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mercredi 17 avril 2024

Les gouvernements peuvent-ils financer leurs déficits en créant de la monnaie ?

« Les adeptes de la MMT disent souvent que financer les dépenses publiques (moins les impôts) en émettant de la dette publique est un choix politique, car on pourrait plutôt créer des réserves (monnaie électronique) auprès des banques commerciales. Bien entendu, seuls les gouvernements qui disposent de leur propre monnaie peuvent le faire, cette option n’est donc pas disponible pour les gouvernements de la zone euro par exemple. Si les gouvernements pouvaient financer les déficits en créant de la monnaie/des réserves, voudraient-ils le faire ?

La réponse que l’on pourrait trouver dans les manuels est que le financement monétaire est inflationniste. C'est pourquoi la plupart des gouvernements délèguent la création de réserves à des banques centrales indépendantes. Cela ne tient pas à un monétarisme crû : dans le courant orthodoxe en macroéconomie, l’idée selon laquelle il existe un lien de causalité prévisible allant de la création monétaire à l’inflation est morte il y a plusieurs décennies, et aujourd’hui seule une poignée de personnes y croient. Au lieu de cela, on trouve dans les manuels l’idée selon laquelle une création de monnaie par les gouvernements nuirait à la capacité des banques centrales à contrôler les taux d’intérêt à court terme. Le financement monétaire pousserait les taux d’intérêt à zéro, ce qui serait inflationniste.

Cependant, les manuels sont presque toujours obsolètes et cette explication du caractère inflationniste du financement monétaire est devenue largement hors de propos lorsque les banques centrales ont commencé à payer des intérêts sur les réserves. Les réserves sont comme de la monnaie électronique détenue par les banques commerciales et leur quantité est contrôlée par les banques centrales. Aujourd’hui, les banques centrales contrôlent les taux d’intérêt à court terme en payant ces taux d’intérêt sur les réserves. En conséquence, il est possible de créer d’importantes quantités de monnaie/réserves sans que cela n’entraîne une hausse de l’inflation.

Nous le savons avec l’assouplissement quantitatif (quantitative easing, QE), par lequel les banques centrales ont créé d’importantes réserves afin d’acheter de la dette publique. Lorsqu’elles ont fait cela après la crise financière mondiale, nous n’avons pas eu d’hyperinflation ! L’idée selon laquelle l’inflation récente est le résultat du nouvel assouplissement quantitatif mis en place pendant la pandémie est tout simplement ridicule. Ce que l’expérience récente nous montre c’est qu’il est parfaitement possible pour les banques centrales de contrôler l’inflation même lorsqu’il y a beaucoup d’argent/de réserves dans le système.

Alors, si les banques centrales peuvent créer de grandes quantités de monnaie tout en contrôlant l’inflation, pourquoi les gouvernements ne peuvent-ils pas financer leurs déficits en créant de la monnaie ? Si des intérêts sont payés sur cette monnaie/ces réserves et si les banques centrales ont un contrôle total sur la fixation de ce taux d’intérêt, il n’y a aucune raison de croire que le financement monétaire des déficits serait plus inflationniste que le financement des déficits par émission d’obligations. C’est ce que la MMT veut dire lorsqu’elle affirme que le
financement obligataire est un choix politique.

Nous pourrions aller plus loin et dire que l’assouplissement quantitatif a été l’équivalent d’un financement monétaire des déficits courants et passés. Que cela soit survenu parce que les banques centrales voulaient faire pression à la baisse sur les taux d’intérêt de long terme et non parce que les gouvernements ont choisi la finance monétaire n’est qu’une question de motifs. En pratique, nous avons fini à peu près au même endroit que si les gouvernements avaient financé leurs déficits à partir d’une certaine date passée en créant des réserves.

