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« Paul Krugman a beaucoup parlé de l’Allemagne ces derniers jours (1, 2, 3, 4, 5, 6). Je pense qu’il est intéressant de voir qu’elles pourraient être les lignes de défense de la position allemande. La première est que les Allemands font ce que tout gouvernement ferait, c’est-à-dire agir dans leur intérêt national. La seconde est qu’(…) ils cherchent à ce que la zone euro n’éclate pas.

Penchons-nous tout d’abord sur l’argument de l’intérêt national. Si la zone euro avait réellement un gouvernement qui prenait des décisions dans l’intérêt de l’ensemble de la zone euro, alors en raison des problèmes que rencontre la politique monétaire de la BCE (…), la politique budgétaire de la zone euro devrait être expansionniste ou, tout du moins, elle ne serait pas restrictive. Le problème est que ceci n’apparaît pas être dans l’intérêt de l’Allemagne, parce que la croissance a été relativement saine en Allemagne, le chômage faible et l’inflation pas si faible que ça. Voici les dernières prévisions de l’OCDE (…) :

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Même s’il n’y a pas à se féliciter de cette performance, cela ne suffit pas pour que les Allemands surmontent la défiance qu’ils éprouvent depuis de longue date à l’idée d’utiliser la politique budgétaire contracyclique. Pourquoi risquer à ce que l’inflation aille au-dessus de 2 % lorsque le chômage est moitié moindre que la moyenne de la zone euro ?

Il est important de souligner qu’il y a un conflit entre les intérêts macroéconomiques de l’Allemagne et de la zone euro dans son ensemble sont en conflit, parce que (…) cela est un argument en faveur de l’unification budgétaire. C’est presque l’équivalent budgétaire de l’argument pour l’union monétaire dans les années quatre-vingt-dix. Avant l’apparition de l’euro, nous avions un quasi système de taux de change fixes où la politique monétaire de la France ou de l’Italie s’est dans les faits soumise à ce que faisait la banque centrale allemande, or la Bundesbank se focalisait sur l’Allemagne. Cette situation devint explosive après l’unification allemande, lorsque la politique monétaire allemande fut resserrée alors même que le reste de l’Europe souffrait d’une faible croissance. Le parallèle n’est pas exact, parce qu’aujourd’hui l’Allemagne ne dicte pas la politique budgétaire en-dehors de l’Allemagne ou, tout du moins, en théorie.

De ce point de vue, les considérations à propos de l’excédent de compte courant allemand sont hors de propos. La politique macroéconomique ne doit pas être utilisée pour gérer les excédents ou déficits de compte courant, mais pour influencer les fondamentaux économiques comme le chômage et l’inflation. En l’absence d’union budgétaire, la politique macroéconomique de l’Allemagne semble justifiée du point de vue allemand.

La seconde défense de la position allemande est que, loin d’agir de façon égoïste, l’Allemagne fournit le financement nécessaire pour maintenir l’unité de la zone euro. Comme Gideon Rachman l’écrit dans le Financial Times, « “(…) les contributions et garanties de prêts allemandes aux divers fonds de renflouement de la zone euro totalisent déjà l’équivalent d’une année entière de budget fédéral en Allemagne ». (…)

Je pense que les deux lignes de défense sont assez puissantes, pourtant je pense qu’elles induisent en erreur. Le problème avec la politique macroéconomique de l’Allemagne n’est pas que celle-ci agi ou non dans son propre intérêt, mais qu’elle se fonde sur un ensemble d’idées discréditées et dangereuses. Il y a en particulier trois mythes qui pourrissent l’élaboration de la politique allemande.

Mythe n° 1 : la crise de la zone euro trouve son origine dans l’irresponsabilité publique des pays périphériques de la zone euro et la crise ne peut être résolue qu’en adoptant une sévère austérité budgétaire pour la corriger.

En réalité, la crise a au moins autant à voir avec les excès du secteur privé que ceux du secteur public.

