« J'ai déjà écrit à propos de la politique budgétaire aux Pays-Bas. Je l'ai fait en partie parce que ce pays a une forte tradition macroéconomique et que je considère depuis longtemps son conseil budgétaire (le Bureau Central du Plan) comme un véritable modèle pour l’introduction de bonnes analyses et données économiques dans le débat politique. C'est donc le signe que quelque chose ne tourne pas vraiment pas rond lorsque le consensus politique suit la ligne de l'austérité.

La cible clé pour la politique économique aux Pays-Bas semble être le fameux 3 % de déficit budgétaire de était au centre du vieux Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC). Selon les dernières prévisions du Bureau Central du Plan, les déficits devraient s’élever à 3,3 % du PIB en 2013 et à 3,4 % en 2014. La principale raison en est que l'économie est en récession : le PIB devrait chuter de 0,5 % cette année (après une baisse de 0,9 % en 2012) et la croissance ne devrait seulement atteindre que 1 % en 2014. La coalition gouvernementale comprend le parti travailliste. Son dirigeant, Diederik Samsom, déclare qu'il serait imprudent de fortement réduire les dépenses publiques en période de récession. Ce qu'il veut dire par là, c'est qu'ils n’essaieront pas d’atteindre la cible de 3 % cette année, mais qu’ils tenteront de le faire l'année prochaine ! Après avoir annoncé à l'automne des mesures d'austérité représentant 2,5 % du PIB, la coalition a récemment dressé une liste des réductions supplémentaires totalisant 0,7 % du PIB. Il s'agit notamment de hausses d'impôts, d’un gel des salaires pour les fonctionnaires et de charges supplémentaires sur l'industrie.

Nous avons donc une politique budgétaire discrétionnaire procyclique, dans une économie qui ne dispose pas de sa propre politique monétaire pour en compenser l’impact. Le seul rayon d'espoir, c'est que les syndicats, qui ont déjà été préparés pour discuter des termes de l'austérité, ne veulent plus le faire. Selon le Financial Times, la plus grande fédération du travail qualifie les coupes budgétaires de "stupides et mal avisées". Le Parti travailliste exhorte les syndicats à prendre part aux discussions sur les coupes, afin qu'ils puissent (…) "saisir les opportunités offertes par les nouvelles mesures pour stimuler l'économie". C’est un peu comme si l’on demandait à la dinde de Noël de parler de la recette de la farce. Le taux de chômage, qui était de 4,4 % en 2011, devrait passer à 6,5 % en 2014.

Alors pourquoi les responsables politiques, aux Pays-Bas comme ailleurs, poursuivent une politique que la plupart des économistes considèrent comme une erreur élémentaire ? Cette question a été soulevée par Coen Teulings, qui est le directeur du Bureau Central du Plan, le conseil budgétaire néerlandais. Il commentait une conférence parrainée par le FMI en Suède, au cours de laquelle la plupart des économistes ont rejeté l’usage de l’austérité à court terme lorsque l'économie est déprimée et préconisé plutôt de s’attaquer aux problèmes budgétaires grâce à des réformes structurelles de long terme. Les politiciens dans l’auditoire, dirigés par le ministre suédois des Finances Anders Borg, n'étaient pas d'accord. Il résume leur point de vue comme suit : "Les politiciens n'ont pas la capacité de s'engager dès aujourd'hui sur des mesures d'austérité à mettre en œuvre demain. Par conséquent, la seule option est de prendre des mesures tout de suite". (…)

Tuelings ne prend pas cet argument au sérieux, et ce pour de bonnes raisons. En effet, il propose trois suggestions pour expliquer pourquoi les politiciens ignorent les économistes. La première est le souvenir des années soixante-dix, lorsque les politiques keynésiennes ont été mises en œuvre alors que beaucoup ne voyaient pas l'impact structurel de la crise du pétrole. Les politiciens ne veulent pas faire la même erreur à nouveau. La seconde suggestion est que les économistes ont négligé la politique budgétaire anticyclique pendant trop longtemps et n'ont donc pas réussi à fournir aux politiciens un guide clair de ce que devrait être une telle politique, comme peut-être un équivalent de la règle de Taylor pour la politique monétaire. Troisièmement, alors que les réformes structurelles et l'austérité à court terme ont des coûts politiques, les politiciens peuvent vendre plus facilement la seconde et son succès peut être plus rapidement démontré.

(…) La réforme structurelle peut violemment frapper des groupes particuliers, tandis que l'austérité généralisée propage plus largement la douleur (ou frappe peut-être des groupes particuliers qui ont peu de voix politique). Il y a peut-être quelque chose dans le deuxième argument, mais il y a ici un problème de la poule et de l'œuf. Ayant écrit plusieurs articles évaluant l’usage des règles budgétaires pour des périodes s’étalant sur de nombreuses années, je n'ai pas noté beaucoup d'intérêt de la part des décideurs européens.

(…) Je pense que c'est un problème majeur pour la politique budgétaire de stabilisation : l'absence d'une institution qui encouragerait ce genre de recherche (…). Je rêve d’un ensemble de conseils budgétaires nationaux liés entre eux qui pourraient jouer ce rôle. Ce qui est malheureusement très clair, c'est que les banques centrales (…) ne peuvent pas faire pour la politique budgétaire ce qu’elles ont fait pour la politique monétaire : il suffit de regarder l'analyse détaillée que le président de la Bundesbank fait de l’austérité dans son récent discours (section 3.1). Pour ne regarder que les Pays-Bas, il n'est pas un secret que le Bureau Central du Plan ne fait pas partie du consensus sur l’austérité, tandis que la banque centrale néerlandaise en fait très certainement partie. »

Simon Wren-Lewis, « Why politicians ignore economists on austerity », in Mainly Macro (blog), lundi 4 mars 2013.