Bien sûr, rien de cela n’aurait eu d’importance si les gouvernements n’avaient pas eu de raisons d’être intéressés par le financement monétaire des déficits. La raison évidente expliquant pourquoi ils pourraient y trouver un intérêt est que le financement monétaire était moins cher que l’émission de dette sur le marché obligataire. La création de monnaie/réserves entraîne un coût égal au niveau auquel la banque centrale fixe le taux d’intérêt de court terme. L’émission de dette peut entraîner un coût similaire si cette dette était à très court terme. Cependant, les gouvernements ont l’option (qu’ils prennent généralement) d’émettre des obligations de plus long terme. Cela peut ou non être immédiatement moins cher que de créer de la monnaie/des réserves, selon que les taux d’intérêt de long terme sont supérieurs ou inférieurs aux taux d’intérêt de court terme. Après la crise financière mondiale, les taux de court terme étaient inférieurs aux taux de long terme, donc le financement monétaire aurait été moins cher et l’assouplissement quantitatif était rentable. Actuellement, les taux d’intérêt de long terme sont inférieurs aux taux de court terme, donc le financement obligataire serait moins cher en cet instant. Cependant, à long terme, si l’option d’emprunter à long terme est moins cher pour les gouvernements reste une question ouverte. Ellison et Scott estiment que le Royaume-Uni, qui tend à emprunter à long terme, aurait mieux fait d’emprunter à court terme.

La situation serait claire si les banques centrales payaient seulement des intérêts sur les réserves à la marge, plutôt que de payer des intérêts sur toutes les réserves. Cela permettrait aux banques centrales de continuer de contrôler les taux d’intérêt de court terme, mais aussi de verser substantiellement moins d’intérêts sur le stock total de réserves. J’ai déjà discuté de cette possibilité en détails ici, dans le contexte de la réduction des pertes provoquées par l’assouplissement quantitatif. Une raison supplémentaire de payer des intérêts seulement à certaines réserves est qu’il n’y a pas de raison évidente à ce que les banques commerciales reçoivent de larges sommes de monnaie pour leurs réserves lorsque les taux d’intérêt sont élevés et quasiment rien lorsque les taux sont faibles.

Si les intérêts étaient seulement versés sur des réserves marginales, alors il deviendrait clairement attractif du point de vue des finances publiques de financer les déficits en créant de la monnaie/des réserves plutôt qu’en émettant de la dette. Alors pourquoi les gouvernements n’explorent-ils pas cette possibilité ? Je pourrais également demander pourquoi les économistes orthodoxes ne parlent pas plus de cette possibilité. Peut-être que je manque quelque chose d’évident ici. Si c’est le cas, faites-le moi savoir !

Un possible argument qui, selon moi, ne tient pas est qu’un financement moins coûteux des déficits encouragerait les gouvernements à être dépensiers. La principale dissuasion à la prodigalité budgétaire quand il y a une banque centrale indépendante, ce sont les taux d’intérêt élevés, pas des paiements d’intérêts sur la dette élevés.

J’aimerais finir en faisant deux points additionnels. Le premier porte sur les marchés financiers et le défaut de paiement. Le financement monétaire peut apparaître attractif à ceux qui croient que la finance par endettement contraint les décisions budgétaires du gouvernement. L’idée est que les marchés obligataires pourraient soudainement arrêter de prêter aux gouvernements et cela empêche les politiciens de faire des choix de politique budgétaire optimaux. Si les politiciens pensent ainsi ils se trompent, parce qu’il est improbable (comme je l’ai expliqué ailleurs) que le marché obligataire arrête de prêter au gouvernement et, si cela survenait, la banque centrale agirait en tant qu’acheteur en dernier ressort de la dette publique. C’est ce qui s’est passé pendant la pandémie et après le fameux événement budgétaire de Truss.

Parce que les gouvernements peuvent créer de la monnaie, ils n’ont pas à s’inquiéter à l’idée d’être forcés à faire défaut en conséquence de turbulences sur les marchés obligataires. En outre, le fait que les gouvernements aient un arbre de monnaie magique signifie que les obligataires peuvent toujours obtenir des intérêts et retrouver leur monnaie. Le seul défaut formel que doivent craindre les marchés obligataires est celui que les gouvernements choisissent, parce que le coût politique qu’il y a à assurer le service de la dette publique devient trop élevé. Nous sommes loin de tels niveaux aujourd’hui (...).

