Annotations

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Inflation, déflation

Fil des billets

jeudi 28 décembre 2023

Salaires et inflation : laissez les travailleurs tranquilles !

« L'actualité de la semaine dernière est le fossé qui s'est ouvert entre la banque centrale américaine, la Fed, et les banques centrales européenne et britannique. Apparemment, les trois institutions ont adopté la même stratégie, en décidant de laisser les taux d'intérêt inchangés face à la baisse de l'inflation et au ralentissement de l'économie. Mais pour les banques centrales, ce que vous dites est tout aussi important que ce que vous faites ; et tandis que la Fed a annoncé que dans les mois à venir (sauf surprise, bien sûr) elle commencerait à desserrer les rênes en réduisant son taux d'intérêt, la Banque d'Angleterre et la BCE ont refusé d'annoncer des baisses de taux d'intérêt dans un avenir proche.

Pour comprendre pourquoi la BCE reste faucon, on peut lire l'entretien accordé au Financial Times par le gouverneur de la Banque centrale de Belgique, Pierre Wunsch, l'un des partisans de la ligne dure au sein du Conseil de la BCE. Wunsch affirme que, même si les données sur l’inflation sont bonnes (il convient également de noter que, comme beaucoup le disent depuis des mois, l’inflation continue de baisser plus rapidement que ne le prévoient les prévisionnistes), la dynamique des salaires est une source d’inquiétude. Dans la zone euro, en effet, ceux-ci ont augmenté de 5,3 % au troisième trimestre 2023, le rythme le plus élevé de ces dix dernières années. Le gouverneur belge évoque le risque que cette augmentation des salaires pèse sur les coûts des entreprises, les poussant à augmenter les prix et suscitant de nouvelles revendications salariales ; aussi longtemps que la croissance des salaires n’est pas maîtrisée, conclut Wunsch, il faudra continuer d'appuyer sur le frein. De nouveau, cette orientation restrictive est justifiée par le risque d’une spirale prix-salaires qui, jusqu’à présent, ne s’est jamais concrétisé, bien qu’il soit évoqué par les partisans de la hausse des taux d'intérêt depuis 2021. Ceux qui, comme Wunsch, craignent une spirale salaires-prix, citent l’expérience des années 1970, lorsque la hausse des salaires avait effectivement alimenté une inflation de plus en plus hors de contrôle. La comparaison semble pertinente à première vue étant donné que, dans les deux cas, c’est un choc externe (énergétique) qui a déclenché la hausse des prix. Mais en fait, il n’était pas nécessaire d’attendre que l’inflation baisse pour comprendre que le risque d’une spirale salaires-prix était surestimé et utilisé par beaucoup comme un instrument. En fait, en comparaison avec les années 1970, beaucoup de choses ont changé. J'en parle en détail dans mon livre Oltre le Banche Centrali, récemment publié par les éditions Luiss University Press (en italien) : les mécanismes d'indexation automatique ont été abolis, le pouvoir de négociation des syndicats a considérablement diminué et, en général, la précarisation du travail a réduit la capacité des travailleurs à voir leurs revendications satisfaites. Pour ces raisons et d’autres encore, la corrélation entre les prix et les salaires s’est considérablement réduite au cours de trois décennies.

Mais les années 1970 constituent en réalité l’exception, pas la norme. Une récente étude réalisée par des chercheurs du Fonds monétaire international examine les données historiques et montre que, par le passé, les poussées inflationnistes ont généralement été suivies d'un retard dans l'évolution des salaires. Ceux-ci ont tendance à varier plus lentement que les prix, de sorte qu'une augmentation de l'inflation n'est pas suivie d'un ajustement immédiat des salaires et qu'il y a dans un premier temps une réduction du salaire réel (le salaire ajusté au coût de la vie). Lorsqu’à moyen terme les salaires rattrapent enfin les prix, le salaire réel revient au niveau d’équilibre, aligné sur la croissance de la productivité. Si la même chose devait se produire en ce moment, disent les chercheurs du FMI, nous devrions non seulement nous attendre, mais aussi espérer que la croissance des salaires nominaux continue à être forte pendant un certain temps à l’avenir, maintenant que l’inflation est revenue à des niveaux raisonnables : en regardant les données publiées par Eurostat, nous observons que pour la zone euro, les prix ont augmenté de 18,5 % du troisième trimestre 2020 au troisième trimestre 2023, tandis que la croissance des salaires s'est arrêtée à 10,5 %. Les salaires réels, une mesure du pouvoir d'achat, ont donc baissé de 8,2 %. L'Italie se démarque : elle a connu une évolution similaire des prix (+ 18,9%), mais une quasi-stagnation des salaires (+ 5,8%), de sorte que le pouvoir d'achat s'est effondré de 13 %.

Les choses sont pires que ne le montrent ces chiffres. Premièrement, pour que la convergence soit considérée comme accomplie, les salaires réels devront augmenter au-delà des niveaux de 2021. Dans les pays où la productivité a augmenté ces dernières années, le nouveau niveau d’équilibre des salaires réels sera plus élevé. Deuxièmement, même lorsque les salaires se sont réalignés sur la croissance de la productivité, il restera un écart à combler. Durant la période actuelle de transition, quand les salaires réels sont inférieurs au niveau d’équilibre, les travailleurs subissent une perte de revenu qui ne sera pas compensée (à moins que le salaire réel n’augmente plus que la productivité pendant un certain temps). De ce point de vue, il est donc important non seulement que l’écart entre les prix et les salaires soit refermé, mais aussi que cela se produise le plus rapidement possible.

