Carney Economy 20121211

« Le moment est venu pour les banques centrales du monde entier de reconsidérer le cadre qu'elles utilisent dans la conduite de la politique monétaire. La Réserve fédérale américaine et la BCE font encore face à une faiblesse soutenue de l’activité économique, malgré des années de faibles taux d'intérêt. Au Japon, Shinzo Abe, le nouveau Premier ministre du Parti libéral démocrate (PLD), a été élu sur la promesse d'une nouvelle politique monétaire, plus expansionniste (Financial Times, 2012). Au Royaume-Uni, Mark Carney, le nouveau gouverneur de la Banque d'Angleterre, est ouvert à de nouvelles idées. Les autorités monétaires feraient bien d'envisager une transition vers le ciblage du PIB nominal (NGDP targeting) ; chose à laquelle pense précisément Carney. (…)

Un certain nombre d'économistes monétaires ont souligné la robustesse du ciblage du PIB nominal après que les règles monétaristes se soient effondrées dans les années quatre-vingt. La "robustesse" se réfère à la capacité de la cible à bien résister sur le long terme face à divers chocs. Il était à l'époque nécessaire pour les pays avancés d’avoir un point d'ancrage explicite afin de réduire les taux d'inflation anticipés. Le régime (…) adopté pour atteindre cet objectif, à l'apogée du monétarisme, était une règle de croissance monétaire. Par rapport à la règle de croissance monétaire, l'avantage du ciblage du PIB nominal fut d’être robuste, en particulier face aux chocs de vitesse de circulation de la monnaie.

De nos jours, l'ancrage nominal et le contexte conjoncturel sont très différents de ce qu'ils étaient dans les années quatre-vingt. Le ciblage d’inflation est un régime populaire. L'avantage de cibler le PIB nominal par rapport au ciblage de l’indice des prix à la consommation est la robustesse, en particulier, à l'égard de chocs d'offre et des termes de l'échange. Par exemple, si la BCE avait poursuivi un objectif de PIB nominal, elle n’aurait pas commis l’erreur de juillet de 2008 : la BCE a répondu à une flambée des prix mondiaux du pétrole en relevant ses taux directeurs pour combattre l'inflation des prix à la consommation, alors que l'économie était en récession. Si la Réserve fédérale américaine avait ciblé le PIB nominal, elle n’aurait pas excessivement assoupli sa politique monétaire entre 2004 et 2006, une période où la croissance nominale du PIB a dépassé 6 %.

Pourquoi propose-t-on à nouveau le ciblage du PIB nominal, après l’avoir laissé dans l’oubli pendant deux décennies ? Le motif, en grande partie, est de fournir une plus forte relance monétaire et une plus grande stimulation de la croissance économique (tous deux nécessaires aux Etats-Unis, au Japon, au Royaume-Uni et dans la zone euro) tout en conservant un ancrage nominal qui soit crédible. Pour une économie, comme la zone euro, qui vacille entre la reprise et la récession, un objectif de PIB nominal qui constituerait une augmentation de 4 ou 5 % au cours de l'année prochaine apporterait en effet autant d’assouplissement monétaire que si une cible d'inflation de 4 % était adoptée.

Certains économistes, comme l’économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard (2010), ont récemment proposé de répondre à un chômage élevé par la fixation d'un objectif d'inflation anticipée au-dessus du traditionnel 2 %, par exemple 4%, comme moyen pour réduire les taux d'intérêt réels en présence de la "borne inférieure zéro" sur les taux d'intérêt nominaux. Ils aiment à rappeler que le président de la Fed, Ben Bernanke, fit par le passé des recommandations similaires pour le Japon. De nombreux banquiers centraux sont fortement opposés à l’idée d’adopter des objectifs de taux d'inflation de 4 %, voire 3 %. Ils ne veulent pas abandonner le nombre durement gagné de 2 % qui a réussi à maintenir les anticipations d'inflation bien ancrées depuis de nombreuses années. Les économistes peuvent dire que le relèvement de l'objectif d'inflation serait explicitement temporaire, mais les banquiers centraux s'inquiètent du fait que cibler un plus grand nombre, même temporairement, aurait des répercussions permanentes sur la crédibilité de l'ancrage à long terme.

C'est aussi une raison pour laquelle ces mêmes banquiers centraux se méfient des propositions actuelles de ciblage du PIB nominal. Les gouverneurs de la Fed, par exemple, craignent que l’adoption d’un objectif de croissance du PIB nominal de 5 % ou plus dans l'année à venir serait naturellement interprétée comme l’adoption d’une cible d'inflation supérieure à 2 %, ce qui nuirait donc de façon permanente à la crédibilité de l'ancrage. Leur réticence à renoncer aux 2 % d’inflation est peu susceptible de changer. Mais le ciblage du PIB nominal n’exige pas forcément un tel abandon… »


Extrait de Jeffrey Frankel, « Central banks can phase in nominal GDP targets without damaging the inflation anchor », in VoxEU.org, 19 décembre 2012.

aller plus loin... lire « La mort du ciblage d'inflation » et « Les banques centrales doivent-elles cibler le PIB nominal ? » .