« Le FMI vient juste de publier un document de travail intitulé "Assessing the Impact and Phasing of Multi-Year Fiscal Adjustment: A General Framework" qui se demande finalement si l'austérité doit être concentrée en début de période (frontloaded) ou retardée. (…) Déjà, si vous appelez quelque chose "cadre général" (general framework), vous prenez un risque. Mais honnêtement, si vous écrivez aussi que votre "cadre ne prend pas explicitement en compte la réponse de la politique monétaire, qui est pourtant susceptible d’avoir un impact significatif sur la production", alors vous n'avez aucune légitimité à utiliser le mot "cadre", encore moins "général".

(…) En effet, lorsque la politique monétaire n'est pas contrainte (c’est-à-dire lorsque les taux d’intérêt ne sont pas à leur niveau plancher, en l’occurrence zéro), la politique monétaire peut (et, en principe, devrait) compenser entièrement l'impact d'une consolidation budgétaire. Le multiplicateur dans ce cas sera proche de zéro. Toutefois, si nous sommes à la borne zéro, (…) la capacité de la politique monétaire à stimuler la demande globale est gravement compromise. En conséquence, tout multiplicateur budgétaire sera sensiblement supérieur à zéro.

Considérons maintenant deux périodes. Dans la première, nous sommes à la borne zéro. Dans la période suivante, nous n’y sommes pas. Les autorités publiques ont le choix entre deux programmes de consolidation budgétaire. Dans le premier, l’effort fiscal est entièrement réalisé dans la première période. Dans le second programme, rien ne se passe lors de la première période et l’ensemble de l’assainissement budgétaire est réalisé au cours de la seconde période. (…)

Quel est l'impact global de ces deux programmes sur la production ? La consolidation concentrée en première période affecte la production alors même que les taux d’intérêt sont à leur borne inférieure zéro, avec de possibles effets d'hystérésis au cours de la seconde. Attendre la deuxième période pour consolider les finances publiques n'a pas d'impact sur la production, parce que tout impact négatif sur cette dernière est compensé par un assouplissement de la politique monétaire. Tout simplement. Donc le choix est évident : vous retardez l’ajustement budgétaire tant que vous n’êtes pas sorti de la borne inférieure zéro. On pourrait penser qu’avec ces implications pour la trajectoire optimale de l'assainissement budgétaire, un "cadre général" doit nécessairement prendre en compte la politique monétaire. (…) Certes, de nombreux pays ne sont pas à la borne du zéro, mais plusieurs grandes économies le sont (comme les Etats-Unis ou la zone euro dans son ensemble), donc il est tout simplement fou d’ignorer la politique monétaire dans un quelconque "cadre général".

(…) L’étude ne tient pas compte du fait qu'en dehors de la borne inférieure zéro la politique monétaire peut compenser l'impact de la politique budgétaire. Dans les simulations réalisées par les auteurs du FMI, les sentiers de consolidation progressive (c’est-à-dire, non concentrée en début de période) impliquent encore d'importantes pertes de production, car ils supposent que sans l’ajustement budgétaire l'écart de production (output gap) serait égal à zéro, donc retarder l'ajustement budgétaire créerait un important écart de production négatif, ce qui mènerait à un multiplicateur élevé. Donc, les auteurs du FMI ignorent complètement le fait que la politique monétaire puisse et doive compenser l'impact de la consolidation budgétaire lorsque nous sommes bien loin de la borne inférieure zéro.

C’est une chose tellement évidente et fondamentale que je me demande pourquoi il n'est pas pris en compte dans l'analyse. En ignorant ce point, les conclusions de l’étude sont de fait inapplicables à certaines grandes économies. »


Simon Wren-Lewis, « Missing the point at the IMF », in Mainly Macro (blog), 24 août 2013. Traduit par M.A.