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« Il n’y a pas de consensus sur ce que sont exactement les coûts d'un défaut souverain, sans parler de leur amplitude. Traditionnellement, la littérature sur la dette souveraine s’est focalisée sur deux mécanismes : les coûts de réputation qui prennent la forme, à l'extrême, d’une exclusion du pays des marchés financiers, et les sanctions directes telles que (…) les sanctions commerciales internationales imposées par les pays de résidence des créanciers. Le coût du défaut en termes de réputation a une tradition théorique et historique bien établie. (…) Un article influent réalisé par Jeremy Bulow et Kenneth Rogoff (1989) doute cependant de l’importance des coûts de réputation et considère plutôt que les sanctions directes (telles que les embargos commerciaux) constituent le véritable mécanisme qui incite les gouvernements à rembourser leurs dettes. (…) Mais il y a eu relativement peu de travaux cherchant à évaluer la pertinence empirique de ces mécanismes. (…)

(...) Les récentes études ont davantage porté leur attention sur les conséquences du défaut souverain pour l’économie domestique, en particulier le secteur bancaire. Ce canal est particulièrement pertinent car, dans de nombreux pays émergents, les banques détiennent des quantités importantes d'obligations d'Etat dans leurs portefeuilles. Ainsi, un défaut souverain affaiblirait leurs bilans et risquerait même de provoquer une panique bancaire. Pour aggraver les choses, les crises bancaires sont généralement résolues par l’émission d'obligations publiques de "recapitalisation" et par l’injection de liquidité bancaire. Mais lors d’une crise de la dette souveraine, les obligations d'Etat perdent de leur valeur et les résidents peuvent également perdre confiance envers la monnaie domestique. En plus des coûts que la crise souveraine peut avoir pour l'économie domestique, il y a un coût politique pour les autorités publiques. Une économie déprimée et un système bancaire en crise n'augurent rien de bon pour le parti au pouvoir et les autorités publiques. Même si un tel lien a été noté dans le cas des dévaluations de devise par exemple, il n'a pas été exploré dans le cas de défaut de paiement. (...)

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Nous avons cherché à estimer les coûts associés aux défauts souverains (…). Le tableau ci-dessus fournit une synthèse des résultats (…). Les résultats suggèrent que les coûts de défaut sont significatifs, mais de courte durée. La réputation des Etats en défaut de paiement, telle qu’elle est mesurée par les notations de crédit et les primes de risque, est certes entachée, mais seulement pour une courte période. Bien qu'il y ait certaines preuves empiriques suggérant que le commerce international et les crédits commerciaux sont négativement affectés par des épisodes de défaut, nous ne pouvons faire le lien avec le crédit commercial (…). Les défauts de la dette semblent provoquer des crises bancaires, et non l'inverse, mais il n’est pas certain qu'ils provoquent un effondrement du crédit sur les marchés domestiques. Finalement, les défauts souverains semblent raccourcir significativement le maintien au pouvoir des gouvernements et des décideurs publics en charge de l'économie. Les résultats suggèrent que les coûts de défaut restent encore mal définis et qu’ils sont difficiles à quantifier. (…) Le résultat le plus robuste et frappant est peut-être la faible durée des répercussions des défauts, comme nous ne détectons généralement aucun effet au-delà de deux ans.

Le processus de prise de décision des autorités publiques concernant le calendrier des défauts est encore peu étudié (…). Les défauts ont tendance à être largement anticipés et se produisent à des moments où l’économie domestique est déprimée. Cela peut survenir pour deux raisons différentes. Les décideurs politiques peuvent essayer de retarder par égoïsme les défauts et ce malgré qu’un tel retard accroisse les coûts économiques du défaut, puisque les études empiriques (…) suggèrent que les changements de gouvernements sont plus fréquents suite au défaut de paiement. Une autre possibilité est que les décideurs retardent le défaut pour s’assurer qu’il y ait un large consensus sur les marchés pour considérer que la décision est inévitable et non stratégique. Ces résultats sont en accord avec le modèle développé par Grossman et Van Huyck (1988) où les défauts "stratégiques" sont très coûteux en termes de réputation (et c'est pourquoi ils ne sont jamais observés en pratique), tandis que la perte de réputation sur les marchés est moindre lors des défauts "inévitables". Par conséquent, entre deux maux, les autorités publiques choisissent de reporter le défaut de paiement de manière à réduire les coûts de réputation, même si cela accroît les coûts économiques du défaut souverain. »

Eduardo Borensztein et Ugo Panizza , « The costs of sovereign default », IMF staff paper, 2009. Traduit par M.A.