En bref, contrairement à ce que beaucoup prétendent (plus ou moins de bonne foi), le fait qu’à l’heure actuelle les salaires augmentent plus que les prix n’est pas le début d’une dangereuse spirale salaires-prix, ni l’indicateur d’un retour de l’inflation ; il s’agit plutôt de la deuxième phase prévisible d’un processus de rééquilibrage qui, comme le soulignent les chercheurs du FMI, est non seulement normal, mais également nécessaire.

La conclusion mérite d’être soulignée aussi clairement que possible : si la BCE ou les gouvernements nationaux tentaient de limiter la croissance des salaires par des politiques restrictives, ils n’agiraient pas seulement contre les intérêts de ceux qui ont payé le prix le plus élevé pour le choc inflationniste ; d’une manière contre-productive, ils empêcheraient aussi l’ajustement de s’achever et retarderaient la fin du choc inflationniste. »

Francesco Saraceno, « Wages and inflation: Let workers alone », in Sparse Thoughts of a Gloomy European Economist (blog), 20 décembre 2023. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Doit-on s’attendre à une spirale inflationniste ? »

« Faut-il s’attendre à une boucle prix-salaires ? »

« Le conflit, cette cause de l’inflation trop souvent négligée par les économistes »

lundi 18 décembre 2023

Quelles leçons pouvons-nous tirer (pour l’instant) de la bulle inflationniste de 2021-2023 ?

« L'inflation a augmenté, mais à présent elle est en baisse. Pas seulement au Royaume-Uni, mais aussi un peu partout ailleurs. Quelles leçons macroéconomiques pouvons-nous en tirer et quelles questions subsistent encore ? Est-ce que "l’équipe transitoire" (team transitory) avait raison après tout ? Les banques centrales ont-elles été trop lentes à relever leurs taux ? Une fois qu’elles ont commencé à les relever, les ont-elles relevés trop vite ?

Un point préliminaire à souligner est que l’inflation n’est pas le coût de la vie. Une période où l’inflation augmente puis redescend signifie que les prix finissent par être beaucoup plus élevés à la fin de cette période qu’ils ne l’étaient initialement. Ceux dont les revenus n’ont pas suivi l’inflation ont vu leur situation se détériorer, peut-être considérablement. Pour ceux qui avaient déjà du mal à joindre les deux bouts, c’est un très grave problème, qui n’a pas disparu avec la baisse de l’inflation.

Ce qu’il faut maintenant bien comprendre, c’est que cette période de forte inflation n’était pas seulement due aux prix élevés de l’énergie et des produits alimentaires. Il y a eu d’autres problèmes d’approvisionnement qui ont fait monter les prix, mais plus important encore, les tensions sur les marchés du travail dans la plupart des grandes économies étaient également fortes. Presque sans exception, le chômage en 2022 était plus faible qu’à tout autre moment de ce siècle aux États-Unis, en Allemagne, en France et au Royaume-Uni.

Cela signifie que toute augmentation des prix de l’énergie et des produits alimentaires était susceptible d’entraîner une certaine hausse de l’inflation des salaires. Cette dernière aurait à son tour rendu plus persistant le choc inflationniste provoqué par la hausse des prix des produits alimentaires et de l’énergie, car les entreprises qui ne produisent pas d’énergie ou de produits alimentaires répercuteraient une grande partie de l’augmentation du coût du travail sur leurs prix de vente. Pour éviter que cela ne se transforme en une augmentation permanente de l’inflation, les banques centrales aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans la zone euro ont augmenté leurs taux directeurs.

Les banques centrales ont-elles été trop lentes pour relever les taux d’intérêt ? Il est important de comprendre que les banques centrales ne peuvent pas et ne doivent pas toujours essayer de maintenir l’inflation à un niveau cible. Lorsque le prix relatif des matières premières augmente, il serait extrêmement préjudiciable d’essayer de réduire tous les autres prix afin que l’inflation globale n’augmente pas. Il devait y avoir une bulle inflationniste en 2021-2023. La question est de savoir si les banques centrales auraient pu la modérer davantage qu’elles ne l’ont fait.

Il est également important de rappeler qu’en 2021, la principale préoccupation était, avec raison, d’assurer une reprise complète après la pandémie. Rares sont ceux qui avaient anticipé l’ampleur du choc inflationniste (c’est-à-dire anticipé que la Russie reprendrait son invasion de l’Ukraine ou qu’il y aurait autant de goulots d’étranglement du côté de l’offre) et, avec la pandémie, il a été plus compliqué de jauger la situation du marché du travail. Mon propre point de vue, et contrairement à beaucoup d’autres (...), est que les banques centrales ont eu raison de retarder la hausse des taux jusqu’en 2022. Une fois qu’elles ont compris que la reprise après la pandémie avait été forte et que, par conséquent, le marché du travail était tendu, elles ont agi en augmentant les taux assez rapidement.

