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« Avec des taux d'intérêt directeurs proches de zéro dans les principales économies de l'OCDE, la poursuite de la relance monétaire s'est principalement appuyée sur l'assouplissement quantitatif (quantitative easing) et sur le guidage des anticipations (forward guidance) de manière à affecter les taux d'intérêt à long terme. Le cadre ci-dessous présente les principaux avantages et coûts associés à un assouplissement additionnel de la politique monétaire (…). Cela met en évidence le risque que les bénéfices marginaux d’une poursuite de la relance monétaire puissent devenir inférieurs aux coûts marginaux à partir d’un certain moment.

La capacité des achats d'actifs à stimuler l’économie dépend de l'ampleur de la baisse des rendements de ces actifs et de leurs répercussions sur le rééquilibrage des portefeuilles. L'impact varie en intensité en fonction de l'état des marchés financiers : les achats ont des effets plus importants sur les rendements si les prix d’actifs sont déprimés et les marchés sujets à la panique que si ces mêmes achats ont lieu dans un contexte d’actifs fortement évalués et les rendements sur les marchés obligataires sont contraints par la borne inférieure zéro (zero lower bound) sur les taux courts. Par conséquent, l’assouplissement quantitatif peut être particulièrement efficace lors des crises pour pousser les prix des actifs à la hausse, mais ses rendements marginaux pourraient diminuer avec le temps comme les actifs s’apprécient.

La capacité du guidage des anticipations (forward guidance) à stimuler l’économie dépendra aussi de son impact sur les rendements obligataires et sur les autres prix d'actifs. Son efficacité repose sur la crédibilité de la banque centrale lorsqu’elle s’engage à maintenir durablement une politique monétaire plus accommodante que ne l’attendraient les marchés en l'absence de guidage et sur la compréhension du public vis-à-vis des intentions de la banque centrale. À condition qu'il soit perçu comme crédible et que les marchés souscrivent à l'orientation future de la politique monétaire annoncée par la banque centrale, le forward guidance devrait (…) entraîner une baisse des rendements. Cependant, étendre toujours davantage le forward guidance (…) pourrait se révéler moins crédible, donc finalement inefficace.

En maintenant les taux d’intérêt à de faibles niveaux, la politique monétaire peut stimuler la demande, mais son efficacité a tendance à diminuer avec le temps si les anticipations de revenus futurs n'augmentent pas. En outre, dans le contexte actuel, l'efficacité de la baisse du coût du crédit dans la stimulation de la consommation et de l'investissement privés repose sur le fonctionnement du canal du crédit bancaire. Les avantages marginaux d’un stimulus supplémentaire sont plus larges lorsque les banques sont prêtes à accroître la disponibilité du crédit en ajustant les critères d'octroi en réponse à l’assouplissement des conditions monétaires que lorsque les normes de crédit ne se desserrent pas.

Les avantages potentiels d'un nouvel assouplissement monétaire dépendront aussi de l'état de l'économie. Ils sont particulièrement importants pour une économie qui connaît ou risque de connaître une déflation ou une récession, étant donné les coûts élevés liés à la baisse des prix et à la contraction de l'activité. Ainsi, même si des doutes subsistent quant à son efficacité, un stimulus supplémentaire est probablement justifié dans une telle situation. Ce ne sera pas le cas si l'économie croît au taux de croissance potentiel et que le taux d'inflation est proche du taux d'inflation ciblé par la banque centrale. Cependant, même dans ce dernier cas, les avantages peuvent justifier des achats d'actifs supplémentaires si le chômage et le ralentissement économique sont importants.

Les coûts potentiels associés à un nouvel assouplissement monétaire peuvent prendre différentes formes :

  • La prise de risque devient excessive si certains prix d'actifs atteignent des niveaux trop élevés, puisque cela accroît le risque d'instabilité financière à l'avenir. La poursuite des achats d'actifs ou du forward guidance lorsque les investisseurs sont devenus très tolérants au risque pourrait entraîner une prise de risque excessive, tandis que les achats d'actifs et le forward guidance dans un contexte de marchés déprimés sont peu susceptibles d'avoir de tels effets.

  • Les anticipations d'inflation peuvent s'élever au-dessus du niveau ciblé (…). Un nouvel assouplissement monétaire est tout particulièrement susceptible de déstabiliser les anticipations d'inflation si celles-ci sont déjà au-dessus des cibles ou si le stock d’actifs achetés est élevé, puisque les agents doutent alors de la capacité et de la volonté de la banque centrale à normaliser sa politique monétaire en temps opportun et ainsi à chercher à contrôler l'inflation.

  • La poursuite des achats d'actifs lorsque la banque centrale en détient déjà beaucoup rend la future sortie plus délicate, puisqu’elle augmente notamment le risque d'instabilité sur les marchés obligataires (…). Les coûts actualisés de ces possibles événements futurs dépendent de la date et du rythme attendu de la normalisation de la politique monétaire. Ainsi, les coûts actuels seront plus élevés si le début de la sortie est relativement proche dans le temps et s'il y a des risques de renversement abrupt de la politique que si la sortie est susceptible de se produire dans un avenir lointain et si le resserrement de la politique peut se faire progressivement.

  • Des risques pèsent sur l'indépendance de la banque centrale si la normalisation des taux d'intérêt l’amène à enregistrer des pertes sur ses portefeuilles d'actifs. Les coûts en termes de crédibilité sont susceptibles d’être particulièrement élevés lorsque la banque centrale détient beaucoup d’actifs et que les pertes menacent d'anéantir son capital.

  • La perpétuation de prêts non performants, encouragée par de faibles taux d'intérêt, sape la destruction créatrice et les gains de productivité dans l'économie. (…)

Si la banque centrale achète des actifs alors qu’elle en possède déjà un stock important, elle accroît sa domination sur les segments de marché où ces achats ont lieu, ce qui pourrait rendre ces marchés moins liquides et entraîner d'autres pertes d'efficacité. Ce risque est moins préoccupant si la banque centrale détient peu d’actifs. En raison des effets de débordement (spillovers), les coûts et avantages que l’économie mondiale retire d’un assouplissement monétaire ne sont pas les mêmes que les coûts et avantages qu’en retire le pays qui l’a mis en œuvre. Pour les pays étrangers, les effets de débordement peuvent se révéler bénéfiques, s’ils se traduisent par exemple par une plus grande demande extérieure ou par une augmentation de la disponibilité des financements étrangers, ou bien nuisibles, s’ils se traduisent par exemple par l’appréciation de la monnaie ou par des entrées et sorties de capitaux déstabilisatrices. L'ampleur respective de ces avantages et de ces coûts dépendra surtout de l’orientation de la politique domestique dans les pays étrangers et en particulier dans les pays émergents, notamment du degré de flexibilité de leur taux de change et de leurs politiques macroéconomiques et macroprudentielle. »

Łukasz Rawdanowicz, Romain Bouis et Shingo Watanabe, « The benefits and costs of highly expansionary monetary policy », OECD Economics Department, working paper, n° 1082, août 2013. Traduit par M.A.


aller plus loin… lire « La stratégie de forward guidance », « Bernanke et les taux d’intérêt à long terme » et « Les banques centrales doivent-elles réagir aux prix d’actifs ? »