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« J'ai enfin lu l’article d’Iván Werning intitulé ”Managing a liquidity trap: Monetary and fiscal policy”. Il prend le modèle nouveau keynésien canonique, y introduit le temps continu et observe quelles seraient les politiques monétaire et budgétaire optimales lorsque l’économie est dans une trappe à liquidité. (Pour être précis, il s’agit d’une période où les taux d'intérêt réels sont supérieurs à leur niveau naturel parce que les taux d'intérêt nominaux ne peuvent pas être négatifs.) (…)

1) La politique monétaire seule. La politique d’engagement optimale à la Krugman-Eggertsson-Woodford (1), qui consiste à générer un boom lorsque l’économie sort de la trappe à liquidité, pourrait (ou non) générer une trajectoire pour l'inflation où l'inflation est toujours supérieure à la cible (ici égale à zéro). Voici un schéma tiré de l'article, où l'écart de production est indiqué par l’axe des ordonnées et l'inflation par l’abscisse et nous représentons l'économie en chaque point du temps. Les points noirs représentent l'économie avec une politique discrétionnaire optimale et les points bleus représentent l’économie avec une politique d’engagement optimale. Dans les deux cas, l'économie finit au point merveilleux où l’écart de production et l’inflation sont nuls.

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Dans cette expérience, les taux d'intérêt réels sont supérieurs à leur niveau naturel (ou, autrement dit, la trappe à liquidité dure) pendant T périodes et tout ce qu’il y a après ce choc est connu. Avec une politique discrétionnaire, la production et l'inflation sont trop faibles aussi longtemps que l’économie est dans la trappe à liquidité. Dans ce cas, la production commence à 11 % en dessous de son niveau naturel et l'inflation est inférieure de 5 %. La politique d'engagement optimale crée un écart de production positif après la période de trappe à liquidité (c’est-à-dire après T). L'inflation dans la courbe de Phillips nouvelle keynésienne correspond à l'intégrale des futurs écarts de production, si bien que l'inflation pourrait être positive immédiatement après le choc : ici c’est zéro. Au fur et à mesure que nous avançons dans le temps, certains écarts de production négatifs disparaissent de l'intégrale et ainsi l'inflation augmente.

Il est logique, comme le suggère Iván Werning, de se concentrer sur l'écart de production. (…) La politique optimale doit impliquer un écart de production initial qui soit négatif, suivi par un écart de production positif, mais l'inflation n’a pas à être nécessairement négative à un moment ou à un autre.

Il y a d'autres conséquences. Bien que la politique d'engagement optimal consiste à créer un écart de production positif dans l'avenir, ce qui implique le maintien de taux d'intérêt réels en dessous de leur niveau naturel pendant une période après T, comme l'inflation est plus élevée, alors les taux nominaux pourraient être plus élevés. Par conséquent, à tout moment, le taux nominal d'une obligation pour un horizon suffisamment éloigné pourrait également être plus élevé (page 16).

2) Ajoutons la politique budgétaire. Iván Werning considère les dépenses du gouvernement comme un instrument budgétaire. Il fait une distinction intéressante entre les variations « opportunistes » et les variations « expansionnistes » dans les dépenses publiques, mais je n’en ai pas besoin pour ce qui suit, alors j'espère que j’y reviendrai dans un prochain billet. Ce que je n'avais pas pris en compte, c'est que la trajectoire optimale pour les dépenses publiques pourrait impliquer une période prolongée où les dépenses publiques sont plus faibles (c’est-à-dire inférieures à leur niveau naturel). Voici un autre schéma tiré de l'article :

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La ligne bleue représente la politique d'engagement optimale sans aucune action budgétaire : c’est la même trajectoire que dans le schéma précédent. La ligne rouge représente la trajectoire de la production et de l’inflation avec les dépenses publiques optimales et la ligne verte représente la trajectoire de l'écart de consommation plutôt que l'écart de production dans ce second cas. La différence verticale entre les lignes rouge et verte est ce qui se passe avec les dépenses publiques. D’une part, utiliser la politique budgétaire permet une nette amélioration. Nous avons besoin de beaucoup moins d'inflation excessive et l'écart de production est toujours plus petit. D’autre part, bien que les dépenses publiques soient initialement positives, elles deviennent négatives lorsque l'écart de production est lui-même positif, c’est-à-dire au-delà de T. Pourquoi ?