Le fait que l’inflation diminue maintenant assez rapidement suggère que les banques centrales en ont fait suffisamment pour empêcher que le choc sur les prix de l’énergie et des produits alimentaires ne conduise à une inflation durablement plus élevée. Ce que nous ne savons pas encore, c'est si elles en ont fait de trop, car le décalage entre la hausse des taux d'intérêt nominaux et la baisse de l'activité économique peut être assez long (1). Néanmoins nous pouvons souligner un point important.

Lorsque l’inflation était proche de son pic, certains économistes (appelons-les les "pessimistes de l’inflation") affirmaient qu’une période significative d’activité économique déprimée serait nécessaire pour ramener l’inflation à un niveau proche de l’objectif de 2 %. Ce n’est que lorsque le chômage sera nettement plus élevé qu’il ne l’est aujourd’hui, suggèrent-ils, que l’inflation des salaires commencera à retomber vers des niveaux compatibles avec l’objectif de 2 %.

Nous savons maintenant que cet argument est certainement faux. L’inflation des salaires a diminué aux États-Unis et ailleurs sans augmentation significative du chômage. Bien sûr, le chômage peut encore augmenter en raison de l’effet différé de la hausse des taux d’intérêt, mais il est un peu exagéré de suggérer, dans le cas des États-Unis tout du moins, que la baisse de l’inflation des salaires est une réponse aux anticipations d’un chômage supérieur à sa tendance.

Ce qui n’est pas souvent discuté, c’est que la théorie macroéconomique actuelle ne suggère pas qu’une période de chômage significativement plus élevée soit nécessaire pour réduire l’inflation des salaires. En ce sens, les pessimistes de l’inflation pourraient être accusés d’être démodés. L’idée selon laquelle "si cela ne fait pas mal, cela ne marchera pas" vient d’une courbe de Phillips traditionnelle, selon laquelle ceux qui fixent les prix et salaires ne prennent en compte que l’inflation passée lorsqu’ils forment des anticipations quant à l’inflation future. Le point clé lorsqu’une banque centrale tente d’atteindre un objectif d’inflation est que ceux qui fixent prix et salaires prennent en compte les actions de cette banque centrale lorsqu’ils forment leurs anticipations.

Si la banque centrale a de la crédibilité (un mot souvent mal utilisé signifiant simplement ici que les banques centrales réussiront à atteindre leur objectif d’inflation), alors cela ancre les anticipations d’inflation future à la cible d’inflation. Ceux qui fixent les salaires et les prix savent que l’inflation reviendra à 2 % une fois que les chocs inflationnistes auront disparu ou que l’excès de demande aura été éliminé et ils forment donc leurs anticipations en conséquence. Dans cette situation, il n’est pas nécessaire de connaître une période d’excès d’offre de travail (c’est-à-dire de chômage) ou de biens pour faire baisser l’inflation. Pour reprendre un autre cliché macroéconomique très galvaudé, des atterrissages en douceur sont tout à fait possibles et devraient être ce que recherchent les banques centrales.

Bien sûr, les banques centrales peuvent toujours se tromper. Il se peut qu’elles n’en fassent pas assez pour éliminer l’excès de demande, auquel cas l’inflation restera supérieure à la cible. Elles pourraient également en faire trop pour dégonfler la demande, ce qui entraînerait une période d'excès d’offre, ce qui pourrait conduire à une inflation inférieure à sa cible. Cette deuxième possibilité est encore très réelle au Royaume-Uni et en Europe, même si elle semble moins probable aux États-Unis.

Comme le montrent De Grauwe et Yi, il a été beaucoup plus facile de faire baisser l’inflation dans les années 2020 que dans les années 1970. Cela s’explique en partie par le fait que le choc inflationniste a été de plus courte durée (les prix du gaz ont chuté et les perturbations pandémiques dans l’approvisionnement sont terminées, même si les prix des produits alimentaires restent élevés), de sorte qu’une contraction permanente de l’offre n’a pas été nécessaire. Cependant, c’est aussi parce que nous avons désormais des banques centrales indépendantes avec des cibles d’inflation et un historique récent où l’inflation a été proche de la cible (ces banques centrales ont donc de la crédibilité).

Si les pessimistes de l'inflation, qui pensaient qu'une période d’excès d’offre et de chômage plus élevé était nécessaire pour faire baisser l'inflation, se sont trompés, l'équipe transitoire a-t-elle eu raison ? Eh bien, cela dépend de ce que "l’équipe transitoire" a cru et dit. Par souci d’explication, définissons l’équipe transitoire comme désignant ceux qui disaient que l’inflation serait revenue à l’objectif sans la forte augmentation des taux d’intérêt que nous avons connue.

Cette question est difficile à juger, car nous ne savons pas quelle aurait été la trajectoire de l’inflation si les banques centrales n’avaient pas autant augmenté leurs taux directeurs. (…) Beaucoup de choses dépendront de l’évolution de l’activité économique et de l’inflation d’ici un an. Il semble y avoir deux possibilités et il se pourrait que les grandes économies finissent par illustrer les deux cas.

