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« Lorsque les bloggeurs en économies ne débâtent pas sur les cyborgs, ils discutent de l'état de la macroéconomie (1), qui désigne l'analyse de l'emploi et du chômage au niveau agrégé, de l'inflation et de la croissance économique. Noah Smith a déjà fait un résumé de ce qui a été dit, que je ne vais pas récapituler. Au lieu de cela, je vais vous donner mon point de vue sur certaines questions qui ont été soulevées (…).

De toute évidence il y avait un consensus au début de l’année 2008. Les différences entre les économistes d’"eau salée" (la nouvelle économie keynésienne) et les économistes "d’eau douce" (la nouvelle école classique et l’école des cycles d’affaires réels) avaient été brouillées au point de devenir invisibles. Tout le monde s'accordait à reconnaître que l'essentiel de la gestion macroéconomique devait être assuré par les banques centrales en ajustant les taux d'intérêt pour atteindre des cibles d'inflation. Les banques centrales étaient supposées utiliser une règle de Taylor pour maintenir les taux d'inflation et le taux de croissance de la production au plus près de leurs niveaux ciblés (2). Il n'y avait pas de place pour une politique budgétaire active comme stimulus pour contrer les récessions, mais il était généralement admis que (…) la politique budgétaire aurait des effets automatiques de stabilisation (par exemple, en versant plus d’allocations-chômage et en prélevant moins d’impôts en période de récession). Il a été généralement admis que cette approche de la politique macroéconomique, combinée à la déréglementation financière, a provoqué une "grande modération" de la volatilité de l'activité économique, ainsi qu’une inflation durablement faible et stable. Dans la littérature académique macroéconomique, cette convergence fut représentée par les modèles stochastiques dynamiques d'équilibre général (les modèles DSGE), construits avec toute la rigueur et l'élégance d'un haïku comme l’observa Olivier Blanchard à l'époque.

Ce consensus a volé en éclats avec la crise financière mondiale et la Grande Récession, mais il n'a pas été suivi par quelque chose qui ressemble à un vrai débat. Au contraire, les différents groupes sont partis dans différentes directions. La macroéconomie académique poursuivit ensuite plus ou moins comme avant, sauf que désormais l'intégration des chocs fnanciers dans les modèles DSGE est devenu un sujet brûlant. Donc, du point de vue de quelqu'un comme Stephen Williamson, tout était rose :

"C'est en fait une période relativement tranquille en macroéconomie. La plupart d'entre nous parle la même langue et la communication est bonne. Je ne vois pas le genre d'animosité dans la profession qui ait pu exister autrefois, par exemple, entre James Tobin et Milton Friedman dans les années soixante, ou entre l'école du Minnesota et tout le monde dans les années soixante-dix et au début des années quatre-vingt. Les gens sont en désaccord sur les questions scientifiques et, bien sûr, ils passent leur temps dans les séminaires et conférences pour débattre à propos d'économie. Mais je pense que le niveau de respect mutuel est en fait relativement élevé."

(...) Williamson n'a même pas soulevé la question de savoir si cette tranquillité interne est problématique vu le chaos qui existe actuellement en macroéconomie et l'absence de tout accord sur la manière d'y répondre.

Les banques centrales ont, en effet, traité toute la période depuis 2008 comme un "état d'exception" schmittien (3), au cours duquel les règles normales sont suspendues. Elles ont utilisé la crise pour pousser les gouvernements à adopter des "réformes" favorisées par le secteur financier, telles que la réduction des prestations d'aide sociale et d'autres dépenses publiques. Mais leur principale préoccupation a été de rétablir le plus tôt possible le statu quo qui prévalait auparavant et le primat exclusif de la politique monétaire. Du point de vue de la banque centrale, la restauration d'une inflation faible et stable après les chocs des années 1970 constitue leur parachèvement et celui-ci doit être maintenu à tout prix.

Donc, il n'y a pratiquement pas de débat actuellement en macroéconomie universitaire, ni même dans les cercles où la politique économique est mise en œuvre. Le seul débat concerne en grande partie des gens comme Krugman (…) et ses opposants de Chicago (Cochrane, Fama, Mulligan), qui ne sont pas pour la plupart d’entre eux des spécialistes en macroéconomie et par conséquent (comme Williamson le souligne dans son article) "ne savent pas vraiment ce qui se passe en recherche macroéconomique", mais qui ont quelque chose à dire à propos de la politique macroéconomique.

Bien que la plupart des participants soient des universitaires (et les deux parties peuvent se vanter d’avoir des lauréats du "prix Nobel"), ce débat est, comme pour la plupart des choses qui se passent aujourd'hui aux Etats-Unis, une partie de la guerre générale entre les univers parallèles gauche et droit, une guerre qui englobe des questions telles que le changement climatique, le tabac, le contrôle des armes à feu, etc. En aucune manière, les modèles de la nouvelle école classique ou des cycles d’affaires réels ne peuvent expliquer une dépression prolongée survenant simultanément dans de nombreux pays et ils n'essaient même pas de le faire. Au lieu de cela, nous avons droit à des absurdités comme l’affirmation de Casey Mulligan selon laquelle la Grande Récession a été causée par un accès plus facile aux coupons alimentaires aux États-Unis (ou, comme un commentateur l'a dit, "les soupes populaires ont provoqué la Grande Dépression"). Notez que Mulligan n'essaie même pas d'expliquer comment des coupons alimentaires aux États-Unis pourraient provoquer une profonde dépression, par exemple, au Royaume-Uni, où les allocations sociales ont été drastiquement réduites par les conservateurs.

(1) D'une manière générale, il y a une conception généralement positive parmi les économistes orthodoxes à propos de l'état de la microéconomie. L'opinion générale est que les insuffisances du modèle de concurrence pure et parfaite sont surmontées par les développements de l'économie comportementale, de la théorie de l'asymétrie d'information, de la théorie des jeux et ainsi de suite.

(2) L'hypothèse sous-jacente était que l'inflation faible et stable est compatible avec une croissance globalement stable. Parce qu’elle a d'abord été présentée comme une description du comportement des banques centrales et puis comme une règle générale, elle était acceptable pour les économistes d'eau salée et d'eau douce et elle a contribué à brouiller les différences entre eux. Les nouveaux classiques ont interprété la règle de Taylor comme un mandat pour poursuivre deux objectifs. Selon les nouveaux keynésiens, les banques centrales devaient se focaliser uniquement sur la stabilité des prix, mais les fluctuations de la production pouvaient fournir des informations à propos de l'inflation future et pouvaient donc être prises en compte pour élaborer concrètement la politique monétaire. »

John Quiggin, « The (failed) state of macroeconomics », in Crooked Timber, 1er janvier 2013.