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« Gavyn Davies, dans le Financial Times, fait part du pessimisme croissant des banques centrales en ce qui concerne le potentiel de croissance dans les économies avancées. Aux Etats-Unis, en zone euro ou au Royaume-Uni, les banques centrales réduisent leurs estimations de l’écart de production (output gap). Elles considèrent désormais qu’une part des récentes pertes en production est permanente et non pas simplement conjoncturelle.

Si la production n’est pas très loin de ce que l’on considère être le potentiel, il est moins nécessaire que les banques centrales agissent et il est plus probable que celles-ci normalisent plus rapidement leur politique monétaire vers une position neutre.

Pourquoi ont-elles changé d’avis ? Est-ce que les données empiriques sont cohérentes avec les modèles économiques de base que nous utilisons pour réfléchir aux dynamiques cycliques ?

Mesurer la production potentielle ou la faiblesse dans l’économie a toujours été un défi. On peut seulement s’appuyer sur des modèles qui capturent les facteurs conduisant la production potentielle (tels que le stock de capital, la productivité ou la démographie) ou nous pouvons observer des indicateurs plus spécifiques des capacités inutilisées, comme l’utilisation des capacités ou le taux de chômage.

Les mesures étroites des capacités inutilisées signalent une réduction potentiellement permanente de la production. Par exemple, les taux de chômage, en particulier aux Etats-Unis, sont en baisse. L’utilisation des capacités se rapproche aussi des niveaux que l’on peut considérer comme proches de la normale. Par exemple, dans son récent rapport sur l’inflation, la Banque d’Angleterre écrit que "les enquêtes suggèrent que la marge de capacités inutilisée dans les sociétés s’est resserrée en 2013, si bien que les sociétés opèrent en moyenne à proximité des niveaux normaux de l’utilisation des capacités".

Mais deux de ces mesures, bien qu’elles puissent effectivement rendre compte des capacités inutilisées à court terme, se révèlent très problématiques comme indicateurs de croissance potentielle. Dans le cas du chômage, l’une des principales raisons pour lesquelles il diminue aux Etats-Unis, c’est la baisse du taux d’activité. Mais certains de ces changements permanents dans la force de travail sont la conséquence d’une longue récession. Certaines preuves empiriques suggèrent que les chômeurs de longue durée aux Etats-Unis abandonnent et qu’ils quittent la vie active à un rythme croissante. Un argument similaire peut être fait à propos de l’utilisation de la capacité : il se peut que nous soyons proche des niveaux d’utilisation normaux des capacités, mais celles-ci sont-elles à un niveau normal ? Une longue période de faibles taux d’investissement va naturellement conduire à de plus faibles capacité. C’est l’inverse de la loi de Say : la demande crée sa propre offre (en l’occurrence, l’investissement, en réagissant à la conjoncturelle, génère des capacités). Il y a quelques années, j’avais écrit un article avec un modèle et des données empiriques en faveur de cette hypothèse.

Mais deux de ces arguments vont dans le même sens : les cycles d’affaires peuvent laisser des cicatrices permanentes (ou tout du moins très persistantes) sur la production à travers les effets qu’ils ont sur le stock de capital ou la main-d’œuvre. Mais il est important de comprendre que les effets permanents sont la conséquence de la récession elle-même. Si nous pouvions réduire la longueur et la profondeur des récessions, nous minimiserions ces effets permanents. En ce sens, accepter l’idée que ces changements sont structurels et inévitables, c’est faire preuve d’un pessimisme excessif ; cela mène à l’inaction et aggrave tout simplement les choses. Si vous lisez les preuves empiriques correctement, vous voudriez faire l’opposé, vous voudriez être plus agressif pour éviter que les récessions soient plus coûteuses. »

Antonio Fatás, « The permanent scars of economic pessimism », in Antonio Fatás on the World Economy (blog), 13 février 2014.


aller plus loin... lire « La crise a-t-elle réduit la croissance potentielle ? » et « Croissance potentielle et cycle financier : Hamlet retrouve le prince »