Mon second point concerne les actifs sûrs. Parce que les gouvernements des pays développés qui s’endettent dans leur propre monnaie choisissent rarement de faire défaut, la dette qu’ils émettent est bien plus sûre que toute dette que crée le secteur privé. Une telle dette est précieuse pour le secteur financier. Elle apporte aux fonds de pension une plus grande certitude qu’ils pourront verser des pensions à l’avenir, par exemple. Il y a une très bonne raison expliquant pourquoi les gouvernements doivent continuer d’émettre de la dette. Est-ce que cela signifie que les gouvernements doivent toujours financer leurs déficits en utilisant la dette ? Non, parce que les gouvernements peuvent émettre de la dette pour acheter des actifs (via un fonds souverain par exemple) plutôt que financer des déficits. »

Simon Wren-Lewis, « Could governments finance deficits by creating money? », in Mainly Macro (blog), 16 avril 2024. Traduit par Martin Anota

dimanche 14 avril 2024

Les liens de la semaine

Environnement et ressources naturelles

  • Les douze derniers mois ont été les plus chauds jamais enregistrés sur la planète (Le Monde)
  • Condamnation de la Suisse par la CEDH : une avancée utile dans la lutte contre le réchauffement climatique (Le Monde)
  • PFAS : premier succès contre les "polluants éternels" (Alter éco)
  • La planification écologique, victime inévitable des arbitrages budgétaires ? (The Conversation)
  • Innovation verte : un déclin qui interroge (The Conversation)
  • Capitalisme et écologie sont-ils incompatibles ? (Le Monde)
  • La conservation contre le capitalisme (La Vie des idées)


Militantisme écologique

  • Le militantisme écologiste est-il aussi impopulaire qu'on le pense ? (The Conversation)
  • Climat : les jeunes manifestants peuvent-ils encore peser sur les négociations pendant les COP ? (The Conversation)


IA

  • Les gains de productivité promis par l'intelligence artificielle mis en doute (Les Echos)
  • Quel sera l’impact de l’IA sur la croissance économique ? (D'un champ l'autre)


Croissance économique

  • Les pays émergents pèsent plus lourd sur l’échiquier économique mondial (FMI)
  • Relancer la productivité est une priorité mondiale pour réveiller la croissance à moyen terme (FMI)


Inflation

  • En mars 2024, les prix à la consommation augmentent de 0,2 % sur un mois et de 2,3 % sur un an (INSEE)
  • L’argument selon lequel l’inflation va reculer dans la zone euro en raison de la faiblesse de la croissance (de la demande) est très douteux (Patrick Artus)


GRAPHIQUE Glissements annuels de l'indice des prix à la consommation (IPC), de l'inflation sous-jacente (ISJ) et de l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) en France (en %)

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source : INSEE (2024)

Marchés et concurrence

  • Prix planchers dans l’agriculture : producteurs et consommateurs pourraient bien y perdre (The Conversation)
  • Comment les entreprises tirent profit du boom du marché de l’occasion (Alter éco)


Marché de l'immobilier

  • Le logement est une des raisons pour lesquelles les effets des taux d’intérêt plus élevés diffèrent selon les pays (FMI)
  • Comment la politique monétaire affecte les marchés de l’immobilier (D'un champ l'autre)
  • Immobilier et endettement des ménages en France, Allemagne, Espagne et Italie : une situation singulière de la France (Banque de France)


Monnaie et finance

  • La "bulle" sur les actions va pouvoir continuer à gonfler (Patrick Artus)
  • L’essor rapide du marché du crédit privé, qui pèse 2 000 milliards de dollars, exige une plus étroite supervision (FMI)
  • L’intensification des cybermenaces suscite de grandes inquiétudes pour la stabilité financière (FMI)
  • Prêts garantis par l’État et prise de risque bancaire (Banque de France)
  • Une monnaie commune au Sahel : derrière la logique politique, un risque économique (The Conversation)


GRAPHIQUE Taux d'inflation dans la zone euro, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et au Japon et cible des banques centrales (en %)

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source : OFCE (2024)

