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« Jusqu'à récemment, la littérature empirique sur la croissance a implicitement supposé que la croissance était un processus régulier (…). Mais, et cela est bien connu, les dynamiques de croissance dans le monde réel sont plus complexes que les fluctuations autour d'une tendance stable. Pritchett (1998) a appelé à une plus grande attention sur "les collines, les plateaux, les montagnes et les plaines" si évidentes dans les souvenirs de la croissance et, plus récemment, une littérature est apparue avec pour objectif de tracer ce territoire. Les ralentissements de la croissance (périodes prolongées de stagnation ou de récession) représentant une substantielle déviation par rapport à la norme précédente pour un pays, font l’objet d’un intérêt croissant. De toute évidence, il est crucial pour les autorités publiques de déterminer les facteurs qui conduisent ou non une économie à un tel ralentissement. Et, dans la pratique, les craintes entourant les ralentissements de croissance ont été particulièrement aiguës dans les pays à revenu intermédiaire.

La "trappe au revenu intermédiaire" est un phénomène touchant des économies qui connaissait jusque-là une croissance rapide, mais qui stagnent ensuite au niveau des revenus intermédiaires et échouent à parvenir au rang des pays à haut revenu. En particulier, plusieurs pays d'Amérique latine, du moins jusqu'à récemment, semblent appartenir à cette catégorie, puisqu’ils ont échoué à atteindre un niveau de revenu plus élevé, malgré qu’ils aient acquis le statut de pays à revenu intermédiaire il y plusieurs décennies. En revanche, plusieurs pays d'Asie ont fourni ces dernières décennies un véritable modèle de "réussite" : ils ont continué à croître rapidement après avoir atteint à revenu intermédiaire et ont atteint des niveaux de revenu par habitant comparables à ceux des pays avancés. (…)

Le contraste qui existe entre les diverses économies asiatiques et certaines économiques infructueuses d'Amérique latine dans le passé est illustré au graphique 1, qui montre l'évolution du PIB par habitant relativement aux niveaux américains pour un ensemble de pays une fois qu'ils ont atteint un niveau de revenu de 3000 dollars américains. Les pays d'Amérique latine comme le Mexique, le Pérou et le Brésil ont atteint ce niveau avant les autres pays présents dans le tableau (…). En dépit de leur démarrage relativement tardif, deux des "Tigres" asiatiques, la Corée et Taiwan, ont progressé rapidement, leur revenu par habitant passant de 10-20 % à 60-70 % des niveaux américains. Par contraste avec cette convergence rapide des revenus, les pays latino-américains ont stagné (c’est le cas du Brésil et du Mexique) ou ont même décliné (Pérou) en termes relatifs.

GRAPHIQUE 1 Croissance du PIB par tête (en milliards de dollars PPA)
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t = 0 se définit comme l'année où le PIB par tête pour un pays donné atteint 3000 dollars en termes de parité de pouvoir d'achat.
source : FMI (2013)

La récente performance d'un ensemble de pays asiatiques à revenu intermédiaire se situe quelque part entre les deux extrêmes que sont l'Asie orientale et l'Amérique latine. La trajectoire de la Chine a jusqu'ici même dépassé les réussites antérieures est-asiatiques, même si elle a connu pour l’heure moins d'une décennie au-dessus du niveau de revenu seuil. La Malaisie a clairement eu plus de succès que les pays d'Amérique latine, à la fois en termes absolus et relatifs. La trajectoire de la Thaïlande est comparable au sentier de croissance initialement suivi par des pays comme le Brésil et le Mexique, tandis que l'Indonésie a obtenu des résultats médiocres, même par rapport à l'Amérique latine. Puisque les performances des actuels pays à revenu intermédiaire en Asie se situent quelque part entre la trajectoire de l'Asie orientale et celle de l'Amérique latine, le défi qui se pose aux autorités politiques est de s'assurer qu’ils suivent la première trajectoire et non la seconde.

GRAPHIQUE 2 Trajectoires de croissance du PIB par tête (échelle logarithmique)
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t = 0 se définit comme l'année où le PIB par tête pour un pays donné atteint 3000 dollars en termes de parité de pouvoir d'achat.
source : FMI (2013)

Il semble y avoir un lien entre l'expérience d'un ralentissement de la croissance et la chute dans une trappe à revenu intermédiaire. Le graphique 2 montre les mêmes données en termes de revenus en échelle logarithmique, de sorte que les pentes des droites peuvent être lues comme des taux de croissance. Il semble que les pays latino-américains ont en général connu un rythme de croissance assez rapide sur deux ou plusieurs décennies après être parvenus au club des pays à revenu intermédiaire (bien que toujours sous les taux de croissance enregistrés en Asie de l'Est). Mais il y a un ralentissement sensible après ça, en conséquence de la divergence rapide depuis la trajectoire des pays est-asiatiques.

GRAPHIQUE 3 Croissance du PIB par tête dans les pays à faible revenu (échelle logarithmique)
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t = 0 se définit comme l'année où le PIB par tête pour un pays donné atteint 800 dollars en termes de parité de pouvoir d'achat.
source : FMI (2013)

Toutefois, les ralentissements de croissance ne sont pas l’apanage des seuls pays à revenu intermédiaire. Le graphique 3 compare les trajectoires des pays à faible revenu qui ont connu une croissance soutenue rapide, comme le Vietnam et l'Inde, avec celles du Ghana, de la Mauritanie et la Côte d'Ivoire, depuis la période où ils ont atteint un revenu par habitant de 800 dollars par habitant jusqu’à la période où ils ont atteint un revenu par habitant de 2000 dollars (…). Le dernier groupe de pays africains a souffert d'un ralentissement et d’une stagnation après une trajectoire de croissance initialement prometteuse. Le défi pour le Bangladesh et le Cambodge, qui montrent actuellement une trajectoire de croissance prometteuse, sera donc de veiller à ce qu'ils suivent la trajectoire de l'Inde et du Vietnam plutôt que celle du groupe des pays africains. (…)

Les fortes baisses de la croissance de la productivité globale des facteurs semblent avoir joué un rôle important dans la croissance des ralentissements passés. Ce fut le cas dans un certain nombre de pays d'Amérique latine dans les années quatre-vingt, en raison également d’une plus faible contribution des stocks de capital physique à la croissance (…). En revanche, les réussites de divers pays en Asie orientale (et, beaucoup plus récemment, de la Chine et l'Inde) s’expliquent par une croissance robuste de la productivité globale des facteurs, notamment en Chine et Taiwan, où elle représentait plus de la moitié de la croissance du PIB par habitant (…). »

Shekhar Aiyar, Romain Duval, Damien Puy, Yiqun Wu et Longmei Zhang, « Growth Slowdowns and the Middle-Income Trap » , FMI, working paper, 20 mars 2013.

aller plus loin... lire « Eviter la trappe à revenu intermédiaire »