plusieurs pays pauvres se situe dans l’extrémité supérieure de la répartition des températures" qui est trop élevée pour l’activité économique.

Entre les trois liens, le plus difficile à prouver est selon moi le troisième : le fait que le changement climatique (plus exactement, la hausse des températures) puisse être responsable du ralentissement de la croissance des pays pauvres (essentiellement en Afrique). Notez que si elle est exacte, cette affirmation impliquerait une théorie de la croissance largement tirée par la géographie et le climat. Si la récente hausse des températures en Afrique a davantage éloigné le continent de la température optimale pour l’activité économique (qui est de 13 degrés Celsius selon le modèle des auteurs), alors le fait que l’Afrique ait été plus chaude que la température optimale avant même que quiconque n’entende parler de changement climatique doit historiquement avoir eu des effets négatifs sur la croissance africaine.

Nous faisons donc face ici à une variante des théories de la croissance économique qui mette l’accent non seulement sur des facteurs exogènes et la géographique (comme les rivières navigables, les montagnes impassables), mais aussi sur des facteurs géographiques exogènes spécifiques comme le climat. La régression de la croissance (la troisième étape) rapportée dans l’étude frappe par sa simplicité. C’est une régression de panel à effets fixes de pays où le taux de croissance d’un pays dépend de sa température et de ses précipitations courantes (deux variables linéarisées et mises au carrée), des effets fixes de pays et temporels… et de rien d’autre ! Pas d’emploi, de capital, pas de taux d’épargne, pas d’institutions, pas de guerres civiles…

(…) Les explications climatologiques ont été utilisées pour plusieurs choses : de Montesquieu qui pensait que le climat expliquait les différences entre systèmes politiques à Paul Bairoch à propos de la non-transmission de la révolution agricole. Mais supposons que cette explication soit exacte et qu’en effet, comme l’affirment les auteurs, le changement climatique était responsable du ralentissement de la croissance des pays pauvres. Cela aurait d’énormes conséquences (que les auteurs ne mentionnent toutefois pas dans leur article). Puisque le changement climatique est impulsé par les émissions historiques des pays actuellement développés (l’effet stock) et par leurs émissions actuelles et celles de la Chine (l’effet flux), cela signifie que la croissance du Nord est directement responsable du manque de croissance dans le Sud. L’implication est assez extraordinaire. Par le passé, les théoriciens de la dépendance suggéraient que le "centre", le Nord, aggravait le sous-développement du Sud via une division du travail qui ne laissait au Sud que la possibilité de produire des biens agricoles ; ou que le Nord n’aidait que quelques régions du Sud à se développer tout en laissant le reste sous-développé. De telles théories voyaient la solution dans le découplage avec le Nord.

Mais le point important à noter est que dans ces théories l’intégration du Nord et du Sud a été mauvaise pour le Sud ; dans les nouvelles "théories climatiques", c’est simplement le fait que le Nord croisse qui est mauvais. Il n’a pas besoin d’interagir avec le Sud. La croissance du Nord appauvrit le Sud. C’est assez extraordinaire. Ce n’est pas le fait que j’exploite quelqu’un qui conditionne ma richesse ; c’est ma richesse en tant que telle (acquise sans interaction avec la partie lésée) qui est une mauvaise nouvelle pour quelqu’un d’autre (en l’occurrence ici, l’Afrique).

De plus, cela signifie que la croissance du Nord rend complique la réduction de la pauvreté africaine, voire rend impossible son élimination. Si nous croyions les auteurs, alors chaque point de pourcentage de PIB supplémentaire dans le Nord détériore les conditions en Afrique et complique davantage la réduction de la pauvreté.

Donc, pour l’élimination de la pauvreté mondiale, nous avons besoin d’une réduction drastique des émissions, ce qui signifie une réduction absolue des revenus dans le Nord, donc un taux de croissance négatif des pays riches.

Je laisse au lecteur l’opportunité de réfléchir sur la faisabilité politique d’une telle solution (j’ai déjà écrit sur ce sujet par le passé, ici et là), mais je pense qu’il est crucial de prendre conscience de l’énormité des implications de ces résultats. Maintenant, que les résultats fassent sens ou non, que le niveau de température en soi soit un facteur explicatif significatif du développement économique, sont des choses à vérifier. Peut-être faut-il davantage de régressions de panel de la croissance économique ? Je pensais que nous les avions laissées avec les années quatre-vingt-dix, mais peut-être que je me trompais. »

Branko Milanovic, « And if growth in the North by itself makes Africa poorer? », in globalinequality (blog), 22 avril 2019. Traduit par Martin Anota

jeudi 24 novembre 2016

L'état du climat en 2016

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source : The Economist (2016)

vendredi 22 janvier 2016

2015 a été l'année la plus chaude

GRAPHIQUE Ecart des températures à la surface du globe par rapport à leur moyenne au vingtième siècle (en °C)

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source : The Economist (2016), d'après les données de l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique

mercredi 9 décembre 2015

Avec le ralentissement chinois, les émissions de CO2 devraient atteindre un pallier en 2015

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source : The Economist (2015), d'après l'étude de Robert B. Jackson, Josep G. Canadell, Corinne Le Quéré, Robbie M. Andrew, Jan Ivar Korsbakken, Glen P. Peters et Nebojsa Nakicenovic, « Reaching peak emissions », in Nature Climate Change, décembre 2015

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