« Marco Buti et Pier Carlo Padoan ont répondu à la critique que je leur avais adressée dans un précédent billet suite à la publication de leur article sur Vox où ils se demandaient comment stimuler la reprise économique en Europe. Je vois que leur argument est désormais plus équilibré puisqu’ils mentionnent désormais le resserrement de la politique budgétaire comme un possible facteur expliquant la faiblesse de la reprise. Nous sommes peut-être en désaccord sur l'importance de ce facteur (…) Sur la question des réformes, il est difficile d'être en désaccord avec eux sur la nécessité de poursuivre les réformes en Europe. En revanche, on peut s’interroger si ces réformes stimuleront rapidement l’activité et, si ce n’était pas le cas, quel pourrait être le rôle des politiques traditionnelles de gestion de la demande, en l’occurrence les politiques monétaire et budgétaire.

Mais il y a un autre point dans leur article sur lequel nous sommes en désaccord : le rôle de l'incertitude entourant la politique économique. (…) L'une de mes études les plus citées porte précisément sur le rôle que joue la volatilité de la politique budgétaire dans la réduction de la croissance économique (voici un exemple de mes travaux dans ce domaine), donc je suis très ouvert à l'idée que ma volatilité de la politique économique puisse être préjudiciable à la croissance. Mais j'ai toujours été surpris que l'incertitude et la volatilité soient parfois utilisées pour désigner les épisodes où la probabilité d'un mauvais scénario s’élève, ce qui n’est pas tout à fait la même chose que l’accroissement de l'incertitude. Je m'explique.

Lorsque nous parlons de volatilité, nous nous référons à une augmentation de la variance (qui constitue un "moment de second ordre" en statistique, d’où le titre de mon billet), tandis que nous maintenons la moyenne constante (la moyenne est un "moment du premier ordre"). Donc, l'augmentation de l'incertitude et de volatilité ne s'applique qu'aux situations où, en moyenne, nous nous attendons à un résultat similaire, mais désormais avec une probabilité plus élevée qu’un meilleur ou un pire scénario se réalise. Ce que nous avons vu en Europe au cours de la crise est très différent. Buti et Padoan estiment que "l'augmentation sans précédent des risques extrêmes en 2011 et au premier semestre de 2012, lorsque la survie de la zone euro a été fortement remise en question, constitue un choc d'incertitude".

Ce n'est pas (seulement) un choc d'incertitude. La moyenne changeait également. Le scénario moyen en ce qui concernait l'avenir empirait puisque la zone euro était alors vraiment au bord de l’effondrement. Certes, il se pourrait que la variance ait également augmenté, mais le changement de la moyenne était probablement plus pertinent que le changement de la variance. Le fait que l'effondrement de la zone euro ait été désormais possible signifie que nous faisions face à un bien pire scénario futur pour les pays de l'euro (quel que le degré de certitude qui était associé à ce scénario). Et pourquoi la zone euro était-elle sur le point de s'effondrer ? Parce que nous étions au milieu d'une très mauvaise crise. Et qu’est-ce qui rendait cette crise si mauvaise ? Beaucoup de choses, mais l'une d'entre eux était la combinaison de politiques budgétaire et monétaire inappropriées. Donc, est-ce vraiment l'incertitude qui était à l’œuvre ? Non. (…) Il y a des méthodes statistiques pour essayer de séparer chacun de ces facteurs et ainsi mesurer l'incertitude et établir une véritable relation de causalité entre celle-ci et la croissance. Toutefois, lorsque je vois la littérature académique sur ce sujet, j’en conclus que ce n'est pas ce que nous sommes en train de faire et que nous considérons des corrélations et des covariations de variables sans comprendre clairement la variation vraiment exogène dans l'incertitude politique. En fait, cette littérature se contente tout simplement d’inclure les mauvaises nouvelles dans ce qu’elle appelle un "choc d'incertitude". »

Antonio Fatás, « Wait a (second) moment… », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 9 octobre 2013. Traduit par M.A.


aller plus loin... lire « Incertitude et activité économique » et « Le cycle des prix d’actifs permet-il de prédire les récessions ? »