« L’idée selon laquelle certains pays avancés connaîtraient une période prolongée de faible croissance fait l’objet d’une attention croissante et elle a reçu le nom de “stagnation séculaire”. Cette idée est d’autant plus déprimante que l’on se demande si le potentiel de croissance des pays émergents ne se serait pas également affaibli. (…) L’une de ces idées (en l’occurrence celle de stagnation séculaire) amène à observer rétrospectivement la performance des économies avancées, tandis que l’autre (le pessimisme entourant à propos des pays en développement) demande une analyse prospective et spéculative de la capacité des pays en développement à faire aussi bien que par le passé.

Commençons avec un graphique simple qui résume la dynamique de la croissance annuelle dans le monde au cours des dernières décennies. Les données proviennent des bases de données des Perspectives de l’économie mondiale du FMI. (…) Deux observations : la croissance (par décennie) a été remarquablement stable dans le monde, puisqu’elle est restée comprise entre 3,2 et 3,6 %. Deuxième observation : au cours des 13 dernières années, la croissance est plus élevée par rapport aux deux précédentes décennies. Pas de stagnation séculaire, mais plutôt une accélération de la croissance.

GRAPHIQUE 1 Taux de croissance (en %)

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Mais si nous faisons la distinction entre les pays avancés et les pays en développement, nous faisons apparaître une dynamique très différente (…). Alors que les deux groups ont connu un rythme de croissance relativement similaire au cours des années quatre-vingt et dans une certaine mesure au cours des années quatre-vingt-dix, les taux de croissance annuels des pays en développement ont été trois fois plus élevé que ceux des pays avancées au cours des 13 dernières années. Donc parler de stagnation semble approprié pour une moitié du monde, mais l’autre moitié a connu une accélération de sa croissance économique.

GRAPHIQUE 2 Taux d’investissement (en % du PIB)

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Et si nous regardons les moteurs de la croissance, en particulier les taux d’investissement (en capital physique), nous constatons également une divergence dans les performances. Les taux d’investissement pour le monde ont été remarquablement stables au cours de toutes ces années et il se peut qu’il y ait eu une légère hausse au cours des 13 dernières années. Et cette hausse s’explique par une envolée des taux d’investissement dans les pays en développement (atteignant environ 50 %) à l’instant même où l’investissement chutait en-dessous de 20 % dans les économies avancées.

En regardant les graphiques ci-dessus, on se demande si la performance des économies avancées trouve une explication dans celle des pays en développement, ou inversement. Se pourrait-il que les opportunités d’investissement dans les pays en développement aient déplacé le capital hors des économies avancées ? Ce n’est pas évident car nous savons que l’explosion des taux d’investissement dans les pays en développement s’accompagna en général d’une hausse encore plus ample du taux d’épargne et que le capital (financier) est sorti de ces pays. En fait, les taux d’intérêt dans le monde connurent une tendance baissière durant cette période. Et ceci rend la performance des économies avancées encore plus surprenante : malgré un environnement favorable en termes de taux d’intérêt, l’investissement et la croissance ont décliné. »

Antonio Fatás, « Secular stagnation or secular boom? », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 16 avril 2014. Traduit par Martin Anota



aller plus loin…

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