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« Le rôle des exportations dans la croissance économique et, parallèlement, celui du taux de change réel dans la promotion des exportations occupent une place importante dans la littérature sur le développement et la mondialisation (Rodrik, 2009 ; Haddad et Pancaro, 2010). Une grande partie de cette littérature date, cependant, d'une ère où les exportations se résumaient aux exportations de marchandises. Aujourd'hui, les exportations comprennent de plus en plus les exportations de services. Cela pose la question de savoir si l'accent que mettait auparavant la littérature sur l'importance de la fixation librement concurrentielle du taux de change dans la promotion des exportations est toujours d’actualité dans ce nouvel environnement. Dans une récente étude, nous confirmons que c’est le cas (Eichengreen et Gupta, 2012). Lorsque nous distinguons les services traditionnels (commerce et transport, tourisme, services financiers et assurance) des services modernes (communication, informatique, information et autres services connexes), l'effet du taux de change réel est particulièrement important pour les exportations de services modernes. Nous constatons que l'effet des variations des taux de change réels sur les exportations de services modernes est de 30 à 50 % plus grand que celui sur les marchandises et les services traditionnels.

Nous analysons les déterminants de la croissance des exportations de marchandises et de services en utilisant les données de 66 pays (…) pour la période s’étalant de 1980 à 2009. Parmi ces 66 pays, 9 sont des pays à faible revenu, 35 sont des pays à revenu intermédiaire et 22 sont des pays à revenu élevé. (…) Nos résultats empiriques confirment l'importance du taux de change réel pour la croissance des exportations. En outre, nous constatons que l'effet du taux de change réel est encore plus fort pour les exportations de services que pour les exportations de marchandises. En effet, il est le plus large pour les services modernes (voir Eichengreen et Gupta, 2012). Pourquoi le taux de change réel impacte-t-il si puissamment les exportations des services ? Il se pourrait que les services, et en particulier des services modernes, utilisent moins d’importations. Il se pourrait que ces secteurs aient d’importants coûts fixes à l'entrée, ce qui rendrait plus élastique la réaction de l'offre. Il se pourrait que la demande pour ces exportations soit plus élastique au prix. Ou bien, peut-être est-ce une combinaison de tout cela. Nous obtenons des résultats similaires avec d'autres mesures du taux de change réel. L'effet du taux de change réel sur la croissance des exportations est globalement similaire pour les pays développés et en développement.

Nous nous focalisons également sur les périodes où la croissance des exportations s'est nettement accélérée (les "poussées d’exportations"). Comme Caroline Freund et Martha Denisse Pierola (2012) l’ont montré, (…) il y a certaines situations où la performance des exportations et leurs déterminants changent radicalement. C’est le cas lorsque les pays surmontent des obstacles qui entravaient auparavant la croissance des exportations. Nous identifions les poussées en utilisant la technique des ruptures structurelles de Bai-Perron. Nous définissons une poussée lorsqu'une paire de points marquent tout d’abord une importante accélération, puis une importante décélération des exportations. En outre, une poussée doit se traduire par le maintien du taux de croissance annuel des exportations à un niveau supérieur à 2% pendant au moins trois années consécutives. Ainsi définie, la poussée dure jusqu'à ce que le taux de croissance redevienne inférieur à 2% ou jusqu'à ce que l’on identifie une autre rupture structurelle.

Nous avons recensé 81 épisodes de poussées dans les exportations de marchandises, 100 épisodes de poussées des exportations de services traditionnels et 80 épisodes de poussées des exportations de services modernes. En règle générale, les poussées durent quatre à cinq ans. (…) Les poussées dans les exportations de services, à la fois modernes et traditionnels, ont tendance à être précédées par des dépréciations réelles du taux de change, en particulier dans les pays en développement. En utilisant une approche similaire à celle développée par Ricardo Hausmann, Lant Pritchett et Dani Rodrik (2005), (…) nous constatons que la dépréciation réelle du taux de change a un effet positif et significatif sur la probabilité d'une poussée d’exportations de marchandises et de services. (…) Les résultats montrent également que la volatilité du taux de change réel a un effet négatif sur la probabilité d'une poussée des exportations. (…)

Comme les pays en développement cessent de principalement exporter des matières premières et marchandises pour exporter toujours davantage des services traditionnels et modernes, nos résultats suggèrent qu'il devient encore plus important de mettre en œuvre les politiques appropriées à l'égard du taux de change réel. Cela dit, s’appuyer sur la sous-évaluation du taux de change pour stimuler la croissance des exportations de services, comme de marchandises, a ses limites.

  • Barry Eichengreen (2008) et Mona Haddad et Cosimo Pancaro (2010) soulignent que la dépréciation et la sous-évaluation ne peuvent être utilisées comme un outil de politique économique pour stimuler la croissance que dans le court terme, car un pays ne peut indéfiniment maintenir une dépréciation de son taux de change réel.

  • Les coûts potentiels comprennent les tensions avec d'autres pays, l'accumulation de réserves de change sur lesquelles peuvent survenir des pertes en capital, et le fait que l'ajustement, quand il se produira, viendra sous la forme d’une inflation.

Pour qu’un taux de change réel concurrentiel réussisse à stimuler les exportations, il doit être accompagné par des institutions fortes, des politiques macroéconomiques saines, une main-d'œuvre disciplinée, des taux d'épargne élevés ou d'autres politiques propices à attirer les capitaux étrangers. Finalement, pour que les avantages soient supérieurs aux coûts, les pays qui déprécient leur taux de change réel pour stimuler les exportations et la croissance doivent avoir en tête une stratégie de sortie (…). »

Barry Eichengreen et Poonam Gupta, « The real exchange rate and export growth: Are services different? », in VoxEU.org, 18 janvier 2013.