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« Depuis la fin des années soixante-dix, les parts du revenu total (…) détenues respectivement par le 1 % et par le 0,1 des ménages les plus riches se sont dramatiquement accrues. Le 1 % des ménages les plus aisés possédait 8 % du gâteau des revenus en 1975, mais presque 24 % en 2007. La dernière fois que les inégalités avaient été aussi élevées fut la veille de la Grande Dépression des années trente.

Ces différences s'expliquent notamment par les dynamiques sur le marché du travail. En 1970, les 10 % les plus aisés gagnaient 3,2 fois plus que les 10 % les plus pauvres. En 2010, ce ratio a atteint 5,2. Les performances de l’économie américaine ont été mauvaises au cours des quatre dernières décennies. La productivité (…) s’est accrue de 4 % entre 1972 et 2010. La rémunération du travail (…) suit de très prêt la productivité sur la plus grande partie de cette période. Depuis le début des années deux mille, cependant, la rémunération du travail a décroché. Cela signifie que les profits des entreprises représentent une part croissante du gâteau du revenu.

Plus surprenant encore, les salaires médians ont augmenté de 20 % depuis 1972, tandis que la rémunération moyenne augmentait de 71 %. Il y a deux raisons à cela. Premièrement, la hausse des inégalités salariales signifie que les salaires moyens se sont accrus bien plus rapidement que les salaires médians. Deuxièmement, les rémunérations non salariales, en particulier les frais de santé, ont dramatiquement augmenté. La stagnation des salaires médians entre en résonance avec le débat sur la "polarisation" : les classes moyennes se sentent pressées à la fois par le haut et par le bas. (…)

Mais qu’en est-il du rêve américain ? Bien que les Etats-Unis aient des inégalités plus fortes que les autres pays riches, n’est-il pas plus facile pour les enfants pauvres de s’y enrichir en travaillant dur ? De manière surprenante, le fait d’être né riche a davantage d'impact sur les chances futures de réussite dans la vie aux Etats-Unis que dans presque tous les autres pays riches. La corrélation entre les rémunérations d’un homme avec les rémunérations de son propre père au même âge est vraiment élevée. Une partie de cette moindre mobilité intergénérationnelle s'explique par le fait que les enfants pauvres ont vraiment du mal à obtenir une éducation de bonne qualité. Cela peut aussi refléter les inégalités élevées dans les rémunérations. Si les barreaux de l’échelle des revenus sont très éloignés, comme ils le sont aux Etats-Unis, alors il est beaucoup plus difficile de grimper au sommet. (…) Les pays avec les plus hautes inégalités tendent à avoir la plus faible mobilité.

Parmi les économistes, le consensus est que le progrès technologique est le principal responsable de ces dynamiques d’inégalités en accroissant massivement la demande pour les qualifications. La hausse dans le nombre moyen d’années de scolarité dans les Etats-Unis a diminué pour les primo-arrivants sur le marché du travail depuis la fin des années soixante-dix. Avec trop peu de personnes sortant qualifiées des écoles, la prime pour l’éducation s’est élevée et les inégalités ont décollé. Le commerce avec les pays à bas salaires comme la Chine pourrait aussi rendre la vie plus dure pour les travailleurs les moins qualifiés. Mais les inégalités commencèrent à s’accroître avant que la Chine et l’Inde ne rejoignent l’économie mondiale, ce qui rend cette explication moins probable. Les forces de la technologie et de la mondialisation ont pu aussi créer une société où "le gagnant empoche le tout", où le prix raflé par une superstar du sport ou de l’entreprise est énorme. Mais une autre histoire serait que la mauvaise régulation a permis aux ploutocrates d’écrémer des profits dans les secteurs tels que la finance, en exploitant la garantie de renflouement du gouvernement. »

John Van Reenen, « Inequality and the US election: The elephant in the room », in VoxEU.org, 3 novembre 2012.