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lundi 16 août 2021

Quelles sont les meilleures mesures pour combattre l’épidémie de Covid-19 ?

« (…) Dans le contexte de vagues récurrentes d’infections au coronavirus et de mesures visant à les contenir, la littérature commence à tirer des leçons des différentes politiques mises en œuvre. Dans cette colonne, nous en tirons cinq, tout en soulignant qu’il est difficile de démêler les effets des différentes mesures, notamment celles de confinement, dans la mesure où elles ont été à l’œuvre simultanément ou en suivant la même séquence d’un pays à l’autre.

Leçon n° 1 : Un confinement plus strict et adopté tôt semble plus efficace pour contenir une vague épidémique, même si l’importance des autres mesures sanitaires ne doit pas être minimisée.

Des confinements sont d’autant plus efficaces pour réduire le nombre d’infections qu’ils sont stricts et adoptés tôt (c’est-à-dire quand le nombre d’infections est faible). Selon les constats empiriques du FMI (2020), le nombre d’infections a été significativement plus faible dans les pays qui ont adopté tôt des confinements. En outre, un confinement plus strict a un effet immédiat sur la réduction des infections ; sinon, l’effet est non significatif. D’autres études empiriques portant sur des données américaines (Demirguc-Kunt et alii, 2020) ou européennes (Dave et alii, 2021b) confirment ces résultats.

Les modèles théoriques confirment qu’un confinement réduit d’autant plus l’impact économique et le nombre de décès de la pandémie qu’il est strict et adopté tôt. Alvarez et alii concluent qu’il est optimal de mettre en œuvre un confinement strict pendant les deux semaines qui suivent les premiers cas de Covid-19. D’autres modèles aboutissent à cette conclusion dans les littératures médicale (Buckman et alii, 2020 ; Vinceti et alii, 2020) et économique (Eichenbaum et alii, 2020 ; Farboodi et alii, 2021). Cependant, cela n’implique pas qu’il ne serait pas nécessaire de reconfiner après. Caulkins et alii (2021) montrent qu’il peut être optimal d’avoir deux ou trois périodes de confinement distinctes, selon les préférences locales en ce qui concerne les impacts sanitaire et économique.

Diverses études ont aussi souligné les bénéfices des mesures sanitaires basées sur le testing en masse, l’usage généralisé des masques et le traçage. Summers et alii (2020), Shaw et alii (2020) et Yalaman et alii (2021) montrent l’efficacité des stratégies des pays asiatiques, basées sur (i) l’introduction tôt et massive du traçage aux frontières, (ii) un processus strict d’isolation des cas suspects et des porteurs du virus, (iii) l’usage des nouvelles technologies pour un traçage efficace des contacts et (iv) l’usage généralisé des masques. L’obligation du port du masque réduit le nombre d’infections de 25 % à 40 % (Mitze et alii, 2020 ; Krishnamachari et alii, 2021 ; Chernozhukov et alii, 2021). Les masques ne font pas qu’empêcher la transmission virale ; ils réduisent aussi l’exposition aux environnements froids (Bubbico et alii, 2021). Ces mesures sanitaires sont plus efficaces, cependant, si elles sont combinées avec la distanciation physique (Firth et alii, 2020 ; Ando et alii, 2021) et si la population fait preuve d’un important sens civique (Barrios et alii, 2021). En ce qui concerne le traçage, Atkeson et alii (2020) constatent que les bénéfices économiques des programmes de traçage rapide excèdent leurs coûts d’un rapport de 4 à 15. Mais alors que la plupart des études soulignent un effet positif du traçage de masse (Brotherhood et alii, 2020 ; Hellmann et Thiele, 2020 ; Su et alii, 2021), Acemoglu et alii (2020b) font part d’un impact ambigu dans la mesure où le traçage amène la population à moins réduire ses interactions physiques, ce qui accélère la propagation par les personnes contaminées qui n’ont pas été détectées.

Leçon n° 2 : Une analyse coûts-bénéfices des différentes mesures est économétriquement complexe et elle peut souffrir d’hétérogénéités, mais elle tend à montrer l’efficacité de l’annulation des événements publics pour contenir les infections. L’impact négatif de telles mesures, notamment sur les inégalités et le capital humain, peut aussi être souligné.

Il est complexe de démêler l’impact marginal des différentes mesures, dans la mesure où ces dernières ont généralement été adoptées simultanément ou selon la même séquence (Hsiang et alii, 2020), avec la faible qualité des infections constituant un défi supplémentaire (Bonacini et alii, 2021). Des études ont néanmoins cherché à estimer leur impact marginal. Parmi elles, celle de Deb et alii (2020) estime non seulement leurs bénéfices sanitaires, c’est-à-dire dans quelle proportion elles ralentissent la propagation du virus, mais aussi leurs coûts économiques. Elle constate que la fermeture des lieux de travail est efficace pour réduire les infections, mais qu’elle est aussi la moins coûteuse en termes d’impact économique. Ils notent aussi que les fermetures d’écoles et de transport public ont un coût économique élevé, mais un effet limité sur l’épidémie. Finalement, les auteurs constatent que les restrictions aux déplacements internationaux et, dans une moindre mesure, la limitation de la taille des rassemblements et l’annulation des événements publics présentent les ratios bénéfices sur coûts les plus élevés.

L’impact de telles mesures reste, cependant, très débattu. (…) Les estimations des bénéfices sanitaires des différentes mesures varient d’une étude à l’autre. (…) Un consensus semble cependant émerger sur le fort impact de l’annulation des événements publics et sur le faible impact des fermetures du transport public et des entreprises non essentielles. Concernant ces dernières, Song et alii (2021) estiment qu’elles ont significativement protégé les travailleurs dans ce secteur, mais cela s’est traduit par un chômage plus élevé (Sjoquist et Wheeler, 2021). Des études soulignent les bénéfices d’une fermeture alternative plus ciblée pour les endroits propices aux contacts comme les restaurants, les salles de sport et les bars (Courtemanche et alii, 2020 ; Chang et alii, 2021).

