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« Q : Si les consommateurs dépensent moins et épargnent plus, cela signifie-t-il que l’investissement s’accroît ?

R : Absolument pas. Que des personnes accroissent leur épargne n’implique pas automatiquement qu’une entreprise va décider d’acheter plus de capital fixe.

Q : Mais l’épargne égale tout de même l’investissement selon l’identité dans la comptabilité nationale.

R : En effet. Production totale = revenu total = dépense totale = Y. Dans le plus simple modèle d’une économie fermée sans gouvernement, le revenu (Y) = consommation (C) + épargne (S), mais aussi dépense (Y) = consommation (C) + investissement (I). Donc S = I par définition. Mais ici les investissements incluent ce qu’on appelle l’"accumulation de stocks", qui comprend les biens que les entreprises veulent vendre, mais ne peuvent le faire. Pour éclaircir ce point, séparons l’investissement mesuré (I) en deux composantes : I = DK (l’achat de capital fixe) + DS (l’accumulation de stocks). Donc si les gens consomment moins (C diminue), mais que l’investissement dans le nouveau capital (DK) reste constant, alors l’investissement mesuré augmente parce que les entreprises accumulent des stocks de biens que les consommateurs ne veulent pas acheter (DS augmente).

Q : Mais cette situation ne peut persister, puisque les entreprises peuvent perdre de l’argent.

R : Exactement. Elles vont réduire leur production, les revenus vont chuter, la consommation peut se réduire davantage, et l’épargne va également se contracter, ce qui réduit la hausse initiale d'épargne avec laquelle nous avons commencé.

Q : Quand ce processus va-t-il s’arrêter ?

A : Quand les entreprises arrêteront d’accumuler des stocks, c’est-à-dire lorsque DS = 0. Alors, et seulement alors, S = DK.

Q : Mais comment cela peut-il être possible ? Nous avons supposé que DK reste identique, et nous avons commencé avec une hausse de S ?

R : Vous n’avez pas fait suffisamment attention. Chaque fois que les entreprises réduisent leur production parce que la demande a diminué, les revenus et l’épargne diminuent. Finalement, la hausse initiale dans l’épargne est renversée, parce que le revenu global a chuté.

Q : D’accord. Mais les manuels font toute une histoire de l’égalité entre l’épargne et l’investissement agrégés. Si c’est juste une identité comptable, pourquoi est-ce si important ?

R : Ce que les manuels cherchent vraiment à dire est que nous finissons dans une situation où S = DK. Et ceci est important, pour les raisons dont nous venons de discuter. C’est ce qu'on appelle le paradoxe de l’épargne. Si les consommateurs désirent accroître leur épargne, la production va s’en trouver réduite et l’épargne ne va pas augmenter du tout. (Bien sûr, ils épargnent toujours une plus grande part de leur revenu : S/Y s’accroît, mais parce que Y a diminué, et non parce que S s’est accrue.)

Q : Mais je pensais qu’avec toute cette production en “juste à temps”, les entreprises n’avaient plus de stocks du tout.

R : Bien, nous pouvons court-circuiter l’histoire en oubliant les stocks et en considérant que les entreprises prévoient exactement ce que sera la demande, et par conséquent à quel niveau amener leur production. En pratique, ce que nous appelons l’accumulation involontaire de stocks peut toujours être importante lorsque l’on regarde les évolutions trimestrielles de la production nationale.

Q : Mais est-ce réaliste de supposer que l’investissement (je veux dire DK) reste le même si l’épargne est initialement plus élevée ? S’il y a plus d’épargne, il devient moins cher d’emprunter, ce qui devrait encourager l’investissement, pas vrai ?

R : ça pourrait être le cas, comme ça peut ne pas l’être. En particulier, si la production chute, les entreprises peuvent être réticentes à accroître leur stock de capital.

Q : Mais les taux d’intérêt ne vont-ils pas diminuer jusqu’à ce que ce soit le cas ? Après tout, le marché d’actif doit s’équilibrer.

R : Les épargnants ont une alternative, qui est de garder leur épargne sous forme de monnaie.

Q : Mais ils vont laisser leur monnaie dans les banques, et les banques vont la prêter.

R : Peut-être, mais la banque peut décider de juste garder des liquidités.

Q : ça semble être vraiment important ce que les gens font avec leur épargne supplémentaire.

R : Peut-être. Mais je pense que le point clé est que, la plupart du temps, la personne qui épargne est différente de la personne qui réalise un investissement. Elles n'ont pas les mêmes motivations. Un système financier hautement complexe lie les deux. Et dans ce système, il va y avoir de nombreuses opportunités pour que l’épargne additionnelle prenne la forme de monnaie.

Q : La monnaie semble très importante ici. C’est pourquoi l’épargne additionnelle ne conduit pas forcément à davantage d’investissement.

R : C’est vrai.

Q : Si les gens détiennent l’épargne supplémentaire sous forme de monnaie, cela ne va-t-il pas accroître la demande de monnaie ? Que se passe-t-il si la banque centrale garde l’offre de monnaie fixe ?

R : Les gens détiennent de la monnaie, pas simplement comme un moyen d’épargner, mais aussi pour acheter et vendre des choses. Et s’ils consomment moins, il y a moins besoin de monnaie. C’est difficile de prédire ce qui va se passer pour la demande totale de monnaie, ce qui explique pourquoi les banques centrales s'évertuent aujourd’hui à déterminer les taux d’intérêt à court terme, plutôt que l’offre de monnaie.

Q : Ce n’est pas ce qui est dit dans mon manuel. Il dit que la banque centrale fixe l’offre de monnaie.

R : Oui je sais. J’ai peur qu’il soit un peu daté. Ne me demande pas pourquoi.

Q : Donc si la banque centrale détermine le taux d’intérêt, pourquoi n’assurent-elles pas que le taux d’intérêt soit suffisamment faible pour encourager les entreprises à acheter davantage de capital fixe ?

R : C’est ce qu’elles aimeraient faire. Il y a deux problèmes. Premièrement, ça peut prendre quelques temps pour les autorités monétaires de comprendre ce qui se passe et à quel niveau établir le taux d’intérêt. (Je pourrais parler ici des taux d’intérêt réels et nominaux, mais laissons ça pour un autre jour.) Deuxièmement, les taux d’intérêt réels ne peuvent aller sous zéro, et peut-être que nous nécessitons des taux d’intérêt négatifs pour persuader les entreprises d’investir davantage.

Q : Mon manuel dit aussi que le modèle classique suppose que les taux d’intérêt s’ajustent de manière à ce que S = I, ce par quoi je suppose qu’ils pensent S = DK. Cela signifie-t-il que le modèle classique est faux ?

R : Seulement si vous pensez qu’il va s’appliquer en tout temps, et qu’il n’y a pas d’autre raison pour laquelle la production puisse chuter. Cependant, si nous supposons que les autorités monétaires sont finalement capables de choisir le bon taux d’intérêt, alors le modèle classique fonctionne lorsque l’on observe l’économie sur un horizon temporel suffisamment éloigné.

Q : Tout cela semble relever du bon sens. Je me sens un peu stupide de ne pas avoir compris cela avant.

R : Ne vous inquiétez pas, vous n’êtes pas le seul. »

Simon Wren-Lewis, « Savings equals investment? », in Mainly Macro (blog), 14 janvier 2012, cité par Lars P Syll.