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« Les entrées de capitaux étrangers dans les économies émergentes ont bondi suite à la crise mondiale. Le gonflement des afflux bruts s’accompagne d’une création rapide du crédit, d’une augmentation excessive des cours boursiers et prix immobiliers, ainsi que d’une tendance à l’appréciation des devises des pays émergents. Ces développements ont relancé le débat sur la gestion des mouvements de capitaux. Des recherches empiriques ont constaté de manière robuste que la récente crise financière dans les économies avancées et émergentes a été précédée par une croissance rapide du crédit domestique et par une appréciation réelle de la monnaie (Schularick et Taylor, 2012 ; Gourinchas et Obstfeld, 2012). D'un autre côté, d'autres constatent que les entrées massives de capitaux engendrent des booms sur les marchés du crédit et des actifs (Reinhart et Reinhart, 2009 ; Furceri et al., 2011).

Dans un récent article (Calderón et Kubota, 2012b), nous synthétisons les deux courants de la littérature pour examiner si l’accroissement des entrées brutes de capitaux privés conduit à une plus grande fréquence des booms du crédit et en particulier une plus grande fréquence des booms qui finissent en crises systémiques. Contrairement à d'autres recherches sur le même sujet, nous observons les liens qui existent entre les marchés du crédit et les entrées de capitaux à l'aide, d’une part, des données sur les entrées brutes plutôt que sur les entrées nettes et, d’autre part, de données trimestrielles complètes pour 71 pays du premier trimestre 1975 au quatrième trimestre 2010 (au lieu de données de fréquence annuelle). Les dynamiques des flux de capitaux et des marchés du crédit au cours des cycles d’affaires sont mieux capturées à l'aide de données trimestrielles (cf. Rothenberg et Warnock, 2011 ; Forbes et Warnock, 2011 ; Calderón et Kubota, 2012a). (…) En outre, la dynamique des entrées nettes de capitaux ne nous permet pas de saisir les phénomènes de "flux de capitaux à double sens", ni de distinguer le comportement des investisseurs étrangers du comportement des investisseurs domestiques (Forbes et Warnock, 2011) (…).

Identifier les booms de crédit n'est pas une mince affaire. La littérature nous fournit deux méthodes concurrentes. La première, présentée dans l'article de Mendoza et Terrones (2008), met l'accent sur la croissance excessive du crédit réel par habitant (au-delà des fluctuations conjoncturelles régulières), tandis que la seconde, mise en œuvre par Gourinchas, Valdés et Landarretche (2001) et appliquée par Barajas, Dell'Ariccia et Levchenko (2009), se concentre sur les variations disproportionnées du ratio crédit sur PIB.

En plus d'identifier les booms de crédit, nous distinguons les mauvais booms du crédit des booms qui mènent simplement à un atterrissage en douceur (soft landing). Les booms du crédit ne sont en effet pas toujours suivis d'une crise bancaire systémique (Tornell et Westermann, 2002 ; Barajas, Dell'Ariccia et Levchenko, 2009 ; Calderón et Servén, 2011). Par exemple, Calderón et Servén (2011) ont constaté que, dans les pays avancés, seulement 4,6 % des booms de crédit se soldent par une crise bancaire, alors que cette probabilité s’élève à 8,3% pour l'Amérique latine et les Caraïbes et à 4,6 % pour les autres pays émergents. Par conséquent, nous définissons un boom du crédit suivi d'une crise bancaire systémique comme un mauvais boom de crédit (cf. Barajas, Dell'Ariccia et Levchenko, 2009).

(…) L'accumulation des flux de capitaux a tendance à précéder les booms sur les marchés du crédit. Les afflux bruts ralentissent plus tard et atteignent leur point bas au cours du cinquième ou sixième trimestre après le début du boom des prêts. (…) D'autre part, (…) tous les types d’afflux bruts ne se comportent pas de la même manière lors des épisodes d’expansion du crédit. L'accumulation des afflux bruts qui précède les booms de prêts s'explique principalement par les accroissements dans les flux d’autres investissements et d'investissements de portefeuille (…). En revanche, les flux d’investissements directs à l’étranger (IDE) sont relativement insensibles aux développements sur les marchés de crédit.

Notre analyse Probit confirme que les entrées brutes de capitaux privés contiennent une information pertinente pour prévoir les booms ultérieurs sur les marchés de crédit. (…) Jusqu'à présent, la littérature a montré qu’un levier d’endettement croissant dans le système financier et les surévaluations de devises sont les meilleurs prédicteurs de crise financière (Schularick et Taylor, 2012 ; Gourinchas et Obstfeld, 2012). Nos résultats suggèrent que, même après avoir contrôlé ces variables, l’accroissement des entrées de capitaux est un bon indicateur avancé d’instabilité financière.

(…) Notre analyse économétrique confirme également que les différents types de flux n’ont pas le même effet sur la probabilité de booms du crédit. Ces derniers sont plus susceptibles de se produire si l’accroissement des afflux de capitaux résulte des flux bruts d'autres investissements et, dans une moindre mesure, de l’essor des investissements de portefeuille. L’accroissement des IDE pourrait, au mieux, réduire la probabilité d'une expansion du crédit. Chose intéressante, les autres flux de capitaux provenant des banques d'investissement constituent le principal canal de transmission (…).Quelle est l'importance de la contribution des entrées de capitaux bruts à la probabilité de booms du crédit ? (…) Nos estimations Probit suggèrent que la probabilité d'avoir un boom du crédit est près de 0,3 plus grande lorsqu’il y a des pics dans les afflux d’autres investissements bruts. Si ces afflux résultent d’entrées de capitaux via les banques d'investissement, cette probabilité s’accroît de 0,4.

Les accroissements des afflux bruts de capitaux précèdent les booms du crédit, en particulier ceux qui coïncident ou sont suivis par des crises bancaires systémiques. En fait, la probabilité d'un mauvais boom du crédit est plus grande lorsque les accroissements dans les entrées de capitaux résultent de l'augmentation des autres flux d'investissement. Cependant, les données sur l'impact des afflux d’IDE et d’investissements de portefeuille sont plutôt mitigées. En somme, nos résultats suggèrent que les accroissements d’afflux de capitaux sont également un bon indicateur avancé d’instabilité financière. Ce résultat est valable même lorsqu'on neutralise la hausse du levier d’endettement dans le système financier et la surévaluation des devises. »

César Calderón et Megumi Kubota, « Gross inflows and the incidence of credit booms », in VoxEU.org, 16 décembre 2012.

aller plus loin... lire « Anatomie des booms du crédit » et « La globalisation financière est-elle responsable de la crise mondiale ? »