Les études mettent aussi en avant des hétérogénéités associées à la durée, aux facteurs géographiques et à l’efficacité du gouvernement. Li et alii (2021) constatent que l’impact dépend de l’horizon temporel avec par exemple les restrictions aux déplacements internationaux efficaces après sept jours, mais non après 28 jours. Burlig et alii (2021) modélisent un même impact non linéaire dans le temps pour les interdictions aux déplacements domestiques. Plus généralement, Bakker et Goncalves (2021) montrent que l’impact des mesures sur les infections décline au cours du temps. En ce qui concerne les hétérogénéités géographiques, Russell et alii (2021) montrent que les restrictions aux déplacements internationaux peuvent avoir peu d’impact sur la pandémie sauf dans les pays avec une faible incidence du Covid-19 et un nombre élevé d’arrivées en provenance de l’étranger. Bennet (2021) montre une efficacité significative des mesures de confinement dans les pays à haut revenu, mais non significative dans les pays à faible revenu, tandis que Becchetti et alii (2020) les jugent plus efficaces dans les zones très polluées. Pan et alii (2020) rapportent aussi des hétérogénéités associées à la composition ethnique et la pauvreté. Finalement, Bakker et Goncalves (2021) trouvent que les mesures ont été plus efficaces dans les pays avec des gouvernements plus efficaces.

Qu’importe leur impact individuel, cependant, la plupart des études convergent sur leur efficacité combinée, même si la distanciation physique volontaire réduit aussi naturellement les infections. Flaxman et alii (2020) estiment que les confinements complets (une combinaison de fermetures d’établissements de travail et d’écoles, d’annulation d’événements publics, d’ordres à rester chez soi et de limitation de la taille des rassemblements) en Europe ont réduit le taux de reproduction de 80 %. Santeramo et alii (2021) pour l’Italie et Ferguson et alii (2020) pour le Royaume-Uni et les Etats-Unis aboutissent à la même conclusion. Le comportement de distanciation physique adopté spontanément par la population expliquerait cependant une part de la réduction des infections. Agrawal et alii (2021) et Berry et alii (2021) échouent à trouver que les lieux qui ont mis en œuvre les confinements plus tôt ou plus longtemps ont une moindre surmortalité, tandis que Singh et alii (2021) ne décèlent qu’un effet modeste. Dans la même veine, des études ont montré que les mesures de confinement représentent une part relativement faible du changement dans les comportements des individus (Gupta et alii, 2020b ; Cronin et Evans, 2020).

En plus d’un impact économique négatif à court terme, des mesures plus strictes peuvent entraîner des effets nuisibles à long terme sur les inégalités, la santé mentale et le capital humain. L’impact du confinement est disproportionné sur les groupes vulnérables comme les travailleurs peu qualifiés (Cajner et alii, 2020), dont les emplois sont moins susceptibles d’être réalisés à distance (Dingel et Nieman 2020). Les fermetures d’écoles et le manque d’accès aux soins de santé fiables pesé sur les jeunes parents (Papanikolaou et Schmidt 2020) et notamment les femmes (Del Boca et alii, 2020 ; Albanesi et Kim 2021). Cela a même été observé parmi les universitaires : les femmes, en particulier celles qui ont des enfants, rapportent une réduction disproportionnée du temps dédié à la recherche relativement aux autres (Deryugina et alii, 2021). A plus long terme, les destructions d’emplois peuvent avoir des effets d’hystérèse avec les travailleurs se retrouvant au chômage de long terme. En outre à cette destruction immédiate de capital humain, les fermetures d’école peuvent aussi peser sur la capacité des générations futures à accumuler du capital humain (Fuchs-Schündeln et alii, 2021). Les mesures d’isolement telles que les ordres à rester chez soi affectent aussi la santé mentale (Béland et alii, 2020b ; Sibley et alii, 2020). Finalement, l’effet agrégé sur la mortalité peut être plus ambigu. Mulligan (2020) et Faust et alii (2021) montrent que la pandémie et la récession qui lui est associée peuvent mener à une hausse significative du nombre de morts par suicide, abus de drogue et meurtres, en particulier parmi les populations désavantagées (Chen et alii, 2020b ; Krieger et alii, 2020). Lin et alii (2021) montrent aussi que dans les pays à faible revenu, les récessions venant avec les confinements accroissent la mortalité infantile, menant à un arbitrage intergénérationnel avec les morts associées au coronavirus évitées essentiellement pour les seniors.

Leçon n° 3 : Alors qu’aucun consensus n’a émergé sur le ciblage géographique, divers modèles conseillent de différencier les restrictions selon l’âge et le type d’emplois. En Europe, des études mettent en avant les bénéfices d’une approche coordonnée dans la mise en œuvre et le relâchement d’un confinement.

Le ciblage semble a priori pertinent. Des études ont montré un impact hétérogène en fonction de la densité de population (Dave et alii, 2021b), de l’âge et du ratio qui influencent tout particulièrement le taux de mortalité (Levin et alii, 2020 ; Bürgi et Gorgulu, 2020) et des catégories de travailleurs (Akbarpour et alii, 2020).

Plusieurs modèles théoriques préconisent des mesures ciblées sur les seniors et les salariés dont l’emploi peut être réalisé à distance. Acemoglu et alii (2020a), Alon et alii (2020) et Gollier (2020) concluent qu’appliquer des mesures plus strictes pour les personnes âgées de 65 ans ou plus réduit le coût économique du confinement, tout en en maximisant les bénéfices sanitaires. En se focalisant sur les morts et l’occupation des lits en soins intensifs, Ferguson et alii (2020) estiment que la distanciation physique pour les seules personnes âgées de 70 ans ou plus a deux ou trois fois plus d’effet que la distanciation physique pour l’ensemble de la population. En outre, Aum et alii (2020) montrent que le confinement des seuls salariés dont l’emploi peut être réalisé à distance réduit de moitié le coût économique relativement à une situation où tous les travailleurs doivent rester à la maison, pour les mêmes bénéfices sanitaires. Une autre possibilité est l’adoption de créneaux alternés dans les entreprises et écoles pour réduire les interactions physiques (Akbarpour et alii, 2020). Un contre-argument, cependant, vient d’études telles que celle de Checo et alii (2021) : ces derniers constatent que les mesures ciblées ont un coût macroéconomique plus élevé dans la mesure où elles restent en place plus longtemps. Un autre contre-argument est donné par Singh et alii (2021) : ces derniers constatent empiriquement que seules des mesures portant sur l’ensemble de la population ont un impact statistiquement significatif.