Mythe n° 2 : Selon une conception antikeynésienne, la politique budgétaire n’a pas à intervenir dans la gestion de la demande agrégée, puisque celle-ci peut sans problèmes être laissée entre les mains de la BCE aussi longtemps que la BCE veille à maintenir l’inflation en-dessous de 2 %.

En réalité, l’argument keynésien contre l’usage de l’austérité budgétaire à la borne inférieure zéro est correct. Les keynésiens affirment aussi avec raison que restaurer la compétitivité dans une union monétaire est bien plus difficile lorsque l’inflation dans le principal pays-membre est faible.

Mythe n° 3 : Pour être indépendantes, les banques centrales ne doivent jamais acheter de dette publique, puisqu’un tel achat serait la preuve d’une dominance fiscale.

En réalité, les gouvernements de la zone euro ont besoin que la BCE agisse (ou tout du moins soit prête à agir) comme un prêteur en dernier ressort souverain pour empêcher que surviennent des paniques autoréalistrices sur les marchés obligataires. L’introduction du programme OMT l’a bien démontré.

Pour voir comment ces mythes ont pourri la politique économique de l’Allemagne, commençons par observer l’assistance que l’Allemagne a fournie à la périphérie. Le Mythe n° 1 l’a amené à se focaliser sur l’austérité budgétaire et à se montrer réticente à l’idée de relâcher la pression dans la mise en œuvre des plans d’austérité (voir mon billet ici ou Krugman). Le Mythe n° 2 signifie que les dommages provoqués par cette austérité sont ignorés et le Mythe n° 3 pousse l’Allemagne à se montrer réticente à l’idée de laisser la BCE intervenir pour réduire les pressions des marchés. En bref, l’argent que l’Allemagne a fourni ou va fournir aurait pu être mieux dépensé. Ironiquement, il aurait été mieux dépensé en Allemagne, puisqu’il aurait alors stimulé la demande domestique et contribué par là accroître l’activité et l’inflation en Allemagne (l’inflation aurait alors été le sacrifice que l’Allemagne aurait eu à faire pour empêcher l’éclatement de la zone euro). Cela aurait été bien plus utile pour aider la périphérie à gagner en compétitivité à un moindre coût. Le Mythe n° 2 empêche l’Allemagne de voir cela, bien que ce soit assez clair dans les simulations QUEST réalisées par la Commission européenne que j’ai commentées ici. (Voir aussi les commentaires que Jan I’nt Veld a tenu suite à mon billet, en particulier en ce qui concerne la vision qu’en a la Commission.) Les besoins de financement de la périphérie auraient été bien moindres si davantage de dette grecque avait été effacée et si la résistance allemande (Mythe n° 3) n’avait pas retardé le programme OMT jusqu’à septembre 2012.

Ces mythes vont aussi à l’encontre des propres intérêts de l’Allemagne. Les Mythes n° 1 et 2, en plus d’avoir conduit à une sévère austérité dans la périphérie de la zone euro, ont aussi mené à une contraction budgétaire dans le cœur (à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’Allemagne, par exemple aux Pays-Bas), ce qui a réduit le PIB allemand et poussé l’inflation sous 2 % cette année. Le Pacte budgétaire européen (…) est une mesure dangereuse qui se fonde sur les Mythes 1 et 2.

Donc le problème n’est finalement pas avec l’Allemagne, mais avec les mythes macroéconomiques qui semblent être si profondément ancrés dans l’élaboration actuelle de la politique conjoncturelle. Je ne pense pas que l’Allemagne ait agi dans son seul intérêt, mais les mythes l’empêchent de voir que ses excédents de compte courant jouent un rôle clé dans le problème et de comprendre pourquoi un peu de surchauffe en Allemagne serait la meilleure solution pour la zone euro dans son ensemble. »

Simon Wren-Lewis, « The real problem with German macroeconomic policy », in Mainly Macro (blog), 4 novembre 2013. Traduit par M.A.


aller plus loin... lire « L'austérité a échoué en zone euro », « L'Allemagne doit-elle réduire ses excédents courants ? (Le tango se danse à deux) » et « Adopter le modèle allemand ou sauver l’euro »