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« Quatre ans après le début de la Grande Récession, la zone euro reste en crise. Le PIB et le PIB par tête sont inférieurs à leur niveau d'avant-crise. Le taux de chômage a atteint le niveau historique de 11,6 % en septembre 2012 (…). La soutenabilité de la dette publique est une préoccupation majeure pour les gouvernements nationaux, la Commission européenne et les marchés financiers, mais les larges et successifs programmes de consolidation budgétaire se sont révélés inefficaces pour l’assurer. Jusqu'à présent, l’affirmation selon laquelle l'austérité est la seule stratégie possible pour sortir de cette impasse a été la pierre angulaire du message des dirigeants politiques aux citoyens européens.

Mais cette affirmation est fondée sur un diagnostic erroné : la crise proviendrait des excès budgétaires des Etats-membres. Pour la zone euro dans son ensemble, la politique budgétaire n'est pourtant pas à l'origine du problème. Le gonflement des déficits et des dettes fut une réaction nécessaire des gouvernements face à la pire récession depuis la Seconde Guerre mondiale. La réponse budgétaire a réussi à deux égards : elle a stoppé la spirale récessive et atténué la crise financière. Par conséquent, elle a conduit à une forte hausse de la dette publique dans tous les pays de la zone euro.

En temps normal, la soutenabilité de la dette publique est un problème de long terme, alors que le chômage et la croissance sont des problèmes de court terme. Pourtant, craignant une flambée imminente des taux d'intérêt et étant contraints par le pacte de stabilité et de croissance (PSC), les États-membres et la Commission européenne ont inversé les priorités, alors même que l’activité économique ne s’était pas encore pleinement stabilisée. Ce choix reflète en partie les écueils bien connus du cadre institutionnel de l'Union économique et monétaire (UEM). Mais il reflète aussi une vision dogmatique des choses selon laquelle la politique budgétaire est incapable de gérer la demande et le poids des administrations publiques doit être bridé et limité. Cette idéologie a conduit les Etats-membres à mettre en œuvre des plans d’austérité massifs aux plus mauvais moments.

Comme il est clair maintenant, cette stratégie est profondément erronée. Les pays de la zone et en particulier les pays du sud ont cherché à consolider leurs finances publiques dans la précipitation. Les mesures d'austérité ont atteint une dimension qui n'avait jamais été observée dans l'histoire de la politique budgétaire. La variation cumulée de la politique budgétaire de la Grèce de 2010 à 2012 s'élève à 18 points de PIB. Pour le Portugal, l'Espagne et l'Italie, elle a atteint respectivement 7,5, 6,5 et 4,8 points de leur PIB. La consolidation s’est rapidement synchronisée, conduisant à des répercussions négatives pour la zone euro dans son ensemble, en amplifiant les effets de premier tour. La réduction de la croissance économique, à son tour, rend de moins en moins probable la soutenabilité de la dette publique. Ainsi, l'austérité a été clairement vouée à l'échec (…).

Depuis le printemps 2011, le chômage dans l'UE-27 et en zone euro s’est rapidement accru et le chômage a augmenté de 2 millions de personnes rien que l’année dernière. Le chômage des jeunes a également augmenté de façon spectaculaire au cours de la crise. Au deuxième trimestre de 2012, 9,2 millions de jeunes âgés de 15-29 ans étaient au chômage, ce qui correspond à 17,7 % des 15-29 ans dans la population active et représente 36,7 % du total des chômeurs dans l'UE-27. Le chômage des jeunes a augmenté plus fortement que le taux de chômage global dans l'UE. Les mêmes tendances sont observées pour les travailleurs peu qualifiés. Que nous enseigne l’expérience passée ? Une fois que le chômage a atteint un niveau élevé, il a tendance à y rester les années suivantes. Il s’agit du phénomène de persistance (ou d’hystérésis). (…) Au deuxième trimestre de 2012, près de 11 millions de personnes dans l'UE étaient au chômage depuis un an ou plus. L’année dernière, le nombre de chômeurs de longue durée a augmenté de 1,4 million dans l'UE-27 et de 1,2 million au sein de la seule zone euro. Par conséquent, la taille effective de la population active s’est réduite, ce qui peut conduire en fin de compte à un niveau plus élevé de chômage structurel. Ainsi, il sera plus difficile de générer de la croissance et des finances publiques saines à moyen terme au sein de l'UE. Outre l'effet du chômage de longue durée sur la croissance potentielle et les finances publiques, le chômage de longue durée peut provoquer une augmentation de la pauvreté (…). Nous estimons que le chômage de longue durée peut atteindre 12 millions dans l'UE et 9 millions dans la zone euro à la fin de 2013.