Notre intuition initiale pourrait être que les dépenses publiques devraient simplement "combler le fossé" généré par la trappe à liquidité, ce qui nous donnerait un écart de production nul. Il n'y aurait alors pas besoin d'une politique monétaire expansionniste après l'écart : la politique budgétaire pourrait complètement stabiliser l'économie lorsque celle-ci est dans la trappe à liquidité. Cela nous entraînera une baisse des dépenses publiques parce que l'écart lui-même se resserre. (…) Cette intuition n'est pas correcte, en partie parce que l'utilisation de l'instrument de dépenses publiques a un coût : nous nous éloignons de l'allocation optimale des biens publics. Donc, la politique budgétaire ne domine pas (c’est-à-dire, ne rend pas moins nécessaire) la politique monétaire à la Krugman-Eggertsson-Woodford et la politique optimale impliquera une combinaison des deux. Cela signifie que nous aurons, avec une politique d'engagement optimale, une période après la trappe à liquidité où il y aura un écart de consommation positif.

Le bénéfice apporté par l'écart de consommation positif après la trappe à liquidité (et le taux réel inférieur qui lui est associé), c’est qu'il augmente la consommation dans période de trappe à liquidité par rapport à ce qu'elle aurait été sinon. Le coût, c’est une plus forte inflation après que l’économie soit sortie de la trappe à liquidité. Mais l'inflation dépend de l'écart de production, pas seulement de l'écart de consommation. Donc, nous pouvons arbitrer en réduisant les dépenses publiques une fois que l’économie est sortie de la trappe à liquidité.

(…) Même avec la politique monétaire (d’engagement) la plus optimiste, la politique budgétaire a un rôle important à jouer dans une trappe à liquidité. Ceux qui croient encore que l'activisme monétaire est la seule chose dont nous avons besoin pour sortir d’une trappe à liquidité doivent être en train d’utiliser un cadre différent. Deuxièmement, les gains associés à la mise en œuvre de la politique d'engagement sont larges. Pourtant, les banques centrales semblent partout essayer essayant de suivre une politique discrétionnaire, plutôt qu’un politique d'engagement : on ne discute pas de l’éventualité de rendre l'écart de production positif lorsque nous serons sortis de la trappe à liquidité et les règles qui pourraient imiter la politique d'engagement ne sont pas à l’ordre du jour (2). Je me demande si les macroéconomistes dans vingt ans se pencheront sur cette période avec la même perplexité que nous lorsque nous nous penchons sur la politique monétaire du début des années trente ou des années soixante-dix.

(1) Paul Krugman, « It’s baaack! Japan’s slump and the return of the liquidity trap », Brookings Papers on Economic Activity, 1998. Gauti B. Eggertsson et Michael Woodford, « The zero bound on interest rates and optimal monetary policy », Brookings Papers on Economic Activity, 2003.

(2) Permettre à l'inflation de s’élever un peu au-dessus de la cible lorsque l'écart de production est encore négatif est tout à fait compatible avec suivre une politique discrétionnaire. Je pense que certaines personnes croient que les autorités monétaires aux États-Unis pourraient avoir l'intention de suivre la stratégie Krugma-Eggertsson-Woodford, mais comme tout l'intérêt de cette stratégie repose sur l'influencer les anticipations, garder cela secret serait pire qu’inutile. »

Simon Wren-Lewis, « Werning on liquidity trap policy », in Mainly Macro (blog), 29 décembre 2013. Traduit par Martin Anota


aller plus loin… lire « Comment les économies basculent dans une trappe à liquidité (et comment elles peuvent en sortir) » et « La stratégie de forward guidance »