La littérature fournit des résultats mitigés en ce qui concerne le ciblage géographique. Li et alii (2020) et Lin et Meissner (2020) concluent que les confinements locaux ont un impact limité sur la propagation du virus. Dave et alii (2021c) mettent en avant des preuves empiriques d’effets de débordement des ordres à rester chez soi. A l’opposé, Fang et alii (2020) montrent empiriquement comment le confinement de 63 villes en Hubei a efficacement contenu la propagation à travers la Chine. Depuis une perspective plus théorique, le modèle de Fajgelbaum et alii (2020) suggère que des mesures strictes appliquées à une sélection de quartiers dans une grande métropole peuvent être aussi efficaces qu’un confinement généralisé tout en réduisant significativement l’impact économique. De même, dans un modèle séparant les villes du reste du pays, Bisin et Moro (2021) suggèrent que le confinement d’une ville ne conduit pas à ce qu’une fraction plus large de la population soit infectée que dans le cas d’un confinement général. Finalement, Crucini et O'Flaherty (2020) suggèrent que les restrictions locales sont optimales dans une union budgétaire, comme une mesure nationale serait trop restrictive pour les zones moyennement infectées, en pesant excessivement sur l’activité économique locale.

Au niveau européen, certaines études montrent les bénéfices d’une approche coordonnée non seulement lors de l’instauration de confinements, mais aussi lors de leur retrait. Ash (2020) estime que les relâcher ensemble retarderait la résurgence du virus de cinq semaines. Symétriquement, elle montre qu’une mise en œuvre coordonnée de confinements à travers l’Europe a un impact plus fort sur les infections, en phase avec les constats de Ruktanonchai et alii (2020). C’est particulièrement dû aux forts effets de débordement sanitaires à travers l’Europe (Costa-i-Font, 2020).

Leçon n° 4 : Même en l’absence de mesures de confinement, la propagation du virus affecte l’activité économique en raison de l’adoption spontanée de comportements de distanciation physique. Il ne faut donc pas exagérer l’impact négatif de ces mesures.

Les pays avec les mesures de confinement les plus fortes ont connu les plus amples contractions du PIB. Cette relation reste valide pour d’autres indicateurs macroéconomiques, tels que la consommation des ménages (Baker et alii, 2020b ; Carvalho et alii, 2020), l’emploi (Béland et alii, 2020a ; Schotte et alii, 2021) ou la production industrielle (Deb et alii, 2020). Des modèles théoriques soutiennent une telle corrélation (par exemple, Baqaee et Farhi, 2020).

Cependant, même en l’absence de mesures de confinement, la propagation du virus affecte l’activité économique. La distanciation physique volontaire a un impact majeur sur l’activité, ainsi que l’incertitude (Baker et alii, 2020a) et la détérioration des perspectives économiques (Baek et alii, 2020). Les études (…) estiment que les mesures de confinement contribuent de 10 % à 60 % de l’impact économique total de l’épidémie de Covid-19. La littérature présente beaucoup d’éléments empiriques suggérant que les pandémies ont un impact en l’absence de confinements. Chetty et alii (2020) notent une contraction de l’activité avant le début des confinements aux Etats-Unis. Rojas et alii (2020) et Kahn et alii (2020) observent que l’essor des demandes d’allocations chômage a été homogène dans l’ensemble des Etats-Unis, malgré les différences des mesures adoptées au niveau local. En creusant davantage, Chen et alii (2020a) et Berry et alii (2021) ne trouvent aucun élément empirique robuste suggérant un effet significatif des mesures de confinement sur l’activité économique.

Les études focalisées sur la grippe espagnole tendent aussi à ne pas trouver d’effets significatifs des confinements sur l’activité économique, que ce soit à court terme ou à moyen terme. Certaines études ont mis en évidence un impact économique de la grippe espagnole au niveau local (Dahl et alii, 2020) ou au niveau global (Barro et alii, 2020) ; à l’inverse, Velde (2020) attribue la contraction de l’activité à l’incertitude entourant la fin de la Première Guerre mondiale. A partir de données américaines, Correia et alii (2020) et Bodenhorn (2020) ne trouvent pas d’éléments empiriques suggérant un impact économique significatif des confinements à court terme, tandis que Lilley et alii (2020) et Chapelle (2020) font le même constat concernant la croissance du PIB à moyen terme. De tels résultats doivent toutefois être pris avec prudence dans la mesure où les données restent de mauvaise qualité et où les mesures de confinement qui ont été adoptées à l’époque étaient bien moins strictes que celles adoptées aujourd’hui (Beach et alii).

Leçon n° 5 : Il ne faut relâcher un confinement que graduellement, même durant le déploiement de vaccins, dans la mesure où l’absence de résurgence épidémique tient à de rigoureuses mesures sanitaires.

Le confinement doit être relâché graduellement et, là où c’est possible, différemment selon l’âge et le secteur. La gradualité est particulièrement importante si l’immunité collective n’a pas été atteinte (Toda, 2020). Dave et alii (2021d) et Singh et alii (2021) ont toutefois montré la persistance de l’adhérence des individus au comportement pandémique, ce qui suggère que même une réouverture rapide et généralisée peut avoir un faible impact sur la mobilité ou l’activité économique. Les effets des restrictions et des réouvertures peuvent donc être asymétriques selon la phase de la pandémie (Dave et alii, 2021a) avec, par exemple, un rôle plus petit pour les chocs d’information et une plus faible demande pour les comportements d’atténuation dans la période ultérieure de la pandémie. En outre, Favero et alii (2020) conseillent de relâcher différemment selon les groupes d’âge et les secteurs pour accélérer la reprise. Baqaee et alii (2020) et Chang et alii (2021) appellent aussi à un maintien des restrictions pour les lieux "super-propagateurs" (par exemple, les restaurants, les salles de sport, les bars) et les grands rassemblements publics.