Ce qui est frappant, c'est que les conséquences de la consolidation (…) ont été largement sous-estimées. (…) Les analyses théoriques et empiriques affirmant que la taille des multiplicateurs budgétaires est plus large dans une situation fragile ont été négligées. Concrètement, alors qu’en temps normal, c’est-à-dire lorsque l'écart de production (output-gap) est proche de zéro, une réduction d'un point de PIB du déficit structurel réduit l'activité de 0,5 à 1 % (ce qui correspond au multiplicateur budgétaire), cet effet dépasse 1,5 % dans les mauvais moments et peut même atteindre 2 % lorsque le climat économique est sévèrement déprimé. Toutes les caractéristiques (la récession, les taux directeurs de la banque centrale à leur borne zéro, l’absence de dévaluation compensatrice, l'austérité parmi les principaux partenaires commerciaux) connues pour générer des multiplicateurs plus élevés que la normale sont observables dans la zone euro.

La reprise qui avait été observée à partir de la fin de l'année 2009 s’est enrayée. La zone euro est entrée dans une nouvelle récession au troisième trimestre de 2011 et la situation ne devrait pas s'améliorer : le PIB devrait reculer de 0,4% en 2012 et à nouveau de 0,3% en 2013. L'Italie, l'Espagne, le Portugal et la Grèce semblent sombrer dans une dépression sans fin. Le taux de chômage a grimpé à un niveau record dans la zone euro et surtout en Espagne, en Grèce, au Portugal et en Irlande. La confiance des ménages, des sociétés non financières et des marchés financiers s'est effondrée à nouveau. Les taux d'intérêt n'ont pas reculé et les gouvernements des pays du Sud se heurtent encore à une prime de risque insoutenable sur leurs taux d'intérêt, en dépit de quelques initiatives politiques, tandis que l'Allemagne, l'Autriche ou la France bénéficient de taux d'intérêt historiquement bas.

Plutôt que de se concentrer sur les déficits publics, il faut s’attaquer à la cause sous-jacente à la crise. La zone euro a souffert principalement d'une crise de balance des paiements en raison de l'accumulation de déséquilibres des comptes courants entre ses membres. Lorsque les flux financiers nécessaires pour financer ces déséquilibres s’asséchèrent, la crise prit la forme d'une crise de liquidité. Des mesures auraient dû être prises pour ajuster les salaires et prix nominaux d'une manière équilibrée, en réduisant les répercussions négatives sur la demande, sur la production et sur l'emploi. Au lieu de cela, le salut a été recherché dans l'austérité généralisée ; celle-ci a provoqué une baisse de la demande, des salaires et des prix via la hausse du chômage.

Même si une certaine consolidation budgétaire était certainement un élément essentiel d'une stratégie de rééquilibrage dans certains pays pour freiner les excès du passé, il est essentiel que les pays ayant de larges excédents, en particulier l'Allemagne, prennent des mesures symétriques pour stimuler la demande et assurer une croissance plus rapide des salaires et prix nominaux. En revanche, le fardeau de l'ajustement s’est reposé sur les seuls pays déficitaires. Certains progrès ont été accomplis pour résoudre les déséquilibres de compétitivité, mais le coût a été énorme. L'incapacité à assurer une réponse équilibrée des pays excédentaires accroît aussi l'excédent commercial global de la zone euro. Ce n'est probablement pas une solution durable, car elle déplace l'ajustement sur les pays en dehors de la zone euro et provoquera des contreréactions. »

OFCE, ECLM & IMK, « Independent Annual Growth Survey - First report », novembre 2012.