La première possibilité est que l’économie réalise un atterrissage en douceur : l’inflation se rapproche de la cible sans aucun ralentissement économique par rapport à la tendance. Si cela se produit, cela suggère que la hausse des taux d’intérêt était nécessaire et, en ce sens, l’équipe transitoire avait tort (2). La deuxième possibilité est que l’activité économique soit déprimée et que l’inflation soit inférieure à sa cible de 2 %. Dans ce cas, les banques centrales auront exagéré dans leur resserrement monétaire et l’équipe transitoire pourrait bien avoir eu raison.

Tout indique que pour les États-Unis un atterrissage en douceur est plus probable qu’improbable. Si cela se produit, alors les pessimistes de l’inflation et l’équipe transitoire auront eu tort et la Fed (la banque centrale américaine) aura très bien fait. Pour le Royaume-Uni et la zone euro, il est trop tôt pour dire si nous connaîtrons ou non un atterrissage en douceur. Mais aux États-Unis au moins, il semble pour le moment que les experts de la banque centrale soient plutôt meilleurs dans la gestion de l’inflation que de nombreux experts extérieurs. Ce n’est pas une conclusion populaire à ma connaissance, mais elle n’est peut-être pas non plus surprenante.

(1) Cela s’explique en partie par le fait que l’activité économique est influencée par les taux d’intérêt réels (taux nominaux moins inflation anticipée). Ce n’est que maintenant, avec la baisse de l’inflation, que les taux réels deviennent positifs.

(2) Cela suppose que des taux d’intérêt plus élevés réduisent la demande globale. Comme je l’ai soutenu ici, les données empiriques vont dans ce sens. »

Simon Wren-Lewis, « Lessons (so far) from the inflation bubble of 2021-3 », in Mainly Macro (blog), 12 décembre 2023. Traduit par Martin Anota

lundi 25 septembre 2023

Etats-Unis : une inflation maîtrisée sans douleur ?

« Les prix à la consommation ont augmenté de 3,7 % entre août 2022 et août 2023. Même si l’inflation dépasse toujours ses niveaux prépandémiques et la cible de 2 % d’inflation de la Réserve fédérale, elle a fortement chuté depuis le pic de 8,9 % (en rythme annualisé) qu’elle a atteint en juin 2022, la plus forte chute qui ait été enregistrée en-dehors d’une récession. (…) Qu’est-ce qui explique la décélération abrupte de l’inflation ? Pourquoi le domptage de l’actuel épisode d’inflation n’a-t-il pas impliqué de récession jusqu’à présent ?

Une source d’inflation est le déséquilibre entre le montant que les entreprises, les ménages et le gouvernement désirent dépenser et ce que l’économie peut produire. Suite à la pandémie de Covid-19, les programmes de soutien du gouvernement fédéral ont contribué à une hausse brutale du revenu disponible personnel, ce qui a accrut la demande des ménages en biens et services. Les taux d’intérêt et l’assouplissement quantitatif de la Réserve fédérale ont aussi soutenu les dépenses en augmentant les prix d’actifs et en réduisant les coûts d’emprunt. Parallèlement, les perturbations des chaînes d’approvisionnement (…) et la chute de trois points de pourcentage du taux d’activité ont réduit la capacité de l’économie à produire les biens et services que les ménages et les entreprises désiraient acheter.

La dissipation des pressions inflationnistes temporaires a contribué à la chute de l’inflation. Suite à la période post-pandémique de croissance rapide alimentée par la relance, la croissance des dépenses de consommation est retournée à sa tendance prépandémique et les dépenses d’investissement du secteur privé ont atteint un plateau. La hausse de 5,25 points de pourcentage du taux des fonds fédéraux au cours des 18 derniers mois a probablement contribué au ralentissement dans ces catégories dépenses sensibles au taux d’intérêt. Le taux d’activité a rebondi et se rapproche de son niveau prépandémique. Les prix des produits de base ont chuté de 8 % depuis juin 2022, ce qui réduit le coût de production de certains biens et services. Et, signe d’un assouplissement des perturbations d’approvisionnement, les coûts de transport containerisé en cargo ont chuté de 85 % depuis leur pic post-pandémique en septembre 2021.

Les anticipations d’inflation importent aussi. Les hausses de prix temporaires peuvent mener à une inflation persistante si elles affectent les anticipations. Quand les prix ne s’ajustent qu’infréquemment, les entreprises vont fixer leurs prix en se basant sur les coûts futurs probables et leurs anticipations de la situation du marché les mois suivants. De même, parce que les salaires ne sont pas négociés fréquemment, les travailleurs vont négocier pour obtenir des hausses de salaires de façon à compenser les hausses du coût de la vie qu’ils anticipent. En conséquence, les hausses de prix peuvent devenir autoréalisatrices et ce qui aurait sinon été une hausse transitoire de l’inflation va persister pour une période plus longue.