Une fois que les confinements sont relâchés, les études montrent l’importance des mesures sanitaires pour limiter la propagation du virus même durant le déploiement du vaccin. Renardy et alii (2020) estiment que retarder la réouverture ne réduit pas la magnitude de la vague d’infections suivantes, mais ne fait que la retarder ; par contre, réduire les niveaux d’interactions physiques retarde et réduit cette vague. Courtemanche et alii (2021) montrent aussi que la réouverture des écoles au milieu d’une vague épidémique avec des règles de distanciation physique superficielles a particulièrement accéléré la diffusion de l’épidémie de Covid-19, un résultat qui va dans le sens d’autres études montrant que les réouvertures d’écoles ont de modestes effets sur le nombre d’infections si elles sont associées à des mesures sanitaires (Bravata et alii, 2021 ; Goldhaber et alii, 2021). Finalement, le modèle de Cot et alii (2021) trouve que les seules vaccinations ne suffisent pas et que les mesures de distanciation physique strictes sont toujours nécessaires tant que l’immunité collective n’est pas atteinte. Agarwal et alii (2021) trouvent aussi que le relâchement des restrictions durant le déploiement d’un vaccin a significativement accru la mortalité.

Alors que la vaccination réduit le nombre d’infections et de cas graves, lutter contre l’hésitation vaccinale peut être clé pour atteindre l’immunité collective, ce qui nécessite certaines politiques. Les campagnes de vaccinations à grande échelle se sont révélées efficaces pour limiter la propagation du virus et surtout le nombre de cas graves (Moghadas et alii, 2021). Cependant, il est crucial de susciter de la confiance pour atteindre un niveau suffisant d’immunité dans la population (Dror et alii, 2020 ; Harrison et Wu 2020). (...) »

Jean-Charles Bricongne et Baptiste Meunier, « The best policies to fight pandemics: Five lessons from the literature so far », 10 août 2021. Traduit par Martin Anota



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mardi 19 janvier 2021

Les épidémies érodent la confiance envers les scientifiques



« L’épidémie de Covid-19 rappelle brutalement l’importance de la science médicale. Les vaccins efficaces contre le coronavirus sont développés, approuvés et distribués en un temps record. Les cocktails d’anticorps monoclonaux ont été administrés avec succès à des patients infectés et, notamment parmi eux, le président Donald Trump. Nous pouvons espérer, avec le soutien de la science, que nous parviendrons à laisser la pandémie de Covid-19 derrière nous.

Pourtant, ces avancées se sont produites dans un contexte où beaucoup ont exprimé des doutes quant aux experts et à leurs conseils. Aux Etats-Unis par exemple, The Pew Charitable Trusts fait état d’une baisse séculaire de la part des adultes déclarant avoir une grande confiance envers les individus dirigeant les institutions médicales du pays. Ce part, qui approchait les 60 % du public au début des années soixante-dix, s’élève désormais à environ 40 %. C’est peut-être en partie pour cela que les conseils des experts sur la distanciation physique et le port du masque, basés sur les études scientifiques portant sur la diffusion du virus via gouttelettes et aérosols, ne sont pas pleinement acceptés. Cela nous amène à nous demander s’il y aura une acceptation générale des vaccins contre la Covid-19, vaccins que recommandent les experts.

Mais l’inverse, en l’occurrence la question quant à savoir dans quelle mesure l’expérience même de l’épidémie affectera les attitudes envers la science et les scientifiques, est également importante. Pour éclairer cette question, nous avons examiné l’impact des précédentes épidémies sur la confiance envers la science et les scientifiques. En l’occurrence, nous avons examiné les réponses d’environ 70.000 répondants à l’enquête Wellcome Trust menée dans 160 pays, en liant ces réponses aux données relatives à 47 épidémies et pandémies qui ont affecté 137 pays depuis 1970.

Nous mettons en évidence un impact négatif et significatif de l’exposition à l’épidémie sur la confiance envers les scientifiques. Non seulement cet effet est large, mais il dure aussi pendant plusieurs décennies (…). Il est limité aux personnes qui ont connu l’épidémie dans leurs "années impressionnables" (c’est-à-dire lorsqu’elles avaient entre 18 et 25 ans). Les études réalisées par les psychologues et les scientifiques cognitifs suggèrent que cette étape du cycle de vie (quand les individus "quittent le nid", mais que leur vision du monde n’a pas encire été durablement et irrémédiablement formée) correspond à l’instant où les attitudes sont les plus facilement influencées par l’expérience immédiate. Notre étude suggère que c’est en l’occurrence les membres de ce que l’on appelle la génération Z qui verront leurs attitudes envers les scientifiques et leurs conseils être le plus négativement affectées par l’épidémie de Covid-19.

Curieusement, cette dégradation de la confiance perçue ne touche pas d’autres professionnels de la médecine, comme les docteurs, les infirmiers et les guérisseurs traditionnels. Elle ne se manifeste pas non plus dans les réponses touchant à la confiance envers la science en tant qu’activité. C’est un problème touchant à la confiance perçue envers les scientifiques en tant qu’individus.

