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« Les macroéconomistes analysent les cycles économiques de deux façons différentes :

1. En utilisant un modèle où les crises et les booms sont entraînés par des chocs (des événements inattendus).

2. En termes de succession de phases (expansions et récessions) où la clé est de définir les points de retournement qui représentent la transition entre les phases.

Utiliser un modèle avec des chocs permet de décrire plus finement les cycles économiques. Nous pouvons observer des chocs de taille différente, la réponse dynamique aux chocs, etc. Mais il se trouve que certaines économies (et en particulier les Etats-Unis) se comportent d'une manière qui peut-être résumée par des périodes de croissance calme et stable (les expansions) qui sont interrompues par des ralentissements soudains de la croissance (les récessions) qui sont par nature courtes. Et c'est pourquoi nous résumons la volatilité des variables économiques autour de la notion d'événements rares et négatifs que nous appelons les récessions.

Cette description simple (simpliste?) des cycles est utilisée par le comité de datation des cycles économiques du National Bureau of Economic Research (NBER) aux Etats-Unis et est devenu un moyen très courant pour analyser les cycles d’affaires dans d'autres pays. Toutes les récessions ne sont pas semblables. Certains sont pires que d'autres. Une façon de distinguer la gravité des récessions est de regarder leur durée ; c’est l'approche du NBER sur cette question : les plus longues récessions sont considérées comme des récessions "plus sévères". Cette approximation est-elle bonne ? Il se pourrait que le nombre de trimestres ne soit pas un indicateur suffisamment bon, puisque vous pouvez avoir deux récessions qui durent chacun quatre trimestres, mais qui apparaissent très différentes l’une de l’autre. Mais il se trouve (dans le cas des Etats-Unis) que les récessions sont souvent courtes et leur forme est semblable, si bien que la durée d’une récession a été considérée comme un assez bon indicateur de sa sévérité.

Dans le travail que j’ai récemment réalisé avec Ilian Mihov (et que nous résumons dans ce billet publié sur VoxEU.org), nous nous interrogeons sur l'utilisation de la durée de la récession comme indicateur de gravité des crises en mettant en avant un nouvel argument que nous amène à redéfinir les phases du cycle économique Lorsque la récession est terminée, l'économie a atteint un point tournant, le creux. Il représente la fin d'une période de "déclin de l'activité économique", la définition du NBER d'une récession. Mais qu'advient-il ensuite ? Combien de temps faut-il pour revenir à la normale ? Par "normale", nous entendons un niveau de production et de l'emploi qui soit cohérent avec la notion de tendance ou de plein emploi. La méthodologie du NBER n'a jamais abordé cette question. Une fois que la récession est terminée, l'expansion commence et il n'y a aucune autre communication de la Commission de datation du cycle d’affaires jusqu'à ce qu'une nouvelle récession survienne. Il n’y a aucune description explicite d'une phase de reprise.

Cette approche est-elle suffisamment bonne ? Ça pourrait être le cas si les reprises étaient symétriques aux récessions. Si la longueur de la reprise était directement liée à la durée de la récession, alors nous pourrions utiliser la longueur de la phase de récession comme un indicateur des conséquences de la crise. Mais nos recherches montrent que ce n'est pas le cas et, en outre, la durée de la phase de reprise s’allonge de plus en plus au cours du temps (du moins lorsque l’on observe les trois dernières récessions).

Pour comprendre cela, comparons trois récessions américaines similaires. Selon le NBER, les trois pires récessions américaines (c’est-à-dire les plus longues) après la Seconde Guerre mondiale étaient la récession de 1973 (4 trimestres), la récession de 1981 (4 trimestres) et la récession de 2007 (4,5 trimestres). Les trois récessions sont presque identiques en termes de durée. Dans notre étude, nous avons daté une phase de reprise, définie comme le temps nécessaire pour que l'économie américaine revienne à la tendance (ou au "plein emploi") et nous constatons que les trois reprises sont très différentes. En particulier, la reprise de 2007 dure 16 trimestres (et elle n’est pas encore terminée) alors que la reprise de 1981 n’a seulement duré que 5 trimestres et la reprise de 1973 que 6 trimestres. En d'autres termes, les coûts du choc de 2007 ont été bien plus élevés que lors des chocs de 1973 ou de 1981, même si les trois récessions avaient l'air presque identique.

En conclusion, l'utilisation des dates et durées des récessions ne fournissent qu'une vue très partielle et éventuellement trompeuse de la forme, de la gravité et de la durée des crises. Si nous utilisons un cadre (comme celui du NBER) qui ramène la question des cycles économiques à des chocs occasionnels et négatifs que nous appelons récessions, nous devons être explicites sur ce qui se passe dans les trimestres qui suivent le creux, le point tournant suite auquel nous sortons de la récession. Nous sommes conscients que la datation de la phase de reprise peut être difficile et sujette à l'incertitude (et d'interminables débats entre universitaires), mais cette difficulté ne doit pas empêcher les études de chercher à établir (…) des faits stylisés sur la forme de cette troisième phase du cycle économique. »

Antonio Fatás, « Close encounters with the third phase (of the business cycle) », in Antonio Fatás and Ilian Mihov on the Global Economy (blog), 15 août 2013. Traduit par M.A.


aller plus loin… lire « Le découplage des politiques économiques »