Jusqu’à la fin des années 1990, les anticipations d’inflation réagissaient fortement aux variations de l’inflation. Par conséquent, la hausse de l’inflation dans les années 1970 entraîna une révision immédiate, presque de la même ampleur, des prévisions d’inflation à moyen terme (cf. graphique). Le graphique montre le taux d’inflation sur quatre trimestres (…) sur l’axe horizontal et la prévision médiane sur un an tiré du Survey of Professional Forecasters, un indicateur des anticipations d’inflation à moyen terme, sur l’axe vertical. Du premier trimestre 1976 au quatrième trimestre 1998, la pente de la droite de régression implique qu’une hausse d’un point de pourcentage de l’inflation au cours des quatre trimestres précédents amenait les prévisionnistes à réviser leurs anticipations de l’année suivante de 0,8 points de pourcentage en moyenne. Le graphique représente aussi des baisses des anticipations d’inflation dans les années 1980 et 1990 provoquées par les chutes de l’inflation qui suivirent les récessions de 1981-1982 et de 1990-1991.

GRAPHIQUE Inflation observée et anticipée aux Etats-Unis

Kuttner__inflation_anticipations_previsions_Etats-Unis.png

Les anticipations d’inflation sont devenues plus stables après 1999. Sur le graphique, la droite de régression pour la période allant du premier trimestre 1999 au quatrième trimestre 2020 est bien moins pentue que celle de la période antérieure à 1999. La pente indique qu’une hausse d’un point de pourcentage du taux d’inflation entre 1999 et 2020 amenait les prévisionnistes à réviser leurs prévisions de seulement 0,2 points de pourcentage en moyenne. Il y a des éléments empiriques suggérant que les anticipations sont devenues mieux "ancrées" dans le sens où elles sont devenues moins sensibles à l’inflation.

Les anticipations sont restées stables au cours des trois dernières années, malgré la hausse postpandémique de l’inflation. Chose remarquable, les points du graphique qui correspondent à la période allant du premier trimestre 2021 au deuxième trimestre 2023 collent à la ligne de régression de la période allant de 1999 à 2020. Cela suggère que les anticipations d’inflation sont restées bien ancrées depuis la pandémie, malgré le fait que l’inflation ait connu sa plus rapide accélération depuis les années 1970.

L’engagement de la Réserve fédérale à la stabilité des prix peut expliquer pourquoi les anticipations d’inflation sont restées ancrées. Le mandat de la Fed, tel qu’il est stipulé dans le Federal Reserve Act, consiste à rechercher "l’emploi maximal et des prix stables". Jusqu’à assez récemment, cependant, ces objectifs n’avaient pas été explicitement explicités ; il n'y avait pas non plus de clarté quant à savoir lequel des deux aurait la priorité sur l’autre. Mais à partir de la fin des années 1980, Alan Greenspan, alors président de la Fed, a indiqué de plus en plus clairement que la Fed donnerait la priorité à la stabilité des prix, puis le comité fédéral d’open market (FOMC) a annoncé explicitement en 2012 une cible de taux d’inflation. On estime que ces changements ont permis de mieux ancrer les anticipations d’inflation et de réduire la persistance de l’inflation.

Une combinaison de chance et de bonnes politiques économiques expliquent le reflux rapide des pressions inflationnistes. La chance a joué dans la mesure où la pandémie de Covid-19 n’a pas laissé de cicatrices permanentes du côté de l’offre de l’économie : les coûts en intrants ont chuté, le taux d’activité a rebondi et les chaînes de valeur se sont réparées. La bonne politique a été la réaffirmation catégorique de la Fed quant à son engagement envers la stabilité des prix. Son engagement semble avoir été suffisamment crédible pour maintenir les anticipations d’inflation ancrées, malgré un délai inhabituellement long entre les premiers signes d’accélération de l’inflation au printemps 2021 et le début du resserrement monétaire en mars 2022. En conséquence, la théorie selon laquelle il ne peut y avoir de désinflation sans souffrance pourrait être moins pertinente que par le passé. Autrement dit, une récession ne s’avère peut-être pas nécessaire pour ramener l’inflation à la cible de 2 % d’inflation de la Fed. »

Kenneth Kuttner, « Taming inflation: No pain no gain? », 20 septembre 2023. Traduit par Martin Anota



« La Fed peut-elle réduire l’inflation sans provoquer de récession ? »

« La Fed a-t-elle souvent réussi à faire atterrir en douceur l'économie américaine ? »

« Une désinflation sans récession ? »

« Comment peut-on expliquer la hausse de l’inflation américaine depuis la pandémie ? »

« Pourquoi l’inflation est plus forte aux Etats-Unis que dans les autres pays développés ? »

« Pourquoi l'inflation est-elle si faible et stable ? »

lundi 3 juillet 2023

L’inflation est un problème politique

« Pourquoi l’inflation est-elle un problème ? Je pose cette question car la réponse du sens commun est erronée et la réponse standard des économistes obsolète.

Vous pourriez penser que la réponse est évidente : l’inflation nous appauvrit. Non. Bien sûr, les salaires n’ont pas augmenté au même rythme que les prix, en particulier ceux des produits alimentaires et des carburants. Mais cela, à strictement parler, n’est pas de l’inflation. C’est un changement des prix relatifs. Si la hausse des factures de services est 17 points de pourcentage plus élevée que celle des salaires et celle des prix alimentaires 12 points de pourcentage plus élevée, nous aurions un problème même si les autres composantes de l’indice des prix à la consommation chutaient de telle manière que l’inflation globale reste faible.