La défiance envers les experts scientifiques est un problème. Nos travaux suggèrent que le problème sera encore plus aigu après l’épidémie de Covid-19. Il ne sera pas simple d’y répondre. Au minimum, nos travaux suggèrent que les scientifiques travaillant sur les questions de santé publique et tous ceux travaillant sur la communication scientifique devraient davantage réfléchir à la façon de communiquer avec honnêteté et, en particulier, à la façon par laquelle la génération qui connaît actuellement ses années impressionnables (la génération Z) perçoit cette communication. »

Cevat Giray Aksoy, Barry Eichengreen et Orkun Saka, « Exposure to epidemics and trust in scientists », IZA, 18 janvier 2021. Traduit par Martin Anota



aller plus loin... lire « L’épidémie alimentera la défiance politique de toute une génération »

samedi 19 décembre 2020

Quand l'économie rencontre l'épidémiologie : les extensions du modèle SIR

« Le modèle SIR, développé tout d’abord par Kermack et McKendrick (1927), reste le modèle épidémiologique canonique. Il est naturel que les économistes le choisissent lorsqu’ils cherchent à modéliser les interactions entre les dynamiques économiques et épidémiologiques. Cette brève revue de la littérature présente plusieurs adaptations apportées au cadre SIR de base qui ont été proposées dans les travaux d'épi-macroéconomie réalisés au cours des six derniers mois. Ceux-ci ont toutes été utilisées pour analyser des questions comme les politiques de confinement, les super-propagateurs, l’immunité collective, les capacités hospitalières et la stratégie "test et traçage".

Le modèle SIR canonique

Le modèle SIR répartit la population en trois catégories (ou "compartiments" dans le jargon des épidémiologistes) : les personnes saines (susceptible), les personnes infectées (infected) par la maladie et les personnes guéries de la maladie (recovered). Il modélise le passage de ces individus d’une catégorie à l’autre en utilisant un ensemble de taux de transition qui sont donnés de façon exogène et qui sont liés aux tailles relatives des différents groupes. Et il suppose que la transition ne peut se faire que dans un seul sens (par exemple, les personnes saines peuvent devenir infectées, les personnes infectées peuvent guérir, mais il n’y a pas d’autres passages possibles entre les groupes).

Les modèles épi-macroéconomiques basés sur le modèle SIR modifient ce cadre de base en supposant que ces transitions entre compartiments sont endogènes et sont liées aux décisions économiques des individus (par exemple, en matière de consommation ou d’offre de travail). Ils s’appuient sur un modèle macroéconomique simple pour permettre des effets retour entre les dynamiques pandémiques et la macroéconomie.

Plusieurs articles en épi-macroéconomie utilisent ce modèle SIR de base, soit parce qu’ils veulent générer une simple référence (par exemple, Eichenbaum, Rebelo et Trabandt, 2020), soit parce que l’article se focalise sur autre chose. Au cours des six derniers mois, d’autres auteurs ont enrichi les modèles épi-macroéconomiques en étendant le cadre SIR de plusieurs façons.

L’incertitude sur le statut d’infection

Forsyth (2020) introduit une fiction informationnelle plausible : certaines personnes infectées sont asymptomatiques et d’autres présentent des symptômes ressemblant à ceux du coronavirus, mais ne sont pas infectés par ce dernier. Ce cadre permet de comparer des politiques ciblées sur ceux avec des symptômes par rapport à l’alternative d’un confinement uniforme. La première mesure est moins coûteuse en termes de production, parce que moins d’agents sont isolés, mais il se traduit par une certaine transmission via les agents asymptomatiques. La calibration à partir des données britanniques dans l’article suggère que les mesures d’atténuation réduisent le nombre de décès de 39,1 % au cours de 18 mois. Dans le cadre d’un confinement uniforme, le PIB baisse de 21,4 % en 2020, mais si les politiques sont conditionnées aux symptômes, les pertes en PIB peuvent être réduites sans accroître le nombre de décès.

Variations de "R"

D’autres articles ont relâché l’hypothèse que la probabilité des individus sains d’être infectés est la même d’un individu à l’autre. Cela peut être fait en introduisant une variation soit dans les taux de contact entre personnes, soit dans la probabilité de transmission quand deux individus se rencontrent.

Ellison (2020) utilise les avancées en matière de modélisation épidémiologique des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix pour relâcher l’hypothèse de "taux de contacts uniformes" de deux façons. Premièrement, les agents sont répartis en sous-groupes avec différents niveaux d’activité, ce qui implique différentes probabilités de rencontrer les autres. Deuxièmement, les agents sont davantage susceptibles de rencontrer ceux de leur propre groupe que ceux qui en sont extérieurs. Ellison montre que les paramètres clés relatifs à la population comme les seuils d’immunité collective et le R composite, ne sont pas simplement des moyennes des groupes sous-jacents, mais dépendent de l’éventail et de la distribution des niveaux d’activité au sein de la population. Il montre que R peut décliner plus vite quand les rencontres sont plus hétérogènes et donc les modèles sur les hypothèses de rencontres homogènes peuvent surestimer l’impact initial des mesures de confinement et sous-estimer la vitesse à laquelle le virus peut se propager en l’absence de mesures de confinements.

Holden et Thornton (2020) font varier la probabilité de transmission d’un individu à l’autre en considérant que le taux de reproduction spécifique à une paire d’individu est une variable aléatoire. C’est une façon de modéliser les "super-propagateurs" qui sont bien plus contagieux que la moyenne. Si par "malchance" davantage des individus infectés au départ sont des super-propagateurs, cela accroît le nombre de cas initiaux et a des effets durables comme les cas s’accumulent à partir de cette base plus élevée. Le rôle de la "chance" est bien plus grand aux premiers temps de l’épidémie, quand moins de personnes sont infectées, tandis qu’après "la loi des moyennes" tend à se vérifier et R à converger vers la moyenne de la population. Par conséquent, des populations identiques peuvent présenter des trajectoires épidémiques très différentes simplement du fait de la chance. Dans ce modèle, la politique optimale dépend, non simplement du R moyen, mais étroitement de la proportion de sa distribution qui est supérieure à l’unité. Holden et Thornton montrent que l’efficacité relative des mesures pour réduire la transmissibilité d’un virus (par exemple les masques) versus la réduction des taux de contacts (par exemple les injonctions à rester chez soi) est affectée par la distribution de R.

La décroissance de l’immunité

Dans le modèle SIR canonique, l’immunité est permanente une fois acquise, parce que les agents guéris ne sont pas susceptibles d’être infectés de nouveau. Cette hypothèse peut être relâchée dans le modèle SIRS, où les individus qui sont guéris peuvent perdre leur immunité et se retrouver de nouveau dans la catégorie des personnes susceptibles de tomber malades. Cela suppose que l’immunité peut diminuer dans une certaine mesure, ce qui est cohérent avec certains cas de réinfections au coronavirus (par exemple Tillett et alii, 2020).

