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« Nous avons vu dans notre précédent billet que les données internationales suggéraient que les pays dotés d'institutions faibles (caractérisées notamment par un manque d'équilibre des pouvoirs ou par des niveaux élevés de corruption) connaissent une contraction de leur activité lorsqu’ils découvrent les ressources naturelles. La question est : pourquoi ?

Il n'y a pas de consensus parmi les universitaires à ce sujet. Une très belle vue d'ensemble des nombreux arguments est fournie dans une récente revue de la littérature en 2011 par Rick van der Ploeg, expert en économie des ressources, “Natural resources: curse or blessing?”.

Un ensemble d'hypothèses est développé dans notre travail “Economic backwardness in political perspective” et dans l'article de Daron Acemoglu "Modeling inefficient institutions". L'idée est simple : si un dictateur ou un groupe d'élites est prêt à faire des choses inefficaces pour garder le pouvoir (ce fut le cas, comme nous l’avons discuté dans notre ouvrage Why Nations Fail, avec les élites russes et austro-hongrois au début du dix-neuvième siècle qui étaient prêtes à bloquer les chemins de fer et l'industrialisation), alors une plus grande rente des ressources naturelles ne fera qu’aggraver les choses. En particulier, les ressources naturelles vont accroître les "enjeux politiques", alimenter le désir des élites de s'accrocher au pouvoir et les pousser à élargir l'éventail des politiques, institutions et stratégies inefficaces et répressives pour atteindre cet objectif.

(…) De plus grands enjeux politiques ne rendront pas seulement les élites plus enclines à poursuivre des politiques ou une répression inefficaces pour s'accrocher au pouvoir, mais encourageront aussi les groupes qui aspirent à remplacer l’élite à contester le pouvoir pour prendre le contrôle des rentes des ressources naturelles, chose particulièrement probable dans les pays riches en ressources qui sont confrontés aux fréquentes guerres civiles. (…).

Une théorie connexe, peut-être mieux adaptée pour décrire les dynamiques observées au Cameroun, est celle développée par James Robinson en collaboration avec Ragnar Torvik et Thierry Verdier dans leur article “The political economy of the resource curse”. Dans ce modèle, un politicien en exercice essaye de rester au pouvoir lors d’une élection (…) en adoptant des pratiques clientélistes. Dans le modèle, le clientélisme consiste à garantir des emplois dans le secteur public à certains groupes en particulier. Cela est socialement inefficace parce que ces gens sont plus productifs dans le secteur privé, mais le rôle de l'emploi dans le secteur public est de lier les revenus futurs de ces personnes à l’actuel détenteur du pouvoir, les incitant ainsi à soutenir ce dernier lors des élections. S’il y a un boom des ressources naturelles, il devient beaucoup plus désirable pour le gouvernant de rester au pouvoir, si bien qu’il s'engage beaucoup plus agressivement dans le clientélisme et le secteur public s’élargit. Cela tend à réduire le revenu national. Bien sûr, l'augmentation de la richesse des ressources naturelles tend au contre à accroître mécaniquement le revenu national.

L’article montre que l'effet négatif peut être si important qu’il surcompense l'effet positif, si bien qu’une manne de ressources peut finalement se traduire par une baisse du revenu national. Cela se produit lorsque le clientélisme est un moyen très efficace pour rester au pouvoir et l’article l’interprète d’un point de vue institutionnel. Par exemple, lorsqu’il y a peu de freins et de contrepoids ou lorsque l'État est faible, il est alors facile d’ignorer le critère méritocratique pour embaucher dans le secteur public, comme ce fut le cas au Cameroun à la fin des années soixante-dix, auquel cas un boom des ressources naturelles peut réduire le revenu par habitant. »

Daron Acemoglu et James Robinson, « The economic nature of the resource curse: Mechanisms », in Why Nations Fail (blog), 23 mai 2013.

aller plus loin... lire « Le syndrome hollandais ou l'abondance en ressources naturelles comme malédiction »