La hausse des taux d’intérêt sur les prêts immobiliers n’est pas non plus un coût de l’inflation. C’est le coût des tentatives visant à réduire l’inflation. Et c’est une décision politique dans deux sens : une volonté de réduire l’inflation ; une volonté de réduire l’inflation via la hausse des taux d’intérêt plutôt que via d’autres moyens comme une hausse des impôts ou le contrôle des prix.

Nous définissons l’inflation comme une hausse du niveau général des prix, dans laquelle les prix et salaires augmentent au même rythme. Qu’y a-t-il de si mauvais avec cela ?

Pendant des années, la réponse standard parmi les économistes était : pas grand-chose, à moins que l’inflation ne soit pas anticipée. Milton Friedman écrivait : "Les inflations ou déflations anticipées ne produisent pas de transferts des emprunteurs aux créanciers qui poseraient une question d’équité. Le taux d’intérêt sur les titres valorisés en termes nominaux s’ajustent selon le taux d’inflation anticipé. Les inflations ou déflations anticipées n’ont pas à impliquer des frictions dans l’ajustement des prix. Chaque individu peut prendre en compte le changement anticipé du niveau des prix dans la fixation des prix des transactions futures. Finalement, les inflations ou déflations anticipées n’impliquent pas d’arbitrages entre inflation et emploi."

Et, en 1995, Robert Barro constatait que c’est seulement la forte inflation (supérieure à 15 %) que celle-ci a un impact statistiquement significatif en réduisant la croissance économique.

Alors pourquoi s’inquiéter à propos de l’inflation ? Une réponse pourrait être qu’elle augmente les impôts. (…) Je ne pense pas que ce soit un coût de l’inflation. C’est un coût lié au fait que le gouvernement a décidé de ne pas indexer les tranches fiscales.

Ce que Friedman avait en tête avec l’inflation anticipée était différent. Une inflation et des taux d’inflation plus élevés, disait-il, nous amènent à économiser en liquide ; parce qu’il ne porte pas d’intérêt, le liquide est d’autant plus cher que les taux d’intérêt sont élevés. Cela signifie que, au lieu de garder beaucoup de liquide dans nos portefeuilles, nous allons plus souvent à la banque retirer du liquide, ce qui signifie que nous gaspillons plus de temps à marcher et à faire la queue. Les économistes appellent cela les "coûts en chaussures". A la fin des années 1990, les économistes de la Banque d’Angleterre estimaient que ces coûts étaient assez significatifs, équivalents à 60 milliards de livres sterling à l’époque, soit l’équivalent de 120 milliards de livres sterling aujourd’hui.

Mais évidemment, c’est obsolète. Beaucoup d’entre nous utilisons rarement du liquide aujourd’hui ; la quantité de pièces et billets en circulation a baissé ces deux dernières années et je soupçonne qu’elle reste dans les coffres et pots plutôt qu’elle ne change rapidement de mains.

Si les coûts en chaussures ne sont plus significatifs à présent, qu’est-ce qui ne va pas avec l’inflation ? Peut-être pas grand-chose. Pendant de nombreuses années, de bons juges ont appelé à relever la cible d’inflation, au motif que les bénéfices d’une faible inflation sont faibles et plus que compensés par un coût, celui du risque que la faible inflation laisse place à la déflation et que les taux directeurs se retrouvent à leur borne zéro, privant la politique monétaire de son efficacité.

Je pense qu’il y a bien des raisons expliquant pourquoi l’inflation est une mauvaise chose. Tout d’abord, elle crée de l’incertitude. C’est peut-être la seule raison pour laquelle les inflations des années 1970 et de la fin des années 1980 ont été accompagnées d’une hausse du taux d’épargne des ménages. (…) L’inflation enrichit certains aux dépens des autres. Et elle ne le fait pas en fonction des contributions à la société, mais selon des facteurs comme l’évolution des taux d’intérêt réels, la nature fixe ou non des revenus (…) et, bien sûr, le pouvoir de négociation dont on dispose. Comme John Maynard Keynes l’écrivait : "Le spectacle de ce réarrangement arbitraire des richesses frappe non seulement la sécurité, mais aussi la confiance dans la répartition actuelle des richesses… et le processus d’enrichissement dégénère en un jeu de hasard, une loterie. Lénine avait certainement raison. Il n’y a pas de manière plus subtile, plus sûre de renverser les fondements d’une société que la corruption de sa monnaie."

Vous pourriez penser que c’est bienvenu d’un point de vue capitaliste. Ce n’est pas nécessairement le cas. Le capitalisme ne requiert pas simplement des conditions favorables pour faire du profit, mais aussi une légitimité. Et l’inflation sape cette légitimité en nous rappelant que l’idée selon laquelle les revenus dépendent de la productivité marginale est une fiction idéologique. Si le mécontentement ne s’est jusqu’à présent manifesté qu’à travers un soutien plus chaleureux envers un parti travailliste peu imaginatif (…), il n’est pas garanti que les gens restent si passifs si l’inflation persiste. L’inflation des années 1970 avait alimenté des discussions autour d’une "crise de la démocratie" et les hyperinflations qui avaient auparavant touché l’Europe ont eu des effets très pernicieux.

