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« La discussion sur la malédiction des ressources naturelles (natural resource curse) au Cameroun soulève la question de savoir si la richesse en ressources naturelles, en particulier l’abondance de pétrole, est susceptible d'influencer aussi bien l'économie que les institutions politiques. Les mécanismes que nous avons proposés pour la malédiction des ressources, sans surprise, opèrent à travers la politique. Mais ils considèrent les institutions politiques comme données.

Le pétrole et plus généralement les richesses naturelles peuvent-elles mener à une détérioration institutionnelle dans la sphère politique ? La richesse pétrolière a-t-elle poussé le président Biya au Cameroun à inverser la transition espérée à la démocratie dans les années quatre-vingt-dix ? Ces questions ont été initialement posées dans deux articles de science politique. Leur réponse a été un oui retentissant.

Michael Ross a fait cela au niveau mondial dans son article de 2001 intitulé "Does oil hinder democracy?". Nathan Jensen et Leonard Wantchekon l'ont fait pour l'Afrique dans leur article "Resource wealth and political regimes in Africa". Les deux études ont montré que différentes mesures de l'abondance des ressources naturelles ou de leur importance dans l'économie sont négativement corrélées avec le degré de démocratie d'un pays. Plus le pays est abondant en ressources naturelles, moins il est démocratique : tel était le message retentissant de ces papiers qui est devenu une idée bien ancrée en science politique. On peut penser à de nombreux mécanismes via lesquels cela pourrait fonctionner. Par exemple, lorsque la richesse en ressources naturelles augmente, comme dans les études théoriques dont nous avons parlé, il devient plus lucratif d’être au pouvoir. Ainsi, les dirigeants autocratiques sont mieux préparés à utiliser la répression ou d'autres moyens pour éviter d'avoir à démocratiser leur pays ou pour éviter de perdre le pouvoir s'ils doivent faire face à des élections (ce qui est exactement ce que Biya a fait).

Il y a toutefois un profond problème avec cette littérature. Les études empiriques ont utilisé la variation transversale pour estimer l'effet de la richesse des ressources naturelles sur la démocratie. Pourtant, presque par définition, les pays pauvres dépendent des ressources et la richesse des ressources naturelles est grande par rapport à la taille totale de l'économie ou aux exportations et elle constitue une source de financement pour le gouvernement. Par exemple, les pays pauvres n'ont pas de bons systèmes fiscaux et ils ont donc tendance à s'appuyer sur les rentes des ressources naturelles. Mais les pays pauvres ont également tendance à être beaucoup moins démocratiques. Par conséquent, cette littérature ne considère par l’éventualité que la corrélation entre l’abondance des ressources naturelles (…) et l'autocratie pourrait ne pas présenter de relation causale du tout.

Cette question a été abordée par Stephen Haber et Victor Menaldo qui ont attiré l'attention sur (…) ce qui s'est passé dans un pays au niveau de la démocratie lorsque l'abondance des ressources naturelles ou la dépendance envers ces dernières se modifie. Dans leur article “Do natural resources fuel authoritarianism? A reappraisal of the resource curse”, ils trouvent qu'il n'y a pas du tout d'effet négatif de la richesse des ressources naturelles (le pétrole, en l’occurrence) sur la démocratie. Ils suggèrent même au contraire des effets positifs.

Une telle conclusion ne surprend pas totalement. En fait, il existe une littérature d'études de cas pour le Venezuela qui suggère que la richesse pétrolière était cruciale pour maintenir la démocratie parce qu’elle permettait aux gouvernements démocratiques de financer les dépenses publiques sans taxer les riches et de réduire la menace d'un coup d'Etat. Cet argument a été développé dans Crude Democracy de Thad Dunning, qui affirme que l'abondance des ressources naturelles peut à la fois promouvoir ou retarder la démocratie selon le niveau d’inégalités. Selon son modèle et de son analyse empirique, la richesse pétrolière ne retarde la démocratie que lorsque les inégalités sont faibles. Le travail de Dunning indique que les conclusions de Haber et Menaldo peuvent ne pas clore le débat. Tout comme la richesse en ressources naturelles peut avoir des effets hétérogènes sur la croissance économique en fonction des institutions, elle a probablement aussi des effets hétérogènes sur la démocratie.

Mais quelles sont les facteurs institutionnels et historiques qui jouent un rôle important dans cette hétérogénéité des effets ? Il s'agit d’une question à laquelle personne, à notre connaissance, ne s’est encore attaqué. »

Daron Acemoglu et James Robinson, “Natural resources and political institutions: Democracy“, in Why Nations Fail (blog), 29 mai 2013.


« Michael Ross (…) nous a pointé son nouveau travail avec Jorgen Andersen qui met à l’épreuve les conclusions de Haber et de Menaldo et auquel ceux qui s'intéressent à ce domaine, et en particulier aux facteurs retardant l'émergence de la démocratie au Moyen-Orient, devraient y jeter un coup d’œil. Andersen et Ross font valoir que, même avec des effets fixes de pays, il y a un effet négatif de la richesse pétrolière sur la démocratie, mais pour déceler celui-ci, on a besoin de faire interagir la richesse pétrolière avec une variable muette pour la période postérieure à 1980 (en partie parce que le rôle du pétrole a un peu changé après la hausse des prix du pétrole de l'époque). Donc, le débat se poursuit et il y a probablement encore pas mal de choses à découvrir dans ce domaine ; nous pensons notamment à l'interaction plus détaillée entre des aspects spécifiques des institutions et le rôle de l’abondance des ressources naturelles comme nous le discuterons prochainement. »

Daron Acemoglu et James Robinson, “More on natural resources and democracy”, in Why Nations Fail (blog), 4 juin 2013.

aller plus loin... lire « Le syndrome hollandais ou l'abondance en ressources naturelles comme malédiction »