Le modèle SIRS de Çenesiz et Guimarães (2020) implique que plus la durée d'immunité est courte, plus il est difficile d’atteindre l’immunité collective et plus longue sera la période de distanciation physique nécessaire. La disparition de l’immunité a un rôle relativement faible au début de la pandémie, parce que les prescriptions en matière de politique sont similaires, qu’importe les hypothèses à propos de la durée de l’immunité. Mais au cours du temps, la différence entre les résultats des deux modèles s’accentue, parce que si l’immunité est permanente le stock d’agents immunisés s’accumule régulièrement. A des horizons plus lointains, même des changements relativement faibles dans la dureté du confinement peuvent avoir de larges implications.

Ils permettent alors d’enrichir les déterminants de l’immunité, notamment en prenant en compte la possibilité que les agents précédemment infectés soient moins susceptibles d’avoir des formes sévères de Covid-19 et considèrent la politique optimale si un futur vaccin est prévu. En l’occurrence, plus l’immunité disparaît rapidement et plus l’arrivée d’un vaccin est éloignée dans le temps, plus l’impact de la disparition de l’immunité sur la politique optimale sera importante, parce que la pandémie dure plus longtemps.

L’ajout de compartiments supplémentaires

Plusieurs travaux ont augmenté le nombre de compartiments entre lesquels la population est répartie, (bien) au-delà des trois compartiments du modèle SIR classique. Et, en permettant d’enrichir les équations de transitions, ils peuvent étudier d’autres possibilités que celle selon laquelle les individus ne peuvent aller que d’un groupe à l’autre selon une séquence précise. Favero (2020) a développé un modèle avec un compartiment pour les patients hospitalisés. Cela permet au modèle de faire des prédictions directes à propos du nombre d’hospitalisations et il permet aussi de prendre explicitement en compte le rôle des capacités hospitalières. Quand les admissions excèdent les capacités, ces patients additionnels ont (…) une plus forte probabilité de mourir parce qu’ils ne peuvent pas être soignés comme les autres. Favero montre que l’ajout de cette contrainte peut expliquer le taux de décès bien plus élevé dans la région de Lombardie en Italie et il montre que les stratégies qui impliquent un plus grand nombre d’infections simultanées sont associées à des taux de mortalité bien plus élevés.

Giordano et alii (2020) développent un modèle qui ajoute cinq compartiments supplémentaires. Certains capturent différentes possibilités pour ceux qui tombent malades, selon qu’ils présentent ou non des symptômes, qu’ils soient détectés ou non. D’autres compartiments sont pour les agents qui sont extrêmement malades et pour deux états finaux où les agents finissent soit par mourir, soit par pleinement guérir. Ce modèle enrichi permet de considérer davantage de paramètres, notamment différents taux de mortalité et une transmission différentielle des cas symptomatiques. Il permet de mieux expliquer les mauvaises perceptions du taux de mortalité et de la vitesse de propagation de l’épidémie. Les auteurs concluent que les mesures de confinement ne peuvent être retirées quand il est possible de tester et tracer à grande échelle et qu’une combinaison des deux outils est nécessaire pour réduire le nombre d’infections.

Mais un surcroît de complexité n’est pas toujours préférable. Roda et alii (2020) ont comparé le modèle SIR avec un modèle SEIR, qui présente une catégorie supplémentaire d’agents exposés, qui ont la maladie, mais qui ne sont pas encore contagieux. Cela crée deux paramètres supplémentaires, gouvernant la période de latence (combien de temps pour que ceux qui tombent malades deviennent contagieux) et la part initiale de la population dans la catégorie exposée. En pratique, il est difficile d’identifier les paramètres empiriquement, parce que le modèle ne peut pas distinguer entre une infection avec une longue période de latence et une faible part initiale ou un brève période de latence et une part initiale élevée. En utilisant les critères d’information d’Akaike, les auteurs concluent que le fait que le modèle SEIR colle un peu mieux aux données que le modèle SIR ne compense pas le gain de complexité qu’apportent ces deux paramètres supplémentaires.

En conclusion

Le modèle SIR originel a bien résisté à l’épreuve du temps. Dans sa forme la plus simple, il est capable de capturer les aspects clés des pandémies et cela en fait un modèle de choix en épi-macroéconomie pour les modélisateurs cherchant à élaborer un modèle économique qui reste simple. En outre, la structure compartimentée permet de la complexifier facilement. Ces extensions permettent d’obtenir d’importantes intuitions à propos des mérites respectifs des différentes politiques de confinement, du rôle des super-propagateurs dans la détermination de la trajectoire d’une pandémie, de la difficulté d’atteindre l’immunité collective, de la contrainte posée par les capacités hospitalières et du rôle des tests et traçages. »

John Lewis, « Covid-19 briefing: extensions to the SIR model », in Banque d’Angleterre, Bank Underground (blog), 30 novembre 2020. Traduit par Martin Anota

samedi 8 août 2020

Covid-19 : quand la macroéconomie rencontre l’épidémiologie

« La crise de l’épidémie de Covid-19 a provoqué un bouleversement dans l’agenda de recherche de la macroéconomie. En son cœur, il y a un ce nouveau champ de recherche que l’on peut qualifier d’"épi-macro" qui combine des modèles épidémiologiques avec des modèles macroéconomiques. Dans ce billet, nous passons brièvement en revue quelques-unes des premières analyses de cette littérature en forte croissance.

Le modèle SIR


Le point de départ pour cette épi-macroéconomie est le modèle compartimenté SIR. Ce modèle épidémiologique de base a trois compartiments (les personnes "susceptible", "infected" et "recovered", soit respectivement saines, infectées et guéries) et il modélise comment les individus passent d’un compartiment à l’autre. Les modèles épi-macroéconomiques étendent ces modèles de deux façons. Premièrement, la diffusion du virus n’est plus supposée être exogène, mais affectée par le comportement des individus, par exemple les consommateurs peuvent ne plus aller au restaurant autant qu’ils le faisaient s’ils craignent d’être infectés en y allant. Deuxièmement, le fait de lien un modèle simple de production et un modèle de consommation avec la progression de la maladie facilite les prédictions de variables économiques. Bien qu’ils soient simples, ces modèles épi-macroéconomiques donnent des résultats qualitatifs avec de claires recommandations en matière de politique publique.