Du point de vue des rentions et de plus gros capitalistes (…), le capitalisme britannique a bien fonctionné durant l’ère de la faible inflation. Pourquoi risquer de faire chavirer le navire ? »

Chris Dillow, « Inflation: A political problem », in Stumbling & Mumbling (blog), 3 juillet 2023. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Et si les banques centrales ciblaient une inflation de 4 % ? »

« Quelle est la cible d’inflation optimale ? »

« Vingt-cinq ans de très faible inflation au prix d’un chômage excessif »

mercredi 12 octobre 2022

Les Etats-Unis et la zone euro ne font pas face aux mêmes défis dans la lutte contre l'inflation

« Les chiffres de l’inflation globale dans la zone euro et aux États-Unis sont assez similaires, dans l’intervalle des 8 à 9 %. Mais ces chiffres dissimulent d’importantes différences et, en raison de celles-ci, les implications sont différentes pour la politique monétaire et la lutte contre l’inflation. En résumé, la Réserve fédérale fait face à un plus gros problème que la Banque centrale européenne (BCE), ce qui va se traduire par une différence de trajectoire des taux d’intérêt pour un certain temps.

A propos de l’inflation

Il y a quatre grandes forces derrière l’inflation:

La première force tient aux tensions sur le marché du travail, le fait que le marché du travail soit en surchauffe ou en sous-régime. Le marché du travail américain est clairement en surchauffe ; ce n’est en général pas le cas des marchés du travail dans la zone euro.

La deuxième force correspond aux chocs sur les prix, des prix de l’énergie aux prix des produits de base en passant par les perturbations des chaînes de valeur, et à leurs effets de premier tour sur l’inflation. Pour les Etats-Unis, l’avenir semble s’éclaircir : les prix des produits de base sont à la baisse, les chaînes de valeur se reconstituent, les prix du pétrole peuvent ne pas décliner avec la décision de l’OPEP de réduire sa production, mais il est peu probable qu’ils augmentent beaucoup. Les nouvelles sont moins réjouissantes pour la zone euro, principalement en raison du prix du gaz (j’y reviendrai).

La troisième force correspond aux effets de second tour, via lesquels les chocs initiaux sur les prix se répercutent sur d’autres prix et sur les salaires nominaux, comme les travailleurs cherchent à reconstituer une partie du pouvoir d’achat qu’ils ont perdu. La croissance des salaires a été forte aux Etats-Unis, si bien qu’elle contribue de plus en plus à l’inflation sous-jacente. Elle a été bien plus modérée dans la zone euro.

La quatrième force est celle du "désancrage", c’est-à-dire du risque que l’inflation, à mesure qu’elle persiste, amène la population à remettre en question la crédibilité de la politique monétaire et de l’engagement de la banque centrale à ramener l’inflation à sa cible, ce qui peut entraîner une hausse autoréalisatrice de l’inflation. Jusqu’à présent, les nouvelles ont été bonnes des deux côtés de l’Atlantique : les anticipations d’inflation à long terme ont à peine changé.

Comment ces facteurs se combinent-ils ? Aux Etats-Unis, au cours des prochains mois, l’inflation globale peut diminuer, mais l’inflation sous-jacente rester trop forte, en raison de la surchauffe du marché du travail et de forts effets de second tour. Dans la zone euro, l’inflation globale est susceptible de s’aggraver, mais l’inflation sous-jacente devrait moins poser problème qu’aux Etats-Unis.

A propos de l’activité


En ce qui concerne l’activité économique, il y a également de claires différences entre les deux côtés de l’Atlantique.

Malgré l’énigmatique tension entre les chiffres du chômage et les chiffres du PIB, la demande sous-jacente aux Etats-Unis reste forte. La combinaison d’une forte inflation sous-jacente et d’une forte demande implique que la Fed va avoir à faire l’essentiel du travail pour freiner l’économie. Ce ralentissement ne va pas venir de lui-même.

Dans la zone euro, il y a plus de risques que la demande ralentisse par elle-même. Parce que la zone euro importe l’essentiel de son énergie, la hausse des prix a entraîné une forte baisse du pouvoir d’achat, qui va en partie se refléter dans la consommation et l’investissement. Parce que les programmes budgétaires liés à la Covid était moins importants qu’aux Etats-Unis, les ménages européens ont une plus faible épargne sur laquelle s’appuyer. Le principal problème tient aux effets probables d’une réduction de l’offre de gaz. Ils sont doubles, les effets sur les prix et les effets de rationnement.

La réduction de l’offre mène à des prix du gaz extrêmement élevés en Europe et, par implication, à des coûts d’électricité élevés. Laisser les ménages et les entreprises faire face à des prix de marché (temporairement mais extrêmement) élevés pourrait entraîner de graves problèmes de liquidité, des faillites inefficientes, de graves problèmes de répartition du revenu et des désordres politiques. A différents degrés, les gouvernements ont donc à réduire les coûts via une série de mesures budgétaires.

