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« Trois types d’explications (…) peuvent être avancés pour expliquer pourquoi les chocs qui provoquent le chômage à une période donnée peuvent avoir des effets de long terme.

(…) Les réductions dans le stock de capital associées à la réduction de l’emploi qui accompagne les chocs adverses réduisent la demande de travail et donc entraînent un chômage prolongé.

Un second et peut-être plus important mécanisme s’opère à travers le "capital humain", dans une acception large du terme. (…) Les travailleurs qui sont au chômage perdent l’opportunité de maintenir et d’actualiser leurs compétences en travaillant. En particulier pour les chômeurs de long terme, l’atrophie des compétences peut se combiner avec la sortie de la population active qui résulte de l’incapacité à trouver un emploi pour réduire l’offre effective de travail. Une retraite anticipée peut par exemple être une décision semi-irréversible. Plus généralement, si pour des raisons d’incitations ou de capital humain les employeurs préfèrent les travailleurs avec de longs horizons temporels, il peut être difficile pour les travailleurs d’âge moyen de trouver un nouvel emploi. Enfin, dans un environnement de chômage de masse, il peut être difficile pour les travailleurs fiables et compétents de signaler leur qualité en gardant un emploi et en étant promu. Les inefficacités qui en résultent dans la sélection des travailleurs peuvent réduire la demande totale de travail. (…)

Un troisième mécanisme qui peut générer une persistance du chômage (et que nous considérons comme plus important que les deux premiers) dépend de la distinction entre travailleurs insiders et outsiders, développée dans une série de contributions de Lindbeck (voir par exemple Lindbeck et Snower, 1985) (…). Pour prendre un cas extrême, supposons que tous les salaires soient fixés par négociation entre les travailleurs employés (les "insiders") et les entreprises, les demandeurs d’emploi (les "outsiders") ne jouant de leur côté aucun rôle dans le processus de négociation. Les insiders s’intéressent avant tout à sauvegarder leur emploi et non à assurer l’embauche des outsiders. Ceci a deux implications. D’une part, en l’absence de chocs, tout niveau d’emploi des insiders se perpétue par lui-même ; les insiders fixent juste le salaire qui leur permet de rester employés. D’autre part, et de manière plus importante, en présence de chocs, l’emploi suit un processus semblable à une marche aléatoire ; après un choc adverse, par exemple, qui réduit l’emploi, certains travailleurs perdent leur statut d’insiders et ce nouveau petit groupe d’insiders fixe le salaire de manière à maintenir le nouveau niveau d’emploi. L’emploi et le chômage ne présentent aucune tendance à retourner à leur valeur d’avant-choc, mais sont au contraire déterminés par l’histoire des chocs. Cet exemple est extrême mais néanmoins suggestif. Il suggère que, si la négociation salariale est un aspect majeur du marché du travail, les interactions dynamiques entre l’emploi et la taille du groupe d’insiders peut amener (…) un chômage substantiel à persister au cours du temps. »

Olivier J. Blanchard et Lawrence H. Summers, « Hysteresis and the European unemployment problem », in NBER Macroeconomics Annual, vol. 1, 1986.

Metro Unemployment

« L’article de Blanchard et Summers (1986), (…) si vous êtes intéressé par le phénomène d’hystérèse (hysteresis), (…) est l’un des contributions séminales de cette littérature. D’après cet article,

  • les périodes où le chômage persiste à un niveau élevé ne sont pas des phénomènes rares au cours de l’histoire, bien que les théories macroéconomiques standard aient encore du mal à les prendre en compte ;

  • ces périodes peuvent être comprises à la lumière du phénomène d'hystérèse qui fait dépendre de l’histoire le chômage de long terme ;

  • les effets de segmentation du marché du travail entre insiders et outsiders (…) peuvent très bien se révéler être d’importances sources d'hystérésis ;

  • ces effets de segmentation peuvent devenir importants lorsque l’activité économique est déprimée et ne dépendent pas fondamentalement de la présence de syndicats ;

  • (…) Les programmes de partage du travail (...) peuvent contribuer à faire refluer le chômage et des politiques expansionnistes menées par surprise peuvent se traduire par des bénéfices particulièrement durables.

(…) Blanchard et Summers se focalisaient sur la persistance du chômage européen à un niveau élevé depuis les années soixante-dix. Ils affirmèrent que les conditions politiques qui prévalaient alors en Europe rendaient peu probable que les gouvernements mettent en œuvre des politiques macroéconomiques expansionnistes, si bien que l’efficacité de ces dernières aurait été particulièrement forte si elles avaient été effectivement déployées (…). En d'autres termes, compte tenu des contraintes politiques, tout le monde aurait été surpris si l'Europe procédait à un plan de relance, or cet effet de surprise aurait constitué un choc positif aux bénéfices particulièrement durables.

Cette situation peut vous sembler familière. »

Owen Zidar, « Understanding hysteresis », 31 janvier 2013.

aller plus loin… lire « La crise a-t-elle réduit la croissance potentielle ? »