Dette publique

  • Le problème budgétaire de la zone euro et de la France a deux causes : les transferts aux ménages et le recul de la productivité (Patrick Artus)
  • Pourquoi la dette publique ne va pas baisser (Charles Wyplosz)
  • Trois bonnes nouvelles sur la dette publique française (Christian Chavagneux)
  • Quelles différences entre la France et les États-Unis en ce qui concerne la possibilité d’avoir un déficit public très important ? (Patrick Artus)


Politique industrielle

  • La politique industrielle n’est pas un remède miracle contre la faible croissance (FMI)
  • Bien gérer le retour de la politique industrielle : la barre est haute (FMI)


Migration

  • Le pacte migratoire européen, un compromis au goût amer (Le Monde)
  • Comprendre les enjeux du "pacte migratoire" européen, qui doit être voté à Bruxelles (Le Monde)


Inégalités et stratification sociale

  • Les territoires des émeutes. La ségrégation urbaine au cœur des violences (La Vie des idées)
  • Enfance : comment les inégalités de langage se construisent (The Conversation)
  • Le récit de transfuge de classe : un "script" médiatique ? (The Conversation)
  • Les individus sont-ils moins heureux dans les sociétés inégalitaires ? (A la marge)


Ecole

  • Neuf graphiques pour saisir l’ampleur de la ségrégation scolaire en France (Alter éco)
  • "Dès la maternelle, les élèves de milieux défavorisés prennent moins la parole". Entretien avec Sébastien Goudeau (Observatoire des inégalités)
  • Violences à l’école : une longue histoire ? (The Conversation)


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Fiscalité et redistribution

  • Taxe lapin : Attal réhabilite le mythe du patient fraudeur pour faire oublier le recul de l’Etat (Alter éco)
  • Santé : la France a-t-elle un système plus socialisé qu’ailleurs ? (Brigitte Dormont)
  • Pour "désmicardiser" la France, faut-il augmenter la TVA sociale ? (Alter éco)
  • "Moins d’impôts n’implique pas plus de bonheur, c’est même l’inverse" (Pierre Boyer)


Travail, emploi, chômage

  • Effet de la réforme du RSA sur les chiffres du chômage ? (OFCE)
  • Y a-t-il un rapport entre le niveau du chômage et les règles de l’indemnisation du chômage et les politiques actives du marché du travail ? (Patrick Artus)
  • Accès à la formation : pourquoi souhaiter se former ne suffit pas (Céreq)
  • L’index égalité professionnelle… mis à l’index (Alter éco)
  • Homme sage-femme ou assistant social : des trajectoires à l’encontre des inégalités de genre ? (AOC)
  • Les vertus écologiques de la baisse du temps de travail (Reporterrre)


GRAPHIQUE Taux de chômage dans la zone euro, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et au Japon (en %)

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source : OFCE (2024)

Politique

  • "Il faut en finir avec la démocratie participative, qui accentue la crise qu’elle prétend résoudre" (Manon Loisel)
  • En Slovaquie, la victoire du candidat de la peur (Le Monde)
  • Argentine : Javier Milei à l’épreuve du pouvoir (The Conversation)


Contrôle social

  • Covid-19 : bilan d’une surveillance massive (CNRS)
  • Paris 2024, terrain de jeu pour la surveillance algorithmique (Alter éco)


Violences sexistes





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dimanche 7 avril 2024

Les liens de la semaine

Environnement et ressources naturelles

  • La Terre, un système en équilibre précaire (CNRS)
  • Sobriété écologique : les Français adhèrent en principe, beaucoup moins en pratique (Alter éco)
  • La loi agricole entre pragmatisme et recul écologique (Le Monde)
  • La loi d’orientation agricole, un cheval de Troie pour défaire le droit de l’environnement (Alter éco)
  • Des mines pour sauver la planète ? (La Vie des idées)