Premier résultat : la distanciation physique volontaire peut générer des récessions larges et persistantes, même en l’absence de mesures imposées par les pouvoirs publics


Eichenbaum, Rebelo et Trabandt (2020a) supposent que les personnes saines sont d’autant plus susceptibles d’être infectées qu’elles interagissent avec les consommateurs et travailleurs infectés. Dans leur modèle, l’épidémie déprime tant l’offre globale que la demande globale, comme les agents réduisent à la fois leur offre de travail et leur consommation pour réduire le risque de contracter la maladie. La probabilité d’être infecté dépend du nombre actuel d’individus infectés. Quand un individu est infecté, cela crée une externalité, comme le stock accru de personnes infectées accroît le risque que les autres soient à leur tour contaminés. Dans une économie décentralisée, les agents n’internalisent pas pleinement l’impact de leurs actions sur le nombre de personnes malades et les agrégats macroéconomiques. Pour cette raison, la distanciation physique volontaire apparaît sous-optimale. Les mesures de confinement optimales sont plus sévères ; elles sauvent plus de vies, mais au prix d’une récession plus forte.

Dans une extension de ce premier modèle, Eichenbaum, Rebelo et Trabandt (2020b) montrent qu’une politique qui utilise les tests pour mettre en quarantaine les personnes infectées a de larges bénéfices sociaux quand les gents sont incertains quant à leur état de santé. Dans le cadre de ce modèle, les agents ne se distinguent les uns des autres qu’en termes de santé (…). Les agents ayant le même état de santé présentent le même profil en termes de consommation, de productivité et de conditions de travail. Les auteurs montrent qu’une politique qui utilise les tests pour mettre en quarantaine les personnes infectées rapporte de larges bénéfices sociaux relativement à des politiques de confinement généralisées comme les confinements. Pour les Etats-Unis, cela implique une réduction de moitié des nombres totaux d’infections et de morts et une baisse d’un tiers de la consommation et du nombre d’heures travaillées. Cependant, les récentes expériences nationales et internationales démontrent que les conséquences économiques d’une pandémie dépendent crucialement de la composition de la main-d’œuvre. Les secteurs qui dépendent de la consommation sociale, par exemple l’hôtellerie, le transport et la vente au détail, sont plus susceptibles d’être pénalisés que les autres. De même, toutes les professions ne sont pas aussi flexibles les unes que les autres pour permettre aux travailleurs de travailler à domicile.

Deuxième résultat : les politiques de distanciation physique ont des effets distributionnels, avec des coûts de premier tour qui sont avant tout supportés par les ménages les plus pauvres


Kaplan, Moll et Violante (2020) observent les effets distributionnels de la pandémie en combinant un cadre nouveau keynésien d’agents hétérogènes (HANK) avec un modèle épidémiologique. Leur modèle présente la même boucle rétroactive entre le risque d’infection et le comportement économique que dans le modèle d’Eichenbaum, Rebelo et Trabandt (2020), mais il distingue les travailleurs en fonction de leurs professions et les secteurs de l’économie. Une importante dimension qu’ils considèrent est l’hétérogénéité du revenu du travail et le montant de richesse liquide parmi les travailleurs. Kaplan et ses coauteurs constatent que les coûts de premier tour de l’épidémie et des politiques de confinement sont avant tout supportés par les ménages pauvres aux Etats-Unis. Les ménages les plus exposés ont aussi très peu de liquidité et ils peuvent ne pas être capables de survivre longtemps sans aide financière. Les auteurs concluent aussi que la récession initialement induite par le confinement est à peine plus grave que celle d’un scénario contrefactuel où le gouvernement ne fait rien. Dans leur modèle, la durée du confinement est cruciale. Seul un long confinement (de 500 jours) peut atteindre une réduction substantielle de morts, parce qu’un confinement plus court produit une seconde vague d’infections.

Troisième résultat : les retraits bénéficient le plus de la mise en œuvre de politiques de confinement et les jeunes travailleurs dans les secteurs "non essentiels" en supportent le plus les coûts


Ce que Kaplan et alii (2020) laissent de côté, c’est le fait que les bénéfices et coûts du confinement peuvent fortement varier selon l’âge. Heathcote et alii (2020) introduisent deux classes d’âge dans un modèle macro-épidémiologique qui part de l’hypothèse que ceux qui ont plus de 65 ans ont 25 fois plus de chances de mourir du coronavirus que ceux qui ont moins de 65 ans. Par conséquent, le confinement produit d’énormes bénéfices pour les personnes âgées. Les plus jeunes paient l’essentiel des coûts du confinement, en particulier ceux qui travaillent dans les secteurs "non essentiels" qui sont forcés de fermer. Heathcote et ses coauteurs quantifient les effets du confinement en termes de bien-être en se focalisant sur deux instruments du gouvernement : la fraction de l’économie qui est délibérément mise à l’arrêt (l’ampleur de l’atténuation) et une taxe sur les travailleurs utilisée pour financer des transferts aux retraités, aux chômeurs et aux personnes tombant malades (la redistribution). Ils montrent que les différents groupes en termes d’âge et d’activité ne préfèrent pas les mêmes politiques. Alors que les personnes âgées veulent un confinement complet et prolongé, les jeunes travaillant pour les secteurs "non essentiels" préfèrent un confinement modeste et court. Un gouvernement maximisant le bien-être social utilitariste opte pour un compromis, en prenant une trajectoire intermédiaire pour l’atténuation. Cela éclaire les désaccords actuels parmi la population sur la date de fin du confinement.

