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« La récession au Royaume-Uni : non seulement elle a été provoquée par les banques, mais elle est peut-être aussi entretenue par ces dernières. Ce que je veux faire ici, c’est voir pour quelles raisons nous avons basculé en récession et ce qui s'est passé ces cinq dernières années pour déterminer si cela aura des implications sur le type de reprise que nous sommes susceptibles d’avoir.

(…) Il y a trois étapes dans une reprise après une récession. La première consiste à renouer de nouveau avec la croissance économique. La deuxième étape consiste à générer suffisamment de croissance économique pour commencer à récupérer le terrain perdu lors de la récession. Pour cela, la croissance annuelle doit dépasser 3 % et non pas se maintenir à 1 % ou 2 %. Nous ne sommes pas encore à la deuxième étape. La troisième étape consiste à maintenir cette forte croissance suffisamment longtemps pour récupérer l'essentiel du terrain que nous avons perdu dans la récession. Les récessions ne sont jamais une bonne chose, mais nous pouvons encore espérer qu’elles nous appauvrissent quelques années, peut-être une décennie, mais pas de façon permanente.

Par le passé, les récessions au Royaume-Uni (au début des années quatre-vingt et durant les années quatre-vingt-dix) ont été provoquées par des gouvernements qui cherchaient à réduire l'inflation. Ils ont relevé les taux d'intérêt, ce qui a fait très rapidement refluer l'inflation, si bien qu’ils ont pu rapidement inverser le processus. Nous avons eu des reprises assez rapides qui nous ont permis de récupérer une grande partie du terrain perdu pendant la récession. La dernière récession a été différente. Elle a été provoquée par les banques et non par les gouvernements. Les banques se sont hypertrophiées, si bien qu’elles se sont effondrées quand un montant relativement modeste des prêts a mal tourné. Oubliez toutes les choses que vous entendez suggérant que la récession a été provoquée par l’endettement irresponsable du gouvernement : ce n'est tout simplement pas vrai. (…) A moins que vous habitiez en Grèce, c'est un non-sens.

La récession a été provoquée par les banques, mais elle a été aggravée par l'austérité budgétaire. Au Royaume-Uni, l'économie avait atteint la première étape en 2010, mais ces progrès ont été balayés lorsque les gouvernements du Royaume-Uni et la zone euro ont commencé à augmenter les impôts et à réduire les dépenses publiques. L'Office for Budget Responsibility (OBR), l’institut indépendant mis en place par le gouvernement en place, estime que, depuis 2010, la production du Royaume-Uni a été chaque année inférieure de 1,5 % à ce qu’elle aurait été si le gouvernement britannique n’avait pas imposé l'austérité (…). La Commission européenne a calculé que le PIB de la zone euro en 2013 est inférieur de 4,5% à ce qu’il aurait été s’il n’y avait pas eu de mesures d’austérité depuis 2011. Et ces dernières ont eu également un grand impact sur le Royaume-Uni.

Ceci a plusieurs implications pour la reprise. Enfoncez l'économie avec l'austérité, nos modèles économiques standards vous diront que qu’elle rebondira après quelques années. Plus forte est l'austérité, plus fort sera le rebond. La raison en est que ces policiers ou fonctionnaires licenciés trouveront finalement un emploi ailleurs et commenceront à produire quelque chose d'autre. Donc, pour cette seule raison, une fois la reprise amorcée, elle pourrait être assez vigoureuse. Bien sûr, cela ne signifie pas que l'austérité était une bonne idée. Avec l’austérité, la première étape a été retardée de trois ans. Mais en termes de deuxième étape, cela pourrait signifier que la reprise sera plus forte une fois qu’elle sera là.

Mais la question vraiment importante est celle de la troisième phase, celle consistant à rattraper le terrain que nous avons perdu. Et ici, nous devons nous pencher sur une autre particularité de la récession au Royaume-Uni : l'emploi a beaucoup mieux résisté que la production. Maintenant, même si ça peut paraître une bonne chose (et ça l’est bel et bien à court terme), ce n’est pas sans importer quelques problèmes. La différence entre la production et l'emploi est la productivité du travail, ce qui signifie que la croissance de la productivité du travail s'est effondrée durant la récession. Or, les salaires réels ont tendance à évoluer avec la productivité du travail, ce qui explique en grande partie pourquoi le niveau de vie a tant décliné au Royaume-Uni.

Personne ne sait vraiment pourquoi la croissance de la productivité a ralenti. Or c’est une question importante, parce que si ce ralentissement de la croissance de la productivité est permanent, l'économie peut risque de ne pas rattraper une grande partie du terrain perdu lors la récession. Nous n’atteindrons pas la troisième étape et nous serons tous plus pauvres de façon permanente.

Par conséquent, répondre à l'énigme de la productivité est la clé pour déterminer quel type de reprise nous allons avoir. Mon soupçon, partagé par d'autres à la Banque d'Angleterre et ailleurs, c'est qu’une partie de la réponse réside là où la récession a commencé : avec les banques du Royaume-Uni. Les prêts bancaires aux entreprises sont importants pour augmenter la productivité, car ils permettent aux entreprises productives de s’étendre (sur le territoire domestique et à l'étranger) et aux nouvelles entreprises de remplacer les entreprises plus anciennes, qui sont moins efficaces. Ainsi, lorsque le crédit bancaire s'est effondré lors de la récession, la productivité s'est effondrée. Si les banques prêtaient à nouveau à ces entreprises plus productives (mais aussi plus risquées), nous pourrions être en mesure de rattraper une bonne partie du terrain perdu.

Alors, comment résoudre le problème bancaire ? Pour être honnête, je ne sais pas, mais je vais vous faire part d’une inquiétude. Les banquiers aiment prétendre qu'ils font tant d'argent car ils en font beaucoup pour l'économie. Il y a très peu de preuves empiriques pour soutenir cette idée. En revanche, les études empiriques suggèrent qu'ils font de l'argent pour deux raisons. La première est ce que les économistes appellent la recherche de rente (rent seeking), qui consiste essentiellement à faire de l'argent sur le dos des autres. Quand c’est illégal, nous en entendons parfois parler, mais je soupçonne que c’est endémique.

La deuxième façon par laquelle les banques font beaucoup d'argent, c’est en prenant des risques. Lorsque ces prises de risques deviennent excessives, les gouvernements interviennent pour renflouer les banques. Elles sont récompensées lorsque le risque paye, nous payons la note dans le cas contraire. En effet, le secteur public offre une énorme subvention au secteur bancaire, d’un montant égal aux bénéfices que ce dernier réalise, et une grande partie de ces bénéfices partent sous forme de bonus. Ce serait beaucoup mieux pour tout le monde si l'argent versé sous forme de primes était plutôt utilisé pour recapitaliser les banques, pour qu’elles puissent prêter à nouveau aux entreprises innovantes. Donc, ce devrait être une bonne nouvelle que l'UE ait l'intention de mettre un plafond, même très modeste, sur les bonus des banquiers. Que fait le gouvernement du Royaume-Uni ? Il attaque Bruxelles en justice pour tenter d’empêcher ce plafonnement.

Donc, c'est une récession provoquée par les banques et il existe un réel danger qu’en raison du pouvoir que les banques ont sur les gouvernements (et sur ce gouvernement en particulier), nous ne récupérerions jamais le terrain que nous avons perdu. »

Simon Wren-Lewis, « Stages of economic recovery in the UK », in Mainly Macro (blog), 22 novembre 2013. Traduit par M.A.


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