Croissance, fluctuations et crises

  • La stagnation, puis le recul de la productivité du travail datent de la mi-2017 dans la zone euro : cela élimine beaucoup d’explications de cette stagnation (Patrick Artus)
  • Les causes du recul de la productivité du travail dans la zone euro et en France (Patrick Artus)
  • Pourquoi la zone euro décroche-t-elle à partir de 2017 par rapport aux États-Unis ? (Patrick Artus)
  • L’ajustement de l’immobilier : beaucoup par les quantités et peu par les prix (Patrick Artus)
  • Quels scénarios à l‘horizon 2030 ? (Philippe Waechter)




Numérique

  • DMA : trois lettres qui changent beaucoup (Emmanuel Combe)
  • Les enjeux économiques de l'intelligence artificielle (Trésor)


Monnaie finance


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Dette publique


Economie internationale

  • "Il y a une fenêtre historique inédite pour sortir du franc CFA" (Alter éco)
  • Mondialisation : comment la sécurité économique est devenue la priorité (Isabelle Bensidoun)


Migration

  • Flux migratoires. Des entrées en hausse en 2022 dans un contexte de normalisation sanitaire et de guerre en Ukraine (INSEE)
  • Population immigrée, entrées sur le territoire, titres de séjour… S’y retrouver dans les chiffres de l’immigration (INSEE)


GRAPHIQUE Soldes migratoire et naturel de la France (en milliers)

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source : INSEE (2024)

Inégalités et justice sociale


Ecole

  • Mixité sociale : l’enseignement privé doit prendre sa part (Le Monde)
  • Ecole privée : un rapport relance le débat politique, pas encore la "guerre scolaire" (Alter éco)
  • Groupes de niveau : les profs en grève contre le tri scolaire (Alter éco)
  • Le "choc des savoirs" et la mort du collège unique (François Dubet)
  • Enseigner face aux enjeux de laïcité, discriminations et racisme (AOC)


Réformes de l'assurance-chômage

  • Assurance-chômage : les grandes étapes d’un durcissement des règles depuis 2017 (Le Monde)
  • Réforme de l'assurance-chômage : la réduction de la durée d'indemnisation favorise-t-elle un retour à l'emploi ? (France Info)
  • Assurance chômage : une inépuisable source de taxation pour l’Etat (Bruno Coquet)
  • La "classe moyenne" qui s’en prend aux "chômeurs" ne s’en prend qu’à elle-même (Mathieu Grégoire)


Politique

  • Pourquoi le vote n’attire plus (Le Monde)
  • Elections municipales en Turquie : le pire revers d’Erdogan (Le Monde)
  • Les extrêmes prolifèrent sur les difficultés des partis issus d’une société industrielle qui disparaît (Michel Wieviorka)


Géopolitique

  • Israël-Gaza : le triomphe de la haine (Le Monde)
  • État islamique : une "dette de sang" par-delà l’espace et le temps (The Conversation)
  • Pourquoi les débats sur le rôle de la France au Rwanda demeurent-ils aussi sensibles ? (The Conversation)


Contrôle social et déviance

  • "Je ne contracte pas" : les êtres souverains, ces complotistes qui nient l’autorité des Etats (Le Monde)
  • Le traitement judiciaire des violences sexuelles et conjugales en France (IPP)
  • De la culture du viol (AOC)
  • Légalisation, dépénalisation : comment les législations du cannabis s’assouplissent à travers le monde (Le Monde)





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lundi 1 avril 2024

Les pays pauvres doivent-ils rester pauvres ?

« La Révolution industrielle dans le nord-ouest de l’Europe, étudiée dans d’innombrables articles et livres, s’est produite en grande partie de manière "endogène", en s’appuyant sur la Révolution commerciale du Moyen Âge, en tirant directement un usage économique de la science et en créant de nouvelles technologies. La Révolution industrielle dans une partie du monde a néanmoins été accompagnée, ou peut-être même été accélérée, par les quatre "mauvais" développements connus dans le reste du monde.