L’outil idéal dans ce cas serait que chaque consommateur puisse acheter un certain volume de gaz à un faible prix, pour ensuite acheter toute quantité supplémentaire aux prix du marché ou presque. Il est cependant difficile de trouver le bon volume pour chaque consommateur. Par conséquent, les gouvernements ont typiquement opté pour une combinaison de transferts ciblés et de réductions d’impôts ou des plafonnements de prix sans seuil. Ces actions ont réduit l’inflation (par exemple, de 2 ou 3 points de pourcentage dans le cas français). Comme davantage de pays adoptent de telles mesures, en premier lieu l’Allemagne, les effets des prix de marché du gaz sur l’inflation vont être moins forts que ce qu’ils auraient été en l’absence de ces mesures. Mais les réductions d’impôts et les plafonnements de prix réduisent les incitations à économiser l’énergie, si bien que cela accroît le risque de rationnement cet hiver.

Le rationnement (et son effet sur l’activité économique) constitue la plus grosse et la plus incertaine menace à laquelle l’Europe fait face cet hiver. (…) Malheureusement, même s’il serait mieux de rationner le gaz pour les ménages et de protéger la production, les contraintes technologiques impliquent que seul l’opposé est possible : il est possible de couper et de relancer le gaz fourni aux grosses entreprises, tandis que c’est presque impossible de le faire pour les petites entreprises et les ménages. Une source majeure d’incertitude est par conséquent de savoir quelles entreprises seront rationnées et ce que pourraient être les effets dérivés sur l’économie.

Bien que cette situation soit assez différente de l’expérience avec la Covid, on se souvient des effets étonnamment larges des perturbations des chaînes de valeur au cours de cette période. Le fait que nous en sachions peu s’est reflété dans la très large dispersion des prévisions de croissance pour l’année prochaine ; dans le cas de l’Allemagne, celles-ci vont de -0,7 % selon l’OCDE à -3,5 % selon la Deutsche Bank.

Même en prenant cette incertitude en compte, il est raisonnable de penser que la production est susceptible de chuter indépendamment de la politique monétaire et, par conséquent, que le chômage va probablement augmenter, ce qui ferait pression à la baisse l’inflation salariale. L’implication est que la BCE peut, contrairement à la Fed, ne pas avoir à freiner davantage la demande.

A propos des taux d’intérêt

Ces conclusions ont des implications directes pour la dynamique des taux d’intérêt. En raison de la surchauffe et de la forte demande sous-jacente, la Fed va devoir garder des taux d’intérêt élevés. Je pense que, même si les anticipations des marchés se sont largement ajustées, les taux d’intérêt peuvent augmenter davantage que ce que suggère la courbe des taux. La BCE, d’un autre côté, peut ne pas avoir besoin d’accroître autant ses taux d’intérêt. La BCE peut se souvenir de sa hausse des taux en réponse aux prix de l’énergie en 2008, qui a été largement perçue comme une erreur, et veiller à ne pas la reproduire. En fonction de ces trajectoires et des différentiels de taux d’intérêt qui en découlent, l’appréciation du dollar semble justifiée.

En ce qui concerne les tout prochains mois, on peut avoir deux motifs d’inquiétude, sur lesquels je vais brièvement me pencher. La protection des travailleurs et des entreprises se fait à un coût budgétaire substantiel, d’environ 2 % du PIB en moyenne. De telles actions vont pour l’essentiel être financées par endettement, ce qui va alimenter les inquiétudes des investisseurs financiers à propos de la soutenabilité de la dette publique. Pour le moment, et en faisant l’hypothèse que les prix du gaz et de l’électricité vont baisser d’ici un an, ces inquiétudes ne sont pas justifiées, même pour les pays comme l’Italie : parce que l’inflation est élevée, les taux d’intérêt réels sur la dette publique sont toujours bien plus faibles que les taux de croissance, si bien que la dynamique de la dette publique permet de larges déficits primaires avec peu ou pas de hausse des ratios d’endettement. Cependant, si les prix du gaz restaient extrêmement élevés pendant une période de temps bien plus longue, certains gouvernements feraient face à un choix difficile et pourraient avoir à réduire les mesures de protection à un coût politique élevé.

Je ne doute pas que la Fed et la BCE vont s’assurer à ce que l’inflation retourne à de faibles niveaux, voire à la cible initiale ; cela dit, je crois qu’elles pourraient finalement rechercher un chiffre plus élevé que les 2 %. Lorsque l’inflation baissera, les taux d’intérêt nominaux diminueront. La question, essentiellement pour l’évaluation de la marge budgétaire aujourd’hui, est de savoir ce qui va se passer pour les taux d’intérêt réels. Vont-ils se retrouver dans un nouveau régime, où ils resteront élevés, comme certains le croient, ou vont-ils revenir aux faibles niveaux prépandémiques ? Je pense que les facteurs qui ont mené aux faibles taux d’intérêt réels ces quarante dernières années sont toujours présents et je m’attends à un retour aux faibles nivaux, en-deçà des taux de croissance. Les problèmes de stagnation séculaire vont probablement revenir au premier plan, avec des implications pour les politiques budgétaire et monétaire. »

Olivier Blanchard, « The United States and the eurozone face different challenges in battling inflation », PIIE, Realtime Economic Issues Watch (blog), 11 octobre 2022. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Doit-on s’attendre à une spirale inflationniste ? »

« Pourquoi l’inflation est-elle plus forte aux Etats-Unis que dans les autres pays développés ? »

« La Fed peut-elle réduire l’inflation sans provoquer de récession ? »

- page 1 de 8