« Par rapport aux trois précédentes reprises mondiales, la reprise actuelle suit une trajectoire inhabituelle. Plus précisément, elle est marquée par deux fortes divergences : d’une part entre l’activité des pays avancés et celle des pays émergents (…) et, d’autre part, entre les politiques monétaire et budgétaire, cette divergence s’étant accentuée ces deux dernières années. (...) Nous examinons brièvement la première divergence, puis analysons en profondeur la seconde.

Dans l’ensemble, la reprise mondiale a suivi la trajectoire des reprises antérieures. Cependant, on constate une forte divergence entre les pays avancés et les pays émergents. Plus précisément, la reprise n’a jamais été aussi faible dans les premiers et aussi forte dans les seconds. Les pays avancés ont été le moteur des précédentes reprises mondiales, alors que les pays émergents contribuent pour la plus grande part à la reprise en cours. Compte tenu des prévisions actuelles, la forte divergence entre les deux groupes de pays se poursuivra sans doute au cours des prochaines années. Les orientations opposées des politiques budgétaire et monétaire, surtout dans les pays avancés, sont la seconde caractéristique originale de la présente reprise, alors que ces orientations étaient les mêmes lors des précédentes reprises. (…)

En ce qui concerne la politique budgétaire, les trajectoires actuelles et prévues des dépenses publiques dans les pays avancés sont très différentes de celles des précédentes reprises, lorsque la politique était résolument expansionniste, avec des augmentations des dépenses primaires réelles. Dans certains pays avancés, les États-Unis surtout, la relance budgétaire amorcée au début de la crise financière était beaucoup plus importante que lors des précédentes récessions. Toutefois, elle a été retirée rapidement lors de la reprise qui s’ensuivit. Plus précisément, les dépenses ont diminué pendant les deux premières années de la présente reprise mondiale et devraient, selon les projections, continuer de baisser légèrement au cours des années à venir. Cette trajectoire a aussi été suivie dans les grands pays avancés, la zone euro et le Royaume-Uni s’écartant nettement des politiques classiques appliquées auparavant en matière de dépenses publiques. Dans les pays émergents, la reprise actuelle s’est par contre accompagnée d’une politique budgétaire plus expansionniste que par le passé, ce qui était possible en raison de leur position budgétaire plus forte.

Dans les pays avancés, la politique monétaire a été exceptionnellement plus accommodante lors de la dernière reprise. En particulier, les taux directeurs ont été ramenés à des niveaux historiquement bas et les bilans des banques centrales des grands pays avancés se sont gonflés de manière spectaculaire. Dans les pays émergents, la politique monétaire a beaucoup plus soutenu l’économie que par le passé.

La relance budgétaire prudente et le rythme de la consolidation qui ont marqué les présentes récession et reprise s’expliquent vraisemblablement par des ratios dette publique/PIB élevés et l’ampleur des déficits. Les pays avancés sont entrés dans la Grande Récession avec un endettement beaucoup plus important, imputable à une combinaison de facteurs (entre autres, les politiques budgétaires expansionnistes suivies avant la récession, les mesures de soutien au secteur financier et les pertes substantielles de recettes provoquées par la gravité de la récession). Le niveau actuellement élevé du déficit de certains pays avancés tient en partie à un effondrement des recettes. Par ailleurs, les crises de la dette souveraine dans certains pays périphériques de la zone euro et les problèmes d’accès au marché exercent sur leurs autorités des pressions pour qu’elles accélèrent leurs plans d’assainissement des finances publiques. En même temps, la marge de manœuvre des autorités monétaires était plus importante, les taux d’inflation étant nettement plus faibles au début de la présente récession.

(…) La réaction des autorités a peut-être été judicieuse étant donnée la marge de manœuvre dont les pays avancés disposaient en matière budgétaire et monétaire. Toutefois, il y a aussi des sujets de préoccupation. Malgré une politique monétaire efficace, les autorités ont dû recourir à des mesures non classiques. Même avec ces mesures, les taux d’intérêt nuls et l’étendue des perturbations financières pendant la crise ont réduit cette efficacité. Conjugué à l’ampleur des capacités inutilisées de ces pays, cela a pu amplifier l’impact des politiques budgétaires restrictives. En conséquence, après quatre années de faible reprise, les autorités doivent peut-être s’inquiéter du risque de surexposition de la politique monétaire, dont on exige plus que traditionnellement. »

Ayhan Kose, Prakash Loungani et Marco Terrones, « La grande divergence entre les politiques économiques », in FMI, Perspectives de l’économie mondiale : Espoirs, réalités, risques, avril 2013, pp. 34-37.

aller plus loin... lire « Pourquoi la reprise est-elle si lente aux Etats-Unis ? »