Le premier "mauvais" développement a été la colonisation de nombreuses régions non européennes du monde. Les nations européennes ont imposé un contrôle politique sur la majeure partie de l’Afrique, de l’Asie et de l’Océanie et l’ont utilisé pour exploiter les ressources naturelles et le travail domestique bon marché (ou forcé). Il s’agit de ce que l’on appelle les "transferts sans contrepartie", dont l’ampleur est largement débattue, même s’il ne fait aucun doute qu’elle était substantielle. Selon Angus Maddison, de l'Inde vers le Royaume-Uni et de Java vers les Pays-Bas, cela représente entre 1 et 10 % du PIB annuel des colonies. Utsa Patnaik pense que ces transferts ont été bien plus importants et qu'ils ont contribué de manière significative au décollage britannique en finançant jusqu'à un tiers des fonds utilisés pour l'investissement.

Le deuxième "mauvais" développement a été l’esclavage transatlantique qui augmentait les profits de ceux qui contrôlaient le commerce (essentiellement des marchands en Europe et aux États-Unis) et de ceux qui utilisaient les esclaves transportés dans les plantations de la Barbade, d’Haïti, du sud des États-Unis, du Brésil, etc. Il s’agissait clairement d’un autre énorme transfert de valeur "sans contrepartie".

Le troisième "mauvais" développement, comme l’ont soutenu entre autres Paul Bairoch et Angus Maddison, a été le fait que les pays du Nord aient découragé les avancées technologiques dans le reste du monde en imposant des règles qui les favorisaient (interdictions de production de biens transformés, Actes de navigation, pouvoir de monopsone, contrôle du commerce intérieur et finances nationales, etc.). C’est ce que désignait Paul Bairoch en forgeant le terme de "contrat colonial". Des pays aussi divers que l’Inde, la Chine, l’Égypte et Madagascar entrent dans cette catégorie. "La désindustrialisation et le fait que les bénéfices des exportations ont probablement été accaparés par des intermédiaires étrangers ont provoqué une baisse catastrophique du niveau de vie des masses indiennes." (Paul Bairoch, De Jericho à Mexico, p. 514)

Ces "maux" ont été et continuent d'être débattus et, même si l’on doit encourager les efforts visant à les éclairer, ils n'ont pas de conséquences politiques ou financières directes sur le monde d'aujourd'hui. Les idées, avancées de temps à autre, d’une compensation monétaire pour de tels maux sont farfelues et irréalisables. Il n’est pas non plus possible d’identifier clairement les "coupables" et les "victimes".

Ce n’est cependant pas le cas du quatrième "mauvais" développement, en l’occurrence l’accumulation de CO2 dans l’atmosphère, et donc le changement climatique, qui est en grande partie le produit du développement industriel. Le quatrième "mauvais" développement est le problème d’aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’une simple injustice passée qui peut être étudiée et débattue, mais contre laquelle rien d’autre ne pourrait être fait. La raison en est que la nouvelle production industrielle continue d’aggraver le problème du changement climatique. Dans la mesure où les anciens pays du tiers monde sont aujourd’hui en train de rattraper le "vieux" monde riche, ce sont les pays d’Asie qui s’industrialisent rapidement, ainsi que ceux qui ont récemment découvert d’importants gisements de pétrole (comme le Guyana), qui pourraient accroître considérablement le stock de CO2. Certainement bien plus que ce qu’ils ont fait dans le passé. La Chine, par exemple, est aujourd’hui le plus gros émetteur de CO2. (Il n’est pas du tout évident que les pays devraient être les principales "parties" à ce problème, car ce sont les riches qui sont les plus importantes émetteurs. C’est une question que j’ai abordée ici et que je laisse de côté pour l’instant.)

Si les nouveaux pays en développement étaient tenus responsables de leur part des émissions annuelles (c’est-à-dire de leur part dans le "flux" annuels d’émissions) comme si la responsabilité du "stock" d’émissions précédentes n’avait pas d’importance, cela freinerait la croissance des nouveaux pays industrialisés et leur imposerait des coûts injustes. Les émissions existantes constituent un problème de "stock". C’est parce que, par le passé, le monde (c’est-à-dire les pays actuellement riches) a émis tellement d’émissions que nous sommes aujourd’hui confrontés au problème. En d’autres termes, le changement climatique ne peut pas être traité uniquement comme un problème de "flux", et même pas essentiellement.

