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« Le Rapport mondial sur l'investissement 2013 de la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) est ma source privilégié de statistiques en ce qui concerne les niveaux et les tendances de l'investissement direct à l’étranger (IDE). Cette année, le chapitre IV s'intitule "Les chaînes de valeur mondiales : l’investissement et le commerce au service du développement". Voici quelques points qui m'ont sauté aux yeux.

La prééminence du commerce international des biens intermédiaires

L'histoire du commerce international que racontent les manuels, dans laquelle un produit facilement identifiable réalisé dans un pays donné (par exemple une voiture, un ordinateur, du textile, du pétrole, du vin ou du blé) est échangé contre un autre bien produit dans un autre pays n'est plus une bonne représentation de la majorité des échanges mondiaux. "Environ 60 % du commerce international, qui s'élève aujourd'hui à plus de 20.000 milliards de dollars, est constitué d’échanges de biens et services intermédiaires qui sont incorporés à diverses étapes du processus de production des biens et services destinés à la consommation finale."

Voici un exemple concret d’échanges de biens intermédiaires à travers une chaîne de valeur mondiale, en l’occurrence celle de Starbucks : "Par exemple, même la chaîne de valeur mondiale relativement simple de Starbuck (une entreprise américaine), basée sur l’offre d’un service (la vente de café), nécessite la gestion d'une chaîne de valeur qui s'étend sur tous les continents ; elle emploie directement 150.000 personnes ; qui se procure du café auprès milliers de commerçants, d’agents et de fermiers sous contrat dans les pays en développement ; fabrique du café dans plus de 30 usines, principalement en alliance avec des entreprises partenaires, généralement à proximité du marché final ; distribue le café aux points de vente à travers plus de 50 grands entrepôts et centres de distribution (…) ; et exploite environ 17.000 magasins dans plus de 50 pays à travers le monde. Cette chaîne de valeur mondiale doit être efficace et rentable, tout en respectant des normes de qualité strictes en ce qui concerne les biens et services. Elle nécessite un large éventail de services, notamment ceux liés à la gestion de la chaîne de valeur et à la gestion et développement des ressources humaines, que ce soit dans l’entreprise elle-même ou en relation avec les fournisseurs et les autres partenaires. Les flux commerciaux qui sont à l’œuvre sont immenses et ils se composent de produits agricoles, de produits manufacturés et de services techniques et de gestion."

Et voici quelques chiffres qui montrent l'importance des échanges de produits intermédiaires dans les exportations réalisées par les différents pays. La barre vert foncé indique la composante "en amont" des chaînes de valeur mondiales : c’est-à-dire la part de la valeur ajoutée étrangère qui est tout d'abord importée, mais qui est ensuite réexportée par une économie. La barre vert clair montre la composante "en aval" des chaînes de valeur mondiales : c’est-à-dire la part des exportations d’un pays qui fera plus tard partie de la valeur ajoutée des exportations d'un autre pays. La somme de ces deux composantes est le "taux de participation aux chaînes de valeur mondiales", c'est-à-dire la part des exportations d'un pays qui est impliquée soit en amont, soit en aval dans la chaîne de valeur mondiale.

GRAPHIQUE 1 Participation aux chaînes de valeur mondiale en 2010

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Et voici une liste par pays :

GRAPHIQUE 2 Taux de participation aux chaînes de valeur mondiales dans les 25 plus grosses économies exportatrices

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La centralité des firmes transnationales dans le commerce international

Les chaînes de valeur mondiales sont généralement coordonnées par les firmes transnationales (FTN), souvent par le biais des IDE dans d'autres pays (ce qui explique pourquoi il est logique de discuter des chaînes de valeur mondiales dans un rapport axé sur les IDE). En fait, une minorité de FMN coordonne et réalise l'écrasante majorité du commerce international, via la possession de filiales à l’étranger, la sous-traitance, la franchise, etc.

"Dans l'UE, les 10 % plus grandes entreprises exportatrices représentent généralement 70 à 80 % du volume des exportations, tandis que ce chiffre s'élève à 96 % du total des exportations pour les États- Unis, où environ 2.200 entreprises (représentant le 1% des plus gros exportateurs, dont la plupart sont des sociétés-mères ou des filiales de FMN) génèrent plus de 80 % du total des échanges. Les réseaux de production internationaux qui sont façonnés par les sociétés-mères et les filiales des FMN représentent une large part des échanges dans la plupart des pays. (…) La CNUCED estime qu'environ 80 % du commerce mondial (en termes d'exportations brutes) est lié aux réseaux internationaux de production des FMN..."

Chaînes de valeur mondiales et développement économique

De toute évidence, grâce aux chaînes de valeur mondiales, les prix à la consommation dans les pays importateurs sont inférieurs à ce qu'ils seraient autrement, ce qui est précisément l’une des raisons pour lesquelles les FMN élaborent de telles chaînes. Celles-ci permettent également aux FMN de générer davantage de profits. Mais les chaînes d'approvisionnement mondiales aident-elles les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire à se développer ? La réponse dépend de plusieurs facteurs.

Est-ce que participer à une chaîne de valeur mondiale permet un apprentissage supplémentaire ? "(…) Est-ce qu’elle permet aux firmes d’acquérir de nouvelles compétences qu’elles pourront ensuite appliquer à la production d'autres biens ou services ? Dans l'industrie du textile, les entreprises mexicaines ont pu acquérir de nouvelles compétences et fonctions et étendre ainsi leur rôle de fournisseurs, alors qu'il semble très difficile pour les entreprises en Afrique subsaharienne qui fournissent des vêtements dans le cadre du programme African Growth and Opportunity Act de faire autre chose que la coupe, la couture et la finition."

(…) La participation aux chaînes de valeur mondiales semble en général favoriser la croissance économique et le développement, mais il y a plusieurs défis (…) en ce qui concerne le traitement des travailleurs, les effets environnementaux, les interactions avec les institutions locales et le gouvernement local, et ainsi de suite. »

Timothy Taylor, « Global supply chains and the changing nature of international trade », in Conversable Economist (blog), septembre 2013. Traduit par Martin Anota


aller plus loin… lire « La fragmentation internationale de la production » et « Pourquoi devenir une multinationale ? »