« Je pense qu'il est important de faire la distinction entre deux arguments pour justifier de l’importance de la borne inférieure zéro (zero lower bound) des taux d'intérêt nominaux. (…) Si le premier argument est discutable, je crois qu’il est très difficile de rejeter le second.

Le premier argument (…) est que la politique monétaire non conventionnelle ne fonctionne pas ou plutôt qu’elle atteint les limites de ce qu’elle peut faire (…). Bref, la politique monétaire à la borne inférieure zéro ne peut pas atteindre pleinement les objectifs de la politique monétaire. Le second argument (…) est que l'impact de la politique monétaire devient plus incertain. Selon le second argument, une dose particulière de politique monétaire non conventionnelle est susceptible de reproduire ce que la politique de taux d'intérêt pourrait atteindre dans un autre contexte, mais il y a plus d'incertitude sur ce qui correspond à la dose appropriée. L'impact de toute mesure de politique monétaire non conventionnelle est donc moins prévisible que l'impact de la politique conventionnelle.

Une grande partie du débat autour de la politique monétaire non conventionnelle repose sur le premier argument. Une caractéristique importante de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) est que sa taille est potentiellement illimitée : la banque centrale peut créer autant de réserves qu’elle désire. Donc, si l'impact de chaque unité de QE sur l'économie est constant, même si cette constante est petite, et si nous connaissons cette constante, alors nous pouvons moduler la taille de l’assouplissement pour qu'il ait l'effet souhaité. Cependant, il semble beaucoup plus probable que cette politique monétaire ait des rendements décroissants, mais pour être honnête je n'ai aucune idée si cela signifie qu'il y ait des limites à ce que la politique monétaire peut faire actuellement. Il y a aussi ceux qui craignent que la politique monétaire non conventionnelle ait des effets secondaires dangereux sur la stabilité financière si elle devient trop large. Comme je le disais, le premier argument est discutable.

Ce qui semble clair pour moi, c'est que nous en savons beaucoup moins sur l'impact de l'assouplissement quantitatif ou des autres mesures de politique monétaire non conventionnelle que nous en savons sur la politique monétaire conventionnelle. Cela suit presque par définition : nous avons des modèles bien établis pour la politique conventionnelle et beaucoup plus de données pour vérifier ces modèles. Ce que les données dont nous disposons suggèrent également est que l'impact de la politique monétaire non conventionnelle est plus incertain. (C'est la conclusion que tire John Williams, qui a fait une bonne partie du travail sur leur impact et je n'ai jamais entendu quelqu'un soulever des arguments contre ce point de vue.) C'est pourquoi je pense qu'il est très difficile de nier que l'impact de la politique monétaire à la borne inférieure zéro soit beaucoup plus incertain par rapport à la politique monétaire en dehors de la borne inférieure zéro.

Pourquoi fais-je cette distinction ? Une bonne politique monétaire tente non seulement d'atteindre le meilleur résultat possible pour l'économie, mais elle tente aussi de réduire l'incertitude associée à ce résultat. En effet, nous pourrions bien être sacrifier une partie de l’efficacité pour réduire l’incertitude : l'incertitude est en général indésirable. Une méthode standard pour juger des mérites d'une règle particulière pour la politique macroéconomique, par exemple, est de se demander si elle réduit la variance de la production ou de l'inflation lorsque l'économie subit un ensemble standard de chocs.

Retournons voir un vieil ami. Supposons que vous soyez médecin et vous disposiez de deux médicaments pour traiter une maladie. L’un est fiable, mais l'autre nécessite une série d’essais et d’erreurs pour obtenir la bonne dose et sa prise s’accompagne parfois de désagréables effets secondaires. Dans ces circonstances, vous préférez ne pas manquer du médicament fiable. Vous faites tout votre possible pour éviter de manquer de médicament fiable.

Vu sous cet angle, il devient presque indéniable que l'austérité budgétaire à la borne inférieure zéro est une politique dangereuse. En nous rendant plus dépendant de la politique monétaire non conventionnelle, cela augmente l'incertitude macroéconomique. Cela nous pousse à recourir davantage au remède peu fiable. Je pense qu'une grande partie du débat quant à savoir si la politique monétaire est la seule chose chose dont nous ayons besoin se focalise sur le premier argument, mais néglige le second. »

Simon Wren-Lewis, « The two arguments why the zero lower bound matters », in Mainly Macro (blog), 12 juillet 2013. Traduit par M.A.