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« L'une conséquence durable de la Grande Récession a été que le problème du chômage de long terme touche désormais l'économie américaine. Alan B. Krueger, Judd Cramer et David Cho présentent des données empiriques et une analyse saisissante dans leur "Are the long-term unemployed on the margins of the labor market?" présenté à la conférence du printemps du Brookings Panel on Economic Activity qui vient de s'achever. Pour avoir une idée du problème, voici un couple de graphiques saisissants tirés de l’étude de Krueger, Cramer et Cho. Décomposez les chômeurs en trois groupes : ceux au chômage pendant 14 semaines ou moins, les chômeurs de 15 à 26 semaines et les chômeurs de plus de 26 semaines. A quoi les dynamiques ressemblent-elles, que ce soit au cours du temps ou dans la plus récente période ?

GRAPHIQUE 1 Taux de chômage aux Etats-Unis selon la durée (en % de la population active)

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Quelques dynamiques apparaissent ici :

1) Au cours des 65 dernières années, le taux de chômage de court terme, c’est-à-dire de 14 semaines ou moins, a été plus élevé que le taux de chômage de moyen ou long terme. Mais juste après la Grande Récession, le taux de chômage de long terme a tant augmenté qu'il a dépassé le taux de chômage de court terme.

2) Au cours des 65 dernières années, le taux de chômage de moyen terme pour les personnes sans emploi de 15 à 26 semaines s’est déplacé d'une manière assez similaire et à un niveau similaire que le taux de chômage de long terme pour les personnes sans emploi depuis plus de 26 semaines. Mais après la Grande Récession, le taux de chômage de longue durée s’est fortement éloigné du taux de chômage de moyen terme.

3) En outre, notez que, juste après la Grande Récession, le chômage de longue durée continuait à augmenter alors que les taux de chômage de court et moyen termes avaient déjà atteint un sommet et commençaient à baisser. 4) Le taux de chômage de court terme est maintenant inférieur à la moyenne d'avant la récession pour les années 2001-2007. Le taux de chômage de moyen terme est presque de retour à sa moyenne d'avant la récession. Le taux de chômage de long terme, même s’il a diminué au cours des derniers mois, est toujours proche de son maximum pour la période 1948-2007.

Ce résultat est troublant pour de multiples raisons. Krueger, Cramer et Cho présentent des preuves empiriques montrant que la plus récente vague de chômeurs de long terme s’est détachée du marché du travail : ils ont une chance très réduite de retrouver un emploi, peu d'effet sur les hausses salariales et, s'ils trouvent un emploi, ils sont susceptibles de retourner bientôt au chômage. Un résumé de l’étude indique que "le taux de chômage de court terme est un prédicteur beaucoup plus fort de l'inflation et de la croissance des salaires réels que le taux de chômage global aux États-Unis. Même au cours des bons moments, les chômeurs de longue durée sont en marge du marché du travail, avec de moindres perspectives d’emploi et des taux de retrait de la main-d'œuvre plus élevés et, par conséquent, ils exercent peu de pression sur la croissance des salaires ou sur l'inflation. Même après avoir trouvé un autre emploi, le réemploi ne remet pas entièrement les pendules à l’heure pour les chômeurs de longue durée, qui sont souvent de nouveau sans emploi peu de temps après qu'ils aient été réembauchés : seulement 11 % de ceux qui étaient chômeurs de longue durée au cours d’un mois donné sont retournés à un emploi à temps plein stable un an plus tard. Les chômeurs de longue durée sont répartis dans tous les coins de l'économie, avec une majorité précédemment employée dans les emplois de ventes et de services (36 %) et des emplois de cols bleus (28 %)".

Pour moi, l'un des graphiques les plus troublants représente le taux de chômage de long terme dans plusieurs pays à revenu élevé. Le graphique montre la part des chômeurs d’un pays que l’on peut qualifier de chômeurs de longue durée, soit la part des chômeurs qui ont été sans emploi pendant plus de six mois.

GRAPHIQUE 2 Taux de chômage de long terme dans certains pays développés (en % du chômage total)

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Dans les économies américaine et canadienne, les chômeurs de long terme représentaient historiquement peut-être 10-20 % du chômage total. Pendant ce temps, dans des pays comme l'Italie, l'Allemagne ou la France, le chômage de long terme s’élevait souvent à 60-70 %, voire plus, du chômage total. Ce que signifie fondamentalement être "chômeur" est assez différent, selon que l'expérience du chômage est habituellement assez courte ou habituellement assez longue. Aux États-Unis, la part des chômeurs qui sont au chômage de long terme n'a pas encore atteint le niveau observé dans ces autres pays avancés. Mais l'expérience de ces dernières suggère que lorsque la proportion de chômeurs qui est à long terme au chômage est très élevée, cette situation peut persister pendant des décennies.

Je ne sais pas exactement quelles politiques fonctionneront le mieux pour ramener les chômeurs de longue durée dans la population active. Mais la Suède et le Canada, pour prendre deux exemples présents sur le graphique, ont apparemment rencontré un certain succès. Mais on peut craindre que les approches précédemment adoptées aux Etats-Unis pour lutter contre le chômage ne soient pas bien adaptées pour le chômage de longue durée qui a émergé après la Grande Récession. »

Timothy Taylor, « Long-run unemployment arrives in the U.S. economy », in Conversable Economist (blog), 24 mars 2014. Traduit par Martin Anota.


aller plus loin... lire « Le taux de chômage naturel, un concept suranné »