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« Depuis le début de la crise financière, nous avons entendu beaucoup de personnes parler des pays de la zone euro : "Je vous l'ai dit, l’euro une très mauvaise idée". L'argument est que la zone euro ne constitue pas une zone monétaire optimale (une manière pour les économistes de dire que les coûts associés à l’adoption d’une monnaie unique sont plus grands que ses avantages). Alors que jusqu'en 2008, les choses n’ont pas semblé si mal que ça, la crise s’est révélée être un véritable test pour la zone euro et celle-ci semble ne pas l’avoir réussi. Et elle aurait échoué parce que, comme le dit n'importe quel manuel de macroéconomie, une fois que vous abandonnez votre taux de change, vous perdez un outil de stabilisation, si bien que lorsqu’une crise asymétrique éclate, vous connaissez une crise prolongée et la seule façon d’en sortir est de laisser les prix et les salaires baisser (c’est l’idée de la dévaluation interne), un processus douloureux et inefficace.

Dans un récent billet, Paul Krugman nous rappelle ces arguments en comparant l'Irlande au cours de la crise actuelle avec la Thaïlande ou l'Indonésie durant la crise asiatique. Selon lui, les économies asiatiques ont connu une reprise assez vite après la crise, alors que ce n’est pas le cas de l'Irlande (et la Grèce n'a même pas amorcé une reprise). Comme le dit Kevin O'Rourke, l'Irlande ressemble à la Thaïlande, mais sans le baht.

Les arguments et les preuves empiriques semblent solides, mais je suis quelque peu sceptique à l’idée que nous pourrions conclure rapidement que l'euro soit une expérience ratée et que la vie sans l'euro aurait été meilleure (…).

Ce que l'on aimerait faire, c'est une analyse contrefactuelle : où en seraient la Grèce, l'Espagne ou l'Irlande si elles n’avaient jamais adhéré à l'euro ? Qu’est-ce que leur monnaie leur aurait apporté avant et après la crise de 2008 ? Malheureusement, nous ne pouvons pas réaliser cette analyse contrefactuelle, si bien que le mieux que nous puissions faire est de chercher des exemples similaires (comme la Thaïlande pendant la crise asiatique). Or, (…), certaines données ne se prononcent pas clairement contre l'euro.

Avant de commencer, je dois préciser deux choses :

1. Je ne suis pas en désaccord avec l'argument selon lequel la rigidité des prix et des salaires font de la dévaluation interne une manière douloureuse de sortir d'une récession. Une dépréciation est un moyen beaucoup plus rapide pour réajuster les prix relatifs. C'est ce que j'enseigne à mes élèves.

2. Je suis d'accord avec l’idée que la zone euro comprend un ensemble de pays dont les performances sont inférieures à leur potentiel. C’est en raison de réformes qui ont échoué, de manque de leadership économique et d’une banque centrale pas très proactive que le taux de croissance est en dessous du potentiel (à la fois avant et pendant la crise).

(…) Parmi la liste des problèmes dont souffrent les pays de la zone euro, l'euro lui-même pourrait ne pas être le plus grave. Alors qu'une dévaluation aurait pu contribuer à accélérer la reprise, ses effets auraient été incertains et peut-être même petits. J'en arrive à cette conclusion en examinant les données de la même façon que le font Krugman et O'Rourke, mais je ne regarde toutefois pas les mêmes données. Mes comparaisons sont-elles meilleures que les leurs ? Pas sûr (…). Mais je les trouve plus pertinentes, même si je dois admettre que nous faisons face ici à beaucoup d'incertitude, que nos connaissances sur la performance potentielle des pays ayant des taux de change flexibles par aux pays ayant des taux de change fixes sont limitées. Et par connaissances, je parle bien de connaissances empiriques et non pas théoriques. Nous comprenons très bien comment les taux de change fonctionnent, mais (…) nous n’arrivons pas vraiment quantifier leurs effets.

Voici ci-dessous une liste de faits empiriques (…) qui suggèrent que l'euro lui-même pourrait ne pas avoir causé autant de dégâts que la comparaison entre, d’une part, la Thaïlande et de l'Indonésie avec, d’autre part, l'Irlande et la Grèce pourrait le suggérer.

