« Lorsque je me suis récemment entretenu avec des personnes qui s’intéressent de près à la politique monétaire au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, mais aussi avec des personnes qui participent à la mise en œuvre de cette politique, je me suis rendu compte qu’il y a une profonde confusion entre le forward guidance et l’engagement vis-à-vis de l’avenir (forward commitment). Par l’engagement vis-à-vis de l’avenir je veux dire une politique consistant à s’engager à assouplir la politique dans une période future pour stimuler la production et l’inflation futures, et ce de manière à provoquer une reprise aujourd’hui. C’est la politique qui fut initialement suggérée par Paul Krugman pour le Japon et dont Michael Woodford a été le principal promoteur. Pour plus de détails, j’ai parlé dans un précédent billet d’une récente étude d'Iván Werning explorant cette politique.

Pourquoi suis-je certain que les banques centrales n’entreprennent pas cette politique ? Premièrement, parce que cette politique ne peut fonctionner que si elle parvient à influencer sur les anticipations. Donc ceux qui s’engagent vis-à-vis de l’avenir doivent se montrer complètement transparents à propos de ce qu’ils sont en train de faire. Plus ils restent opaques quant à leur politique, moins celle-ci sera efficace, en particulier parce que la politique souffre d’une incohérence temporelle (la banque centrale a intérêt à changer d’avis une fois que la récession est terminée).

Deuxièmement, l’une des caractéristiques d’une politique d’engagement vis-à-vis de l’avenir (…) est d’élever la production au-dessus de son taux naturel (ou, de façon équivalente, à réduire le chômage sous son taux naturel) à l’avenir. Bref, de générer un boom dans le futur. Donc, si c’est une caractéristique de la politique, aucune banque centrale ne s’est jusqu’à présent engagée à le faire ; comme cette politique doit nécessairement être transparente pour être efficace cela suggère que les banques centrales ne suivent pas cette politique.

Donc pourquoi cette confusion ? Premièrement, je pense qu’il y a une présomption que la communication de la banque centrale va toujours être obscure et qu’il est possible de se faire de l’argent en essayant de déchiffrer leurs véritables intentions. Quelques fois ça peut être vrai. Dans ces circonstances, les propos tenus par certains responsables politiques qui parlent en bien d’une politique à la Woodford peuvent être pertinents. Cependant pour que cette politique marche, la clarté est essentielle. Si vous vous engagez vis-à-vis de l’avenir tout en restant mystérieux, c’est comme si vous annonciez que vous ciblez l’inflation, mais que vous n’annonciez pas ce qu’est la cible d’inflation.

La seconde source de confusion vient de la focalisation sur l’inflation. Une autre caractéristique de la politique d’engagement vis-à-vis de l’avenir est que l’inflation va être au-dessus de sa cible durant le boom (et peut-être même avant). Donc certains ont interprété le forward guidance où la banque centrale annonce qu’elle laissera l’inflation au-dessus de 2,5 % alors que sa cible est de 2%, comme indiquant un engagement vis-à-vis de l’avenir. Pourtant ce même forward guidance inclut aussi des seuils de chômage qui sont au-dessus des estimations du taux naturel (1). Ce serait pervers d’annoncer cela comme un engagement vis-à-vis de l’avenir, parce que l’idée globale d’un tel engagement serait de ramener le chômage futur sous son taux naturel.

Une explication plus plausible du forward guidance mené par la Banque d’Angleterre et la Fed est que celles-ci cherchent à clarifier l’arbitrage de court terme entre inflation et chômage auquel elles sont confrontées. Il peut s’agir tout simplement d’informer le public à propos de la politique mise en œuvre à un moment où les chocs sont susceptibles de pousser l’inflation au-dessus de sa cible sans pour autant pousser la production au-dessus de son taux naturel. Ça peut aussi indiquer un changement dans cet arbitrage, une réorientation de la politique. Dans les deux cas, le cadre de cette politique est entièrement traditionnel. Il n’y a pas d’engagement à générer un boom dans le futur.

Si j’ai raison, cela nous amène à nous demander pourquoi aucune banque centrale ne s’est engagée vis-à-vis de l’avenir durant la récession. De même, pourquoi aucune banque centrale n’a adopté le ciblage du niveau des prix ou du PIB nominal ? En ce qui concerne le ciblage du niveau des prix, c’est l’énigme à laquelle Steve Amber se retrouve confronté dans un récent article. Dans l’introduction, il dit que « le ciblage du niveau des prix a des avantages convaincants, en particulier comme outil pour atténuer les retombées des retournements conjoncturels. Mais alors, pourquoi les banques centrales n’ont pas expérimenté ce régime ? ». Il suggère que les banques centrales prennent trop à cœur leur discrétion pour s’engager de la sorte. Si j’ai quelque chose d’intéressant à dire à ce propos, je le dirai dans un prochain billet.

(1) Voici ce que dit la Fed à propos du forward guidance. Elle suggère que cette dernière sera « appropriée pour bien maintenir l’actuelle gamme cible du taux des fonds fédéraux une fois que le taux de chômage passera sous 6,5 % ». Mais à aucun point elle ne dit qu’elle a l’intention de réduire le chômage sous le taux naturel (entre 5 % et 6 %) de façon à élever dans le futur l’inflation au-dessus de sa cible. »


Simon Wren-Lewis, « Forward guidance is not forward commitment », in Mainly Macro (blog), 1er mars 2014. Traduit par Martin Anota.


aller plus loin... lire « La stratégie de forward guidance » et « Quelle est l'efficacité du forward guidance à la borne inférieure zéro »