Quatrième résultat : la distanciation physique génère une "externalité d’infection" positive qui contribue à isoler les travailleurs dans le secteur cœur de l’économie


Bodenstein, Corsetti et Guerrieri (2020) remettent en cause l’idée communément admise qu’il y a un arbitrage entre la santé et les coûts sociaux et économiques de la pandémie en construisant un modèle qui combine une structure en deux secteurs avec un environnement SIR standard. La partie macroéconomique du modèle présente un secteur cœur qui produit des intrants intermédiaires qui ne sont pas facilement remplaçables par le secteur périphérique. L’étude constate que, en l’absence de distanciation physique, le pic élevé d’une infection peut provoquer de larges coûts économiques initialement en termes de production, de consommation et d’investissement. Par conséquent les mesures de distanciation physique qui encouragent les travailleurs dans les professions du secteur périphérique à travailler à domicile sont efficaces pour réduire le coût économique de la pandémie : cette politique contribue à contenir l’expansion du nombre d’infections en réduisant les contacts avec les travailleurs dans le secteur cœur. Donc, la distanciation physique a une "externalité d’infection" positive qui aide à réduire le risque que les travailleurs dans le secteur cœur tombent malades. Cela contribue à freiner la propagation de la maladie.

Ultimes réflexions


Ces modèles peuvent être utilisés pour quantifier les coûts et bénéfices des politiques alternatives et leurs conséquences distributionnels (sujettes à l’incertitude quant aux paramètres épidémiologiques et les spécifications des modèles). Ces premiers travaux sont déjà intégrés dans des modèles plus sophistiqués. Alors que ces premiers efforts visant à capturer les interactions complexes entre épidémiologie et macroéconomie se focalisent sur le court terme, il y a plusieurs questions très importantes auxquelles il faut répondre ; elles concernent notamment les effets à plus long terme de la pandémie sur la productivité, le chômage et les politiques monétaire et budgétaire. »

Cristiano Cantore, Federico Di Pace, Riccardo M Masolo, Silvia Miranda-Agrippino et Arthur Turrell, « Covid-19 briefing: epi-macro 101 », in Bank Undergroung (blog), 7 août 2020. Traduit par Martin Anota

samedi 18 avril 2020

Sacrifier des vies pour sauver des emplois

« Il existe un arbitrage (des vies perdues versus des pertes économiques) lorsqu’il s’agit de relâcher les restrictions sur l’activité économique durant la crise du Covid-19. Tous les économistes le savent, bien que nous soyons souvent embarrassés à dire publiquement que cet arbitrage existe. Mais c’est une chose sensée d’essayer de mesurer ce à quoi ressemble cet arbitrage, puisque c’est le choix crucial auquel les autorités font face, qu’elles soient enclines ou non à le faire savoir.

Les économistes estiment que la valeur d’une vie humaine aux Etats-Unis est de 10 millions de dollars (je sais, faire cela semble vulgaire). Ce calcul a été utilisé plusieurs fois par les gouvernements pour décider s’ils procèdent ou non à des investissements dans divers projets de construction ou autres. La meilleure estimation que j’ai vue du nombre d’emplois perdus durant la crise suggère qu’environ 200 emplois sont perdus pour chaque vie sauvée par la distanciation sociale, les fermetures d’entreprises et les autres mesures de confinement.

Une vie sauvée pour 200 emplois peut sembler être un arbitrage inacceptable, comme cela semble l’être pour ceux qui appellent à un déconfinement rapide des économies occidentales. Mais la vie d’une personne est perdue pour toujours, alors que les 200 emplois ne sont perdus que temporairement, peut-être la moitié d’une année pour la plupart (ce qui est bien plus long que la durée moyenne passée au chômage aux Etats-Unis). Si le travailleur est le travailleur américain moyen, gagnant 40.000 dollars par an, le coût des emplois perdus par vie gagnée est de 4 millions de dollars (200 emplois x 40.000 dollars par an x une demi-année). Lorsque l’on compare les deux chiffres, 10 millions de dollars par vie sauvée versus 4 millions de dollars pour les emplois perdus, le choix semble assez clair : il ne faut pas se presser de rouvrir une économie.

La plupart des vies perdues sont celles de personnes âgées et beaucoup suggéreraient que le chiffre de 10 millions de dollars est trop élevé pour estimer la valeur d’une personne ayant autour de 70 ans (bien que j’ai 76 ans, je m’oppose véhément à cet argument !). Mais même si l’on prenait 5 millions de dollars pour une vie perdue, cela serait toujours supérieur aux pertes économiques probables en termes d’emplois perdus (et donc de biens et services abandonnés).

Il y a un autre problème ici qui est trop souvent ignoré dans cette discussion : les vies perdues ne sont pas aléatoirement distribuées dans la population. Outre les personnes âgées, ce sont les pauvres et les minorités qui font disproportionnellement partie de ceux qui succombent de l’épidémie. Cela pourrait amener certains économistes à réviser davantage à la baisse leur estimation de la valeur des vies perdues, mais même pour un économiste cela serait extrêmement vulgaire.

En outre, beaucoup de ceux qui appellent à rapidement rouvrir les économies (certains dirigeants politiques, par exemple) font partie des catégories les plus aisées dans la société. La réouverture de l’économie n’est pas susceptible de les pénaliser, eux et leurs riches amis. Il me paraît peu moral de défendre les gains de quelqu’un alors que d’autres en supportent le coût.

Il est raisonnable d’affirmer qu’un arbitrage entre les emplois et les vies humaines existe, à condition que nous fassions correctement les comparaisons. Il est incorrect de le faire en ignorant le fait que le fardeau et les coûts ne sont pas distribués également entre tout le monde, ou plutôt que la perte d’une vie humaine est supportée de façon disproportionnée par les moins fortunés. Alors que les pertes économiques peuvent affecter de façon disproportionnée les minorités et les pauvres, les revenus de transfert versés par l’Etat compensent une grande partie de ces pertes. Rien ne peut compenser la perte de la vie d’une personne. »

Daniel S. Hamermesh, « Trading off lives for jobs », IZA, 17 avril 2020. Traduit par Martin Anota

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