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« Les plus récentes données que nous disposons en comptabilité nationale datent du troisième trimestre 2013. Entre le quatrième trimestre 2012 et le troisième trimestre 2013, le PIB réel a augmenté de 2,1 % (…). Ce n’est pas un grand chiffre, mais nous avons tout de même trois trimestres consécutifs de croissance solide, chose que nous n'avions pas vue depuis 2007. Alors, d'où vient cette croissance ? La bonne nouvelle, c’est que l’investissement au cours de cette même période a augmenté de 4 %. (...) Entre le quatrième trimestre 2012 et le troisième trimestre 2013, l'investissement des entreprises a augmenté (de 2,7 %), l'investissement public a stagné (augmentant de seulement 0,5 %), mais l'investissement immobilier a augmenté de 8 %. La mauvaise nouvelle, c’est que les exportations n'ont augmenté que de 0,1 %. Enfin, la consommation publique a augmenté de 1 %. Plus de la moitié de la croissance du PIB s’explique par une hausse de 1,8 % des dépenses de consommation. Ce n’est pas énorme, mais c’est significatif, car ça représente une forte baisse du taux d'épargne, comme le graphique ci-après le montre :

GRAPHIQUE Taux d'épargne au Royaume-Uni (en %)

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La forte hausse du taux d'épargne depuis 2009 a joué un rôle majeur dans la récession. La reprise cette année s’explique en grande partie par le fait que le taux d'épargne a commencé à baisser. Nous devons être prudents ici, parce que les données sur le taux d'épargne sont régulièrement sujettes à révision. Cependant, si nous regardons la principale composante du revenu, en l’occurrence les salaires, celle-ci a augmenté de 3,4 %, alors que la consommation nominale a augmenté de 4,4 %, ce qui suggère que l'épargne a bel et bien diminué.

Donc, la reprise à ce jour est essentiellement due à une réduction du taux d’épargne et à un accroissement de l’endettement, avec une contribution mineure de l'investissement dans l’immobilier (construction de logements). Comme le suggère Duncan Weldon, le programme Funding for Lending peut avoir joué un rôle important ici. Cependant, il se peut aussi que ce soit simplement la fin d'un ajustement de bilans, les ménages ayant enfin ramené leur dette et leur épargne à un niveau qu’ils considèrent comme plus approprié suite au krach financier.

Je ne peux m'empêcher de rappeler quelque chose que j'ai déjà dit à ce propos. La macroéconomie s’est vue reprocher de ne pas avoir prévu la crise financière (…). Mais ce que l’on peut vraiment reprocher à la macroéconomie, c’est de ne pas avoir idée de la proportion des ménages qui est soumise à des contraintes de crédit et ce qui pousse les autres à accumuler une épargne de précaution (…). C'est pourquoi personne ne savait vraiment quand le taux d'épargne commencerait à diminuer et personne ne sait vraiment quand il cessera de diminuer.

Certaines personnes ont affirmé que nous devrions nous méfier de cette reprise parce qu’elle se traduit précisément par une baisse de l’épargne et un surcroît d’endettement de la part des ménages. Certaines inquiétudes sont justifiées. L’une des craintes est que le marché immobilier, stimulé par le programme Help to Buy, connaisse la formation d’une nouvelle bulle et que beaucoup de gens se retrouveront à nouveau sur le carreau. Une autre crainte est que certains ménages croient à tort que les taux d'intérêt resteront à jamais à de faibles niveaux et qu’ils ne soient alors pas en mesure de supporter leur hausse. Toutefois, (…), c’est précisément en incitant les gens à dépenser plus et à épargner moins que la politique monétaire parvient à stimuler l'économie. Donc, si nous voulons une reprise, dans un contexte où le gouvernement ne cherche pas à relancer l’économie et où l'Europe reste déprimée à cause des plans d’austérité, c’est précisément ainsi que nous pouvons l’obtenir. (En théorie, cela aurait pu se produire via une forte hausse de l'investissement. Cependant, comme le suggèrent les études empiriques et l'expérience même de la récession, l'investissement est fortement influencé par la croissance de la production. Cela explique pourquoi l'investissement n'a pas été stimulé par les faibles taux d'intérêt et pourquoi les entreprises disent que ce n’est pas le manque de financement qui les retient d’investir. Cela dit, j'aurais préféré que le gouvernement essaye des incitations fiscales pour stimuler l'investissement plutôt que de mettre en œuvre des mesures visant à augmenter les prix de l'immobilier.)

Cependant, l’un des problèmes qui se pose lorsque la reprise s’explique par une baisse du taux d'épargne, c’est que le taux d'épargne ne va pas diminuer indéfiniment. Dès l’instant où il cessera de baisser, la croissance de la consommation va correspondre à la seule croissance des revenus. Il faut espérer que le taux d’épargne baisse suffisamment longtemps pour inciter les entreprises à investir davantage et que la zone euro renoue avec la croissance pour que les exportations puissent augmenter. Mais la grande inconnue reste la productivité. Jusqu'à présent, la reprise de la croissance ne semble pas avoir été accompagnée d’une reprise de la productivité. À court terme, c’est une bonne chose, car la stagnation de la productivité réduit le chômage, mais si cette stagnation se poursuit, elle se traduira par une faible progression des salaires réels, ce qui conduira à un ralentissement de la croissance de la consommation.

Il y a un superbe ensemble de graphiques sur le blog Flip Chart Fairy Tales qui illustre l'ampleur du problème de la productivité. (…) Par exemple, l’Office for Budget Responsibility (OBR) s’attendait en novembre 2010 à ce que les salaires réels en 2015 soient supérieurs de 10 % au niveau qu’il anticipe désormais (…). Nous ne récupérerons pas le terrain perdu avec la récession tant que la croissance de la productivité ne dépassera pas sa moyenne d'avant-crise. Comme le suggère également Martin Wolf, le chancelier devrait se concentrer sur les raisons pour lesquelles la productivité ralentit au Royaume-Uni, plutôt que d’être obsédé par le déficit public. »

Simon Wren-Lewis, « Some notes on the UK recovery », in Mainly Macro (blog), 22 décembre 2013.