Cela est particulièrement vrai pour les pays qui sont aujourd’hui pauvres et qui n’ont pas contribué aux émissions par le passé. Les pointer du doigt signifie ralentir leur croissance et compromettre la réduction de la pauvreté dans le monde. Un pays pauvre qui émet une quantité de CO2 cette année ne peut pas être traité comme un pays riche qui émet la même quantité de CO2 cette année. Le pays riche a une plus grande responsabilité en raison de ses émissions passées. (Je ne sais pas si le stock net accumulé de ses émissions est directement proportionnel à son PIB actuel, mais le fait qu'il soit positivement corrélé est reconnu par tous.) Ainsi, selon toute notion de justice, le pays riche devrait soit s'engager à des émissions annuelles absolues bien inférieures à celles d'un pays pauvre (ce qui en soi réduirait le revenu du pays riche), soit compenser un pays pauvre pour tous les revenus qu'il aurait gagnés grâce à la production pétrolière ou à la production industrielle auxquelles il renonce afin de réduire ses émissions de carbone.

Les pays riches devraient soit émettre (par tête) beaucoup moins que les pays pauvres ou en développement (idéalement, proportionnellement à leur responsabilité dans le "stock" d’émissions), soit compenser les pays pauvres pour toute perte de revenus qui résulterait d’une réduction volontaire de leur production.

Cela signifie que les pays riches doivent soit réduire leurs niveaux de revenu, soit transférer d’importantes ressources aux pays en développement. Ni l’un ni l’autre n’est politiquement réalisable. Le premier scénario impliquerait une réduction du PIB par habitant d’un tiers ou plus. Aucun parti politique occidental ne peut gagner des voix en suggérant des baisses de revenu plusieurs fois supérieures à celles enregistrées lors de la récession de 2007-2008. Le deuxième scénario est également peu probable puisqu’il impliquerait des transferts de milliards, voire de milliers de milliards, de dollars.

Dans la mesure où les pays riches ne peuvent faire ni l’une ni l’autre de ces deux choses et où ils souhaitent garder une certaine hauteur morale en parlant du problème, nous avons droit à des spectacles comme la récente interview sur la BBC où le président du Guyana s’est fait sermonné sur la possibilité que le Guyana émette des millions de tonnes de CO2 dans l'atmosphère si ses nouveaux gisements pétroliers étaient exploités. Avant la récente découverte de pétrole, le PIB par habitant du Guyana était d'environ 6.000 dollars, soit environ 12 000 dollars PPA ; le premier chiffre représente un huitième de celui du PIB par tête du Royaume-Uni, le second un quatrième de ce dernier. L'espérance de vie en Guyane est inférieure de 10 ans à celle du Royaume-Uni et le nombre moyen d'années de scolarité est de 8,5 ans contre 12,9 ans au Royaume-Uni.

La conclusion est donc la suivante : si les pays riches ne sont pas disposés à faire quoi que ce soit de significatif pour lutter contre le changement climatique et assumer leur responsabilité pour celui-ci, ils ne devraient pas faire preuve de démagogie morale pour empêcher les autres pays de se développer. Dans le cas contraire, l'apparente préoccupation pour le "monde" n'est qu'un moyen de détourner la conversation et de maintenir de nombreuses personnes dans une pauvreté abjecte. Il est logiquement impossible (a) de garder une position morale élevée, (b) de ne rien faire en réponse aux responsabilités passées et (c) de se déclarer favorable à la réduction de la pauvreté mondiale. »

Branko Milanovic, « Should poor countries remain poor? », in globalinequality (blog), 31 mars 2024. Traduit par Martin Anota

dimanche 31 mars 2024

Les liens de la semaine

Population


Environnement et ressources naturelles

  • Le retour d’El Niño apporte insécurité alimentaire et instabilité macroéconomique en Afrique australe (CEPII)
  • Pollens : comment le changement climatique aggrave nos allergies (Le Monde)
  • Six graphiques qui montrent à quel point le monde reste dépendant du charbon (Alter éco)
  • "Pour combler le déficit, le gouvernement va encore se détourner de l’écologie" (Anne-Laure Delatte)
  • Bruxelles à la veille d’une PAC moins verte (Alter éco)
  • "La transition énergétique n’aura pas lieu" : pourquoi le livre de Jean-Baptiste Fressoz fait débat (Alter éco)
  • Peut-on être trop heureux pour se préoccuper du climat ? (The Conversation)