1. Il est difficile de comparer des pays dont le PIB par habitant est différent. Il est difficile d'imaginer l'Irlande croître à des taux similaires à ceux de la Thaïlande et de l'Indonésie après 2008, étant donné que le PIB par habitant irlandais est plus élevé que celui de l'Allemagne ou des Etats-Unis (en 2012, selon le FMI, le PIB par habitant de l’Irlande était plus élevé que celui de l’Allemagne ; en revanche, en 1996, le PIB par habitant de l'Indonésie était inférieur à 10 % à celui des Etats-Unis). Trouver une meilleure comparaison est difficile. Très peu de pays développés adoptent des taux de change fixes ou entreprennent de larges dévaluations. Mais nous pouvons encore trouver des éléments empiriques.

2. Les pays européens ont également connu une crise entre 1991 et 1993, une crise qui a déstabilisé leur système de taux de change fixes. Certains pays ont abandonné l’ancrage de leur taux de change et ont dévalué leur monnaie, alors que d'autres l’ont maintenu. C'est l’expérience qui se rapproche le plus d’une sortie de la zone euro (oui, l'expérience n'est pas parfaite, la crise était beaucoup moins grave, mais elle peut nous aider à comprendre le rôle des taux de change). Voici un graphique avec la trajectoire que le PIB de chacun de ces pays a suivi.

GRAPHIQUE 1 PIB réel (en indices base 100 pour l'année 1990)

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9 pays sont représentés sur le graphique. Certains d'entre eux ont dévalué leur monnaie (et, parmi ceux-ci, certains ont complètement quitté le système). Ces pays-là sont représentés par des pointillés. Les autres sont restés dans le système et leurs devises sont restées ancrées les unes aux autres (ils sont représentés par une ligne continue). Le graphique montre qu'il n'y a pas une réelle distinction entre les deux groupes. Il n’y a pas de réelle corrélation entre les différences de croissance et l'évolution des taux de change. Il se peut que seuls ceux qui ont opté pour une dévalorisation "devaient dévaluer", mais ce qui est frappant, c'est la similarité des dynamiques de croissance pour tous les pays.

3. Voici un deuxième élément de preuve tiré de la récente crise. L'Espagne et le Royaume-Uni ont souffert des conséquences de la crise financière de 2008. Toutes deux sont de grandes économies qui, avant la crise, ont vu les prix de l'immobilier s’envoler. Mais une fois que la crise a commencé, l’une a laissé sa monnaie se déprécier (le Royaume-Uni) d'environ 30% par rapport à l'euro tandis que l'autre (l’Espagne) est restée coincée avec une monnaie qui ne lui appartenait pas. La théorie dit que le Royaume-Uni aurait dû bénéficier d'une forte stimulation des exportations grâce à la dépréciation de sa monnaie. Voici une comparaison des exportations (réelles) après la crise qui a éclaté fin 2007.

GRAPHIQUE 2 Volume des exportations (en indices base 100 pour l'année 2007)

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Contrairement à nos a priori, les exportations espagnoles ont progressé plus rapidement que les exportations britanniques. Il semble donc que la dépréciation n'a pas beaucoup aidé le Royaume-Uni (ou, autrement dit, que l'absence de contrôle de la monnaie n’a finalement pas trop affecté l’Espagne).

4. Alors peut-être que les exportations espagnoles ne se sont pas si mal comportées que ça finalement, mais qu’en est-il du taux de chômage espagnol, qui atteint des niveaux aussi élevés qu’aux Etats-Unis lors de la Grande Dépression ? Oui, il s’est mal comporté, mais il était aussi extrêmement élevé lorsque l'Espagne avait sa propre monnaie (la peseta).

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Voilà ci-dessus un tableau qui représente la situation du marché du travail espagnol avant et après l'euro. Dans les années qui précèdent l’euro, le taux de chômage s’élevait en moyenne à 18,9 %. Après l'adoption de l’euro, il a été de "seulement" 14 %. La croissance de l'emploi était de 0,81 % avant l'adoption de la monnaie unique et de 1,45 % après.

Aucun des faits ci-dessus ne fournit un test parfait de ce qu’aurait été la vie sans l'euro pour certains des pays-membres, mais au moins ils mettent en doute l’idée que la récente crise financière ait clairement démontré que la création d'une monnaie unique l'Europe a été une très mauvaise idée. Pour certains de ces pays, la vie est difficile et volatile (avec ou sans l'euro). »

Antonio Fatás, « The Euro counterfactual », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 5 septembre 2013. Traduit par M.A.