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« Martin Wolf du Financial Times affirme que l'avenir de l'économie mondiale (et plus particulièrement l’avenir des économies avancées) est assombri en raison de la tendance baissière affichée par les taux d'investissement au cours des dernières années, avant même la crise financière n’éclate. J'ai fait des remarques similaires dans mon précédent billet. (…)

C’est un fait que depuis le milieu des années quatre-vingt-dix les taux d'intérêt mondiaux ont amorcé une tendance baissière. Ben Bernanke explique cette tendance dans son discours de mars 2005 : "Durant la dernière décennie, une combinaison de diverses forces a entraîné une augmentation significative de l'offre mondiale d’épargne, un excès mondial d’épargne (global saving glut), et celle-ci explique le niveau relativement faible des taux d'intérêt réels de long terme dans le monde d'aujourd'hui."

Cela peut être facilement représenté dans un graphique standard de demande et d'offre pour le marché mondial des fonds où l'excès d'épargne correspond tout simplement à un déplacement de la courbe d’épargne mondiale (l'offre) vers la droite.

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Ce qui est intéressant avec l'hypothèse d’excès d’épargne est que celle-ci permet non seulement d’expliquer la baisse des taux d'intérêt, mais elle permet également d’expliquer l’accumulation de déséquilibres mondiaux. Une façon simple de représenter cela consiste à séparer le monde en deux blocs : les pays dont l’épargne s’est accrue et le reste du monde. Nous pouvons utiliser à nouveau un simple graphique de demande et d'offre pour représenter ces deux groupes de pays : nous représentons à gauche les pays dont l’épargne a augmenté et le reste du monde à droite. Nous obtenons le graphique suivant :

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Cela montre que nous devons nous attendre, d’une part, à ce que les pays qui augmentent leur épargne affichent un excédent croissant du compte courant et, d’autre part, à ce que les pays où les deux courbes ne sont pas déplacées affichent un déficit croissant du compte courant. Ce cadre simple correspond bien aux données relatives à cette période. L'excédent du compte courant dans des pays comme l'Allemagne, le Japon, les pays producteurs de pétrole, la Chine et d'autres pays émergents d’Asie a augmenté alors que les déficits dans des pays comme les États-Unis, la Grèce, l'Espagne, le Portugal, l'Irlande ou le Royaume-Uni augmentait également. Voici les données (issues des Perspectives de l’économie mondiale du FMI) :

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Mais dans cette histoire, il y a certaines prédictions qui n'ont jamais été testées. En particulier, comme les taux d'intérêt ont baissé, l'investissement aurait dû augmenter au niveau mondial. Si vous regardez les courbes d'épargne et d’investissement ci-dessus, l'investissement aurait dû augmenter dans les pays où l'offre d'épargne se déplaçait ainsi que dans les autres pays. À moins que nous pensions que les taux d'investissement ne dépendent pas des taux d'intérêt nous aurions vu une généralisation accrue de l'investissement dans le monde entier. Avons-nous observé cela ? Non. En fait, dans les économies avancées (y compris aux États-Unis, comme je l'ai montré précédemment), nous avons observé le contraire. Voici un tableau que j'ai construit à partir des données du FMI (issues des Perspectives de l’économie mondiale). J'ai calculé le taux d'investissement global (en % du PIB) pour toutes les économies avancées en pondérant selon la part du PIB de chacun de ces pays (…).

GRAPHIQUE Investissement des pays avancés en % du PIB
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Il y a une claire tendance baissière dans les données. Même si nous ignorons les données d’après-2008, l'expansion dans les années deux mille a été plus faible que celle des années quatre-vingt ou quatre-vingt-dix. Et n'oubliez pas que nous nous attendions à l’exact contraire. La seule façon de faire de ce dernier graphique compatible avec l'histoire de l’excès d’épargne est de supposer qu’au même moment où la courbe de l'épargne se déplaçait vers la droite dans certains pays, la courbe d’investissement s’est également déplacée (cette fois vers l'intérieur) dans d'autres pays.

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Le déplacement de la courbe d'investissement aiderait également à expliquer le moindre taux d'intérêt observé au cours de la décennie. Mais, il pourrait également expliquer pourquoi les taux de croissance (et la performance du marché du travail) sont restées faibles durant l'expansion des années deux mille dans certaines économies avancées. Et étant donné ce que nous avons vu jusqu'à présent lors de l'expansion actuelle, il pourrait être une source supplémentaire de pessimisme pour les années à venir. »

Antonio Fatás, « Saving glut or investment dearth? », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 22 novembre 2013. Traduit par M.A.