« Les inégalités de revenu se sont accrues dans la plupart des pays de l’OCDE au cours des trente dernières années. Le coefficient de Gini, une mesure standard des inégalités, s’est accru en passant de 0,29 au milieu des années quatre-vingt à 0,32 en 2010 en moyenne dans les pays de l’OCDE (cf. graphique 1). L’écart de revenu entre les riches et les pauvres (…) s’est aussi accru dans les pays de l’OCDE : en 2010, le revenu moyen des 10 % les plus riches de la population était d