reform_greece.jpg

« Après l’entrée dans la zone euro, la Banque de Grèce va mettre en œuvre la politique monétaire unique décidée par le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne et il sera impossible d’améliorer la compétitivité de l’économie en modifiant le taux de change de notre nouvelle devise, l’euro. Les objectifs d’une plus forte croissance de l’emploi et de la production vont par conséquent devoir être poursuivis à travers des réformes structurelles et des mesures budgétaires visant à améliorant la compétitivité en accroissant la productivité, en améliorant la qualité des biens et services grecs et en assurant la stabilité des prix. »

Lucas Papademos, gouverneur de la banque centrale grecque, 2001.


« Avant que ne se concrétise l'union monétaire avec la fixation des parités le 1er janvier 1999, beaucoup pensaient qu’elle pousserait ses membres les moins productifs (en particulier la Grèce, le Portugal, l'Espagne et Irlande) à entreprendre des réformes structurelles pour moderniser leurs économies et améliorer leurs institutions. (…) En raison des répercussions de la bulle financière mondiale sur les pays périphériques de la zone euro, le résultat fut l'opposé : les réformes ont été abandonnées et les institutions se sont détériorées. En outre, (…) l'abandon des réformes et la détérioration des institutions ont prolongé la bulle du crédit, retardé la réponse à la crise et réduit les perspectives de croissance de ces pays.

Par le passé, les pays périphériques de la zone euro avaient utilisé des dévaluations pour faire face aux chocs négatifs au cours des cycles économiques, mais sans corriger les déséquilibres sous-jacents à leurs économies. L'euro était supposé imposer une politique monétaire cohérente dans le temps et une politique budgétaire saine. Il devait également inciter les agents sociaux à abandonner leurs habitudes inflationnistes. Enfin, (…) il devait amorcer une modernisation en profondeur de l'économie.

(…) Ce fut effectivement le cas pour (…) l'Allemagne. Avec la marge de manœuvre limitée qu’autorisait le traité de Maastricht et une économie en pleine stagnation, l'Allemagne a choisi la voie des réformes structurelles, qui donnèrent un nouveau souffle à ses exportations. Mais cela ne s'est pas produit dans les pays périphériques. Au lieu de cela, la divergence institutionnelle entre ces derniers et le noyau s’est accentuée. Les efforts visant à réformer les institutions jouant un rôle clé dans la croissance à long terme (telles que les marchés du travail rigides, les marchés de produits peu concurrentiels, les systèmes éducatifs défaillants ou encore les systèmes fiscaux sources de distorsions et fragilisés par l’évasion fiscale) ont été abandonnées. Derrière une brillante façade se tenaient des économies non réformés.

Les origines communes du boom financier sont bien comprises. L'élimination du risque de taux de change, une politique monétaire accommodante et l'assouplissement des conditions financières dans le monde entier a entraîné une forte baisse des taux d'intérêt (cf. figure) et un afflux de financement dans les pays périphériques qui avaient traditionnellement été privés de capitaux. En outre, la démographie en Irlande et en Espagne a favorisé le début d'un boom de la construction (…), alors qu’en Allemagne la démographie avait au contraire déprimé la demande de logements. (…)

GRAPHIQUE Convergence des rendements des obligations d'Etat à dix ans

periph_kill_govern.png
source : Fernández-Villaverde et ses coauteurs (2013)

Nous avons identifié deux canaux par lesquels l’afflux de capitaux dans les économies périphériques a pu progressivement conduire à l'abandon des réformes. Le premier est l'assouplissement des contraintes affectant tous les agents. La littérature d'économie politique a depuis longtemps observé que les choses doivent aller suffisamment mal pour que les réformes favorables à la croissance soient mises en œuvre (cf. Sachs et Warner, 1995, ainsi que Rodrik, 1996). Et, comme la littérature sur le développement l’a souligné, l'aide étrangère desserre ces contraintes en permettant à ces groupes d'intérêts dont les contraintes sont desserrées pour s'opposer plus longtemps aux réformes. (…) Vamvakidis (2007) constate également que ce mécanisme fonctionne lorsque la dette augmente, plutôt que l'aide.

Le second mécanisme est plus original. Il affecte la capacité et la volonté des dirigeants à extraire des signaux à partir des variables dans une bulle. Lorsqu’une bulle se forme, tout suggère que tout va bien. Une succession d’événements positifs suggère alors (trompeusement) une bonne gouvernance. Lorsque toutes les banques génèrent des profits élevés, tous les gestionnaires semblent compétents ; lorsque tous les pays produisent les biens publics exigés par les électeurs, tous les gouvernements semblent efficaces (ce mécanisme s'applique tant aux bulles immobilières, comme en Irlande et en Espagne, qu’aux bulles de la dette souveraine, comme au Portugal et en Grèce). Ce problème d'information a des conséquences négatives pour la sélection et les incitations. Les mauvais agents ne sont pas licenciés : les dirigeants incompétents conservent leur poste et les gouvernements inefficaces sont réélus. Le manque de sélection a des conséquences particulièrement négatives après l’éclatement de la crise. En outre, les désincitations s'aggravent et les agents fournissent moins d'effort.

Ces deux mécanismes, l'assouplissement des contraintes et le problème d'extraction des signaux, ont conduit à un revirement des réformes et à une détérioration de la qualité de la gouvernance dans ces pays. Cette observation, quelque peu contre-intuitive, implique que la capacité à se financer à des taux d'intérêt réels faibles (ou négatifs) peut avoir des conséquences négatives à long terme pour la croissance.

Ainsi, on s’attendait à ce que l'arrivée de l'euro conduise à une modernisation des économies de la périphérie européenne. Manquant d’autonomie monétaire et budgétaire, les gouvernements devaient adopter les réformes structurelles qu'ils avaient précédemment refusé de mettre en œuvre. En fait, (…) le boom financier généré par la baisse des risques de change et par l’adoption de l’euro s’est traduit par un assouplissement, et non un resserrement, des contraintes budgétaires auxquelles ces pays étaient confrontés. Les pays qui pouvaient se financer à bon marché ont retardé les réformes douloureuses. En outre, la bulle a érodé la responsabilité (accountability), puisque la hausse des prix des actifs dissimulait toutes les erreurs, si bien que les mauvaises décisions ne se sont pas traduites par des conséquences négatives à court terme. Par conséquent, la bulle financière a alimenté la détérioration de la gouvernance et des arrangements institutionnels dans la périphérie de la zone euro. (…) »

Jesús Fernández-Villaverde, Luis Garicano et Tano Santos (2013), « Political credit cycles: The case of the euro zone », NBER working paper, n° 18899, mars 2013.