Parade of the SS Guard, the Nazi elite, at a Party rally in Nure

« Lorsque nous avons repris les travaux de David Laitin pour expliquer pourquoi le nationalisme basque est devenu violent, mais pas le nationalisme catalan, nous avons souligné que cela s'expliquait en partie parce que le pays basque possède le type de capital social "horizontal" ou "liant" (bonding) qui, selon Robert Putnam et ses collaborateurs dans leur célèbre ouvrage Making Democracy Work, aurait joué un rôle crucial pour promouvoir la démocratie et la bonne gouvernance.

Dans l’étude que nous avons réalisée avec Tristan Reed sur la politique de la chefferie suprême en Sierra Leone et dont nous avons parlé l'année dernière, nous avons trouvé un grand nombre de faits empiriques qui nous ont amenés à être sceptiques à ce sujet. En Sierra Leone, les données empiriques suggèrent que peu importe comment vous mesurez le capital social, il est négativement corrélé avec les institutions politiques locales moins responsables et le développement économique.

Un autre puissant exemple des inconvénients du capital social est fourni par la récente étude "Bowling for fascism: Social capital and the rise of the Nazi party in Weimar Germany, 1919-33" réalisée par Shanker Satyanath, Nico Voigtländer et Hans- Joakim Voth. Les auteurs ont recueilli des données sur la mesure du capital social en Allemagne dans les années vingt, tel qu’il est mesuré par la "densité de la vie associative", c’est-à-dire la présence de différents groupes sociaux tels que les clubs sportifs, les chorales, les associations d'élevage d'animaux ou les clubs de gymnastique Leur mesure du capital social dans une ville correspond au nombre total de ces associations pour 1000 habitants. Ils montrent que le parti nazi s’est développé le plus rapidement en termes d'adhésion et il a également enregistré le plus de votes totaux là où le capital social est le plus important. L'histoire montre que, comme l'ETA au Pays basque, le parti nazi était très habile pour exploiter les possibilités offertes par le capital social pour recruter de nouveaux membres.

Une conclusion à tirer de tout ce travail n'est pas que Putnam avait tort. En effet, ses arguments sont plausibles en ce qui concerne l'Italie et les analyses empiriques ont en tendance à les soutenir (c’est par exemple le cas de l’étude "Long-term persistence" réalisée par Luigi Guiso, Paola Sapienza et Zingales Luigi). Plutôt, la bonne conclusion serait que l'impact du capital social est très hétérogène et dépend fondamentalement de la façon par laquelle il interagit avec d'autres aspects des institutions et politiques d'une société. Satyanath, Voightlander et Voth retrouvent un peu de cette idée, car ils montrent qu’en Prusse, un pays qui avait des institutions plus fortes, la relation entre le capital social et la montée du parti nazi était beaucoup plus faible. Ils en concluent que leurs "résultats suggèrent que des institutions fortes et inclusives peuvent garder le côté sombre du capital social sous contrôle".

C’est agréable à entendre, même si évidemment ce n'est pas seulement des institutions inclusives qui ont permis de garder sous contrôle le côté sombre du capital social, puisque l'État prussien des années vingt qui a contrôlé ce type de capital social était loin d'être inclusif. De toute évidence, le mystère du capital social n’est pas résolu. »

Daron Acemoglu et James Robinson, « The benefits of social capital? Bowling for Hitler », in Why Nations Fail (blog), 11 mars 2014. Traduit par Martin Anota