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« Paul Krugman a blogué il y a quelques jours au sujet de la "surprenante souplesse intellectuelle" dont fait preuve le Fonds monétaire international lorsqu’il approuve l’usage des contrôles de capitaux pour "atténuer la volatilité des flux transfrontaliers" (Krugman, 2012). En effet, un document que vient de publier le Fonds (FMI, 2012) résume, comme le fait remarquer Krugman, à la fois la pratique récente ainsi que l'analyse d'une série de policy discussion notes publiées par l’équipe du Fonds au cours des deux dernières années (Ostry et al., 2010 et 2011). Le document institutionnel du Fonds reconnaît les importants avantages que peuvent apporter les flux de capitaux, mais met aussi en garde contre les risques qui leur sont associés. À l’aune de tels risques, il reconnaît que la libéralisation totale du compte de capital peut ne pas être le bon objectif pour tous les pays, en tout point du temps, et il identifie les conditions sous lesquelles des mesures de capital et prudentielles peuvent être nécessaires pour préserver la stabilité macroéconomique et financière face aux soudains afflux et reflux de capitaux.

Il est essentiel d’adopter une perspective multilatérale pour réfléchir aux circonstances dans lesquelles le contrôle des capitaux se révèle approprié. En effet, ce fut un principe fondamental des pères fondateurs du FMI, Keynes et White. Keynes considère que la gestion des flux de capitaux serait beaucoup plus difficile avec des actions unilatérales que si les mouvements de capitaux peuvent "être contrôlés aux deux bouts" de la transaction. White a conclu que les contrôles de capitaux seraient inefficaces s'il n'y avait pas de coopération entre les pays dans leur mise en œuvre.

La perspective de Keynes et White est toujours vivace aujourd'hui. Le G20 par exemple, dans ses Coherent Conclusions portant sur la gestion des flux de capitaux a insisté l'an dernier pour que les politiques nationales mises en place pour faire face à la volatilité des flux de capitaux tiennent compte des éventuelles répercussions transfrontalières. De nombreux pays émergents craignent que les politiques des pays sources accroissent les défis que leur pose la gestion des cycles d’afflux de capitaux, en soulignant les avantages potentiels de la coopération.

Quatre cas semblent être particulièrement saillants pour juger pourquoi la perspective multilatérale s’avère essentielle (ces arguments sont développés dans une staff discussion note par Ostry, Ghosh et Korinek, 2012). La première est la possibilité que le contrôle des capitaux puisse être utilisé comme substitut pour procéder à un ajustement externe justifiée. Quand un pays utilise des contrôles pour soutenir une monnaie sous-évaluée, l'excédent du compte courant qui en résulte est la preuve d’un comportement opportuniste (beggar-thy-neighbour). C'est pourquoi l’on pense généralement que les contrôles de capitaux dont le but est d'empêcher l'ajustement extérieur sont multilatéralement aberrants.

Les implications pratiques sont plus épineuses, cependant, parce qu’il est très difficile de saisir les intentions qui motivent une politique. Un pays avec une monnaie sous-évaluée peut imposer des contrôles de capitaux pour préserver la stabilité de son système financier (plutôt que pour limiter l'ajustement extérieur). Dans de tels cas, alors que l'on devrait normalement appeler à une certaine appréciation de la monnaie dans le cadre du processus d'ajustement, on ne voudrait pas se prononcer sur l'utilisation des contrôles de capitaux pour protéger la stabilité financière si d'autres mesures moins discriminatoires se révèlent parallèlement inefficaces.

