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« Les termes de "prudence budgétaire" et "laxisme budgétaire" sont souvent utilisés, de façon assez vague, pour indiquer si les politiques budgétaires tendent ou non à conduire à une position budgétaire soutenable. Cette dernière reviendrait, en termes plus académiques, à savoir si la contrainte budgétaire intertemporelle est remplie, c’est-à-dire si la valeur actualisée anticipée de tous les futurs excédents budgétaires correspond à l'encours de la dette publique.

Bien qu’il n’y ait pas une définition précise de la prudence et du laxisme, les autorités publiques, les investisseurs financiers et les électeurs ont besoin de voir à chaque moment, en temps réel, si les politiques budgétaires d'un pays sont appropriées pour soutenir la croissance économique et atteignent d'autres objectifs sociaux sans provoquer de crise budgétaire. L'accent est mis sur la position budgétaire sous le contrôle du gouvernement, approximée en général par le solde budgétaire primaire (c'est à dire le solde budgétaire net des paiements d'intérêts).

Dans la pratique, la prudence et le laxisme sont des concepts de moyen terme. Ni la prudence, ni le laxisme ne sont acquis du jour au lendemain : une, voire plusieurs années de politique budgétaire expansionniste n’entraînent pas nécessairement une crise budgétaire si la position initiale du gouvernement est suffisamment forte. A l'inverse, on ne peut pas s'attendre à ce que, dans la vraie vie, les gens vont attendre jusqu'à l'infini pour vérifier si la contrainte budgétaire intertemporelle est respectée. Quelques années de déficits soutenus pourraient bien laisser suggérer que la contrainte budgétaire intertemporelle est à risque. Ainsi, ce n’est qu’après quelques années que l’on peut juger si la prudence ou bien le laxisme prévaut.

De plus, nous croyons (et démontrons empiriquement) que le degré de prudence ou de laxisme budgétaire d'un pays n'est pas constant ; il va plutôt changer au cours du temps, dans la mesure où les gouvernements, les attitudes des citoyens et les circonstances économiques changent. Cet article s'appuie sur un ensemble de données historiques nouvellement collectées de variables budgétaires pour un large panel de pays (à notre connaissance, la base de données la plus complète qui soit actuellement disponible) afin d’évaluer le degré de prudence ou de laxisme budgétaire pour chaque pays au cours des dernières décennies. Plus précisément, notre base de données comprend les recettes fiscales, les dépenses primaires, la charge d’intérêt (et donc à la fois le déficit budgétaire primaire et global), la dette publique et le produit intérieur brut pour 55 pays sur une période s’étalant à plus de deux siècles. Pour la première fois, un large ensemble de données historiques couvre à la fois les stocks et flux budgétaires. (…)

Nos principales conclusions sont les suivantes :

  • Pour la plupart des pays avancés, en particulier avant la crise économique et financière mondiale qui a débuté en 2008, nous constatons que la réponse de l'excédent budgétaire primaire à la variation de la dette publique en est cohérence avec la contrainte budgétaire intertemporelle, aussi bien qu’avec la stationnarité de la dette.

  • Néanmoins, l’analyse empirique suggère que la réponse de la politique budgétaire d'un pays donné à l'évolution de la dette est loin d'être constante tout au long de son histoire (…). Au contraire, nous constatons une significative variation de la réponse, non seulement entre les pays, mais aussi au cours du temps dans un pays donné. Nous pouvons distinguer des périodes clairement "prudentes" ou "laxistes" de plusieurs années (…).

  • Par exemple, les résultats suggèrent que la prudence budgétaire était généralisée dans les économies les plus avancées au cours des années quatre-vingt et au moins durant la première moitié des années deux mille ; pour les économies émergentes, la prudence budgétaire se généralise après l'an 2000. Une forte prudence est évidente aux États-Unis dans les années quatre-vingt-dix (…) ; au Canada depuis le milieu des années quatre-vingt-dix (en débutant par un plan d'ajustement budgétaire ambitieux et réussi) ; dans plusieurs pays de la zone Euro au milieu des années quatre-vingt-dix (en coïncidant avec le processus de Maastricht de création de la zone euro) ; en Irlande dans les années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix (un épisode bien connu d'ajustement budgétaire) ; au Japon du milieu des années quatre-vingt jusqu’au début des années quatre-vingt-dix (comme il a cherché à stabiliser sa dette) ; et en Turquie au milieu des années quatre-vingt-dix et à plusieurs reprises dans les années deux mille (comme elle a significativement amélioré son solde primaire). En revanche, les épisodes marquants de relance budgétaire sont aussi évidents et incluent l’expérience étasunienne en 2009-11 et l’expérience espagnole en 2010. Et le Japon ne semble pas améliorer suffisamment son solde primaire, malgré la forte hausse de son endettement sur plusieurs années après la fin des années quatre-vingt-dix.

  • Enfin, nous montrons qu'une forte réponse du solde budgétaire primaire à l'évolution de la dette publique est significativement associée à des changements dans les taux de croissance de long terme du PIB et des coûts d'emprunt souverain de long terme (…). Les déclins de la croissance économique "potentielle" (ou de long terme) ne peuvent pas être pleinement apparents en temps réel aux autorités politiques, qui ont donc souvent bien du mal à répondre à ces baisses par des améliorations suffisantes de leur solde primaire. A l'inverse, les décideurs réagissent à l'augmentation du coût de l’emprunt souverain en resserrant leur politique budgétaire. »


Paolo Mauro, Rafael Romeu, Ariel Binder et Asad Zaman, « A modern history of fiscal prudence and profligacy », in IMF working paper, n° 2013/5, janvier 2013.