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JO

  • Qui touchera "l’héritage" économique de Paris 2024 ? (Alter éco)
  • L’écologie populaire face à l’urbanisme olympique. Chroniques d’un jardin ouvrier en lutte (Métropolitiques)


Croissance, fluctuations et crises

  • Le recul de la productivité dans la zone euro n’a pas de cause cyclique (Patrick Artus)
  • L’importance de la dette des entreprises dans l’instabilité financière et le cycle d’affaires (D'un champ l'autre)


Inflation


GRAPHIQUE Évolutions de l'indice des prix à la consommation en France (en %)

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source : INSEE (2024)

Commerce international

  • Transport maritime : les points de blocage se multiplient pour les navires (Alter éco)
  • Ce qui pourrait changer après le rejet du CETA par le Sénat (Alter éco)
  • Refuser le CETA : une nécessité qui va bien au-delà du libre-échange (Alter éco)
  • Vote anti-mondialisation : des importations qui le favorisent, des exportations qui le freinent (CEPII)
  • La France n’a pas d’avantages comparatifs favorables à la réindustrialisation (Patrick Artus)


Monnaie et finance

  • Comptes des banques centrales : le trou d’air était attendu (Agnès Bénassy-Quéré)
  • La conduite de la politique monétaire en zone euro et aux États-Unis (Trésor)
  • Structure de dette et hausse des taux, le cas des entreprises européennes (Banque de France)


Dette publique

  • En 2023, le déficit public s’élève à 5,5 % du PIB, la dette publique à 110,6 % du PIB (INSEE)
  • Déficit à 5,5 % : les recettes (fiscales) pour contrôler le dérapage (Patrick Artus)
  • Si l’Allemagne n’accepte pas de réformer ses règles budgétaires (le frein à la dette), toute la zone euro sera pénalisée (Patrick Artus)
  • Y a-t-il un problème de soutenabilité de la dette publique dans la zone euro ? (Patrick Artus)


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Fiscalité

  • Etats-Unis : des cadeaux fiscaux aux entreprises qui coûtent cher (Alter éco)
  • Impôt sur la fortune : le mythe de l’exil fiscal des riches (Alter éco)


Genre

  • Féminicides : que peuvent les politiques publiques ? (Alter éco)
  • "Les exécutions de femmes s’inscrivent dans de longues biographies de violence" (Christelle Taraud)
  • Valeurs et orientations culturelles: le "gender gap" se creuse (Olivier Galland)
  • "Transfuges de sexe" : un autre genre de mobilité sociale (The Conversation)


Inégalités et justice sociale


GRAPHIQUE Taux de pauvreté et taux de chômage en France (en %)

Guillaume_Allegre__taux_de_chomage_taux_de_pauvrete_France.png source : Guillaume Allègre (2024)

Ecole

  • Les "fondamentaux", une obsession sans fondement (Philippe Watrelot)
  • L'orientation du collège au lycée : quel vécu pour les élèves en éducation prioritaire ? (The Conversation)


Travail, emploi, chômage

  • Au quatrième trimestre 2023, l’emploi salarié est quasi stable dans la majorité des régions (INSEE)
  • Les hausses de salaire négociées pour 2024 : où en est-on ? (Banque de France)
  • Le lourd tribut imposé aux chômeurs (Le Monde)
  • Horaires de travail : la France flexible des peu qualifiés (Observatoire des inégalités)


Politique

  • Comment Emmanuel Macron a dynamité la démocratie sociale (Alter éco)
  • Comment Eric Zemmour a-t-il droitisé la France ? (The Conversation)
  • Pour une sociologie politique du FN/RN (AOC)
  • La gauche, l’hiver politique, l’horizon majoritaire et l’imaginaire émancipateur (AOC)
  • L’État peut-il transformer les individus ? Réflexions sur la socialisation d’État (La Vie des idées)


Géopolitique





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