Le deuxième cas concerne l'utilisation des contrôles de capitaux en tant que potentiel mécanisme pour manipuler les termes intertemporels de l'échange pour le pays – ce qui en fait un mécanisme conceptuellement similaire à l’usage de droits de douane pour manipuler les termes de l'échange des produits. (…) Certaines politiques qui affectent les flux de capitaux peuvent fortement influencer les taux d'intérêt mondiaux d’une manière qui bénéficie au pays qui les met en œuvre. (…) Demandez-vous si de grands pays créanciers ne restreignent pas les sorties de capitaux ou si de grands pays débiteurs ne poursuivent pas des politiques qui poussent à la baisse les taux d'intérêt mondiaux. D'un point de vue multilatéral, les contrôles pour manipuler les termes de l'échange ne devraient alors pas être tolérés.

Le troisième cas apparaît lorsque les contrôles de capitaux sont utilisés pour traiter les externalités de production dans le secteur des biens exportables. Alors que les impôts et subventions sur la production constituent une réponse naturelle à ces externalités, ces mesures peuvent ne pas être applicables si les ressources budgétaires pour les subventions sont insuffisantes ou si le secteur en question est informel et échappe à l'impôt. Dans une telle situation, la deuxième meilleure solution pourrait être de poursuivre une politique de sous-évaluation de monnaie soutenue par des contrôles de capitaux. Une telle politique constitue un second best car elle fausse à la fois les décisions de consommation et de production, mais l'externalité est seulement du côté de la production. Le plus grand effet sur la balance commerciale est susceptible d'avoir un aspect beggar-thy-neighbour et appelle à un examen multilatéral allant dans le même sens que pour les deux cas étudiés ci-dessus.

Un quatrième cas concerne l'utilisation des contrôles de capitaux pour des questions de stabilité financière. S'il y a des externalités attachées à l’emprunt auprès de l'étranger (pensez à des risques de crise qui seraient exacerbés pour le pays, où les risques ne sont pas internalisés par l'emprunteur), alors des contrôles de capitaux peuvent agir comme des taxes pigouviennes et constituent une réponse optimale au niveau national, en aidant les agents à internaliser les effets externes de leurs emprunts.

En présence d’une multitude de pays, les effets de débordement attachés aux contrôles de capitaux peuvent amplifier les risques d’instabilité financière pour les autres pays en déviant vers eux les flux de capitaux. L'existence de ces externalités n'est pas un argument en soi contre l'utilisation des contrôles de capitaux. Si l’instauration de contrôles des capitaux n'est pas en elle-même coûteuse pour le pays, un équilibre de Nash dans lequel chaque pays choisit un niveau de contrôles pour répondre à ses propres risques d’instabilité financière sera mondialement efficace. Il est toutefois plus probable que l'instauration de contrôles des capitaux entraînera des coûts (notamment parce que les contrôles cibleront imparfaitement les flux risqués). Ici, la coordination sera nécessaire pour parvenir à un résultat mondialement efficace. La coordination devra probablement impliquer à la fois les pays récipiendaires (pour minimiser le risque de guerres et l’excessive déviation mutuelle des flux) et les pays sources (afin de s'assurer que ces derniers supportent une partie du fardeau des coûts lorsque ces derniers sont convexes). En substance, l'équilibre de Nash n'est plus mondialement efficace, car chaque pays a désormais deux cibles (l'externalité domestique et le coût attaché au maintien d’un contrôle des capitaux), mais seulement un instrument pour les atteindre. (…)

La coordination impliquant à la fois les pays sources et récipiendaires (…) sera difficile à obtenir étant donné que les pays d'origine ne peuvent pas toujours trouver dans leur intérêt de porter (en partie) les coûts de la plus grande stabilité financière dans les pays récipiendaires. L'objectif de la coordination n’est toutefois pas d’interdire les pays à poursuivre des politiques qui sont contraires à l'intérêt national, mais plutôt, et en accord avec l’Integrated Surveillance Decision récemment adoptée par les membres du FMI, mais plutôt de choisir des politiques qui répondent aux objectifs domestiques, sans avoir de répercussions négatives sur le reste du monde. »

Olivier Blanchard et Jonathan D. Ostry, « The multilateral approach to capital controls », in VoxEU.org, 11 décembre 2012