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« La conférence de presse tenue hier par Mario Draghi a de nouveau entretenu la confusion sur ce que la BCE a l'intention de faire. Peut-être que ce qu'il a appelé un consensus unanime au sein du conseil de la BCE n'est pas vraiment là. Ou peut-être qu’il n’y a consensus que sur l’idée qu’il y a des risques des deux côtés, que les données ne sont pas suffisamment claires, qu’elles peuvent être interprétées d’innombrables manières et qu’en l'absence de certitude il est préférable de ne pas agir.

Ses réponses ressemblaient à la parodie parfaite d'un économiste qui joue systématiquement la sécurité en commençant par un argument et affirmant ensuite que "d'autre part" nous pourrions aussi dire le contraire. En voici le meilleur exemple : "Ma plus grande crainte est (…) celle d’une stagnation prolongée, c’est-à-dire plus longue que ce que nous avions postulé dans notre scénario de base. À l'heure actuelle, c’est est assez grave, avec des niveaux de chômage qui (…) sont très élevés. Et plus le chômage persiste, plus il est susceptible de devenir structurel, c’est-à-dire beaucoup plus difficile à réduire via des mesures conventionnelles. Voilà ma plus grande peur et c'est pourquoi la politique monétaire est importante, mais ce n'est pas la seule chose. Pour répondre à cette crainte, il faut un ensemble complexe de politiques et, comme nous le soulignons toujours, les réformes structurelles viennent en premier, car la plupart des problèmes de la zone euro sont de nature structurelle".

Donc sa plus grande crainte est que le chômage conjoncturel se transforme en chômage structurel, donc je suppose que cela signifie que la BCE est prête à agir pour faire en sorte que cela ne se produise pas. Attendez ! Pas si vite, parce que sa plus grande crainte est que la politique monétaire est importante, mais pas aussi importante que les réformes structurelles qui sont la première priorité. Donc je suppose que tout le chômage conjoncturel s’est transformé en chômage structurel et qu’il est trop tard pour agir.

Et il reconnaît que la faible inflation est mauvaise et qu’elle est inférieure à l'objectif de la BCE. Mais une inflation faible peut aussi être bonne. "Il y a aussi des aspects positifs (associés à la faible inflation) dans le sens où elle soutient le revenu disponible réel, en particulier de ceux qui ont un revenu nominal fixe." Argument intéressant pour justifier une inflation faible (devrions-nous abaisser la cible d'inflation ?).

Et même si l'inflation est faible, elle n'est pas totalement sous le contrôle de la BCE. "Elle s’explique par des facteurs exogènes. En fait, si vous regardez quel est le taux d'inflation dans d'autres pays, par exemple aux États-Unis, où ils sont beaucoup plus avancés dans leur reprise que nous le sommes, ou en Suède, vous pouvez voir que la faible inflation s’explique en grande partir par des facteurs mondiaux".

Oui, l'inflation aux États-Unis est également faible, mais les mots et les actions de Janet Yellen sont très différents de celles de Draghi. Elle ne se contente pas de trouver des arguments pour expliquer pourquoi l'inflation est faible : elle est déterminée à la faire revenir à sa cible.

Donc je suppose que nous sommes partis pour une "stagnation prolongée". Nous allons attendre le chiffre de l'inflation d’avril que Draghi pense plus élevé que celui de mars. Et, s’il ne l'est pas, la BCE continuera à se rassurer à l’idée que les anticipations d'inflation à long terme sont encore ancrées. Ce que la BCE montre ces jours-ci, c'est que son obsession de l'inflation est encore pire que ce que nous pouvions penser. Il est difficile d'imaginer à quel point les chiffres de l’inflation doivent être faibles pour que la BCE prête enfin une certaine attention à son mandat. »

Antonio Fatás, « The many hands of Mario Draghi », in Antonio Fatás on The Global Economy (blog), 3 avril 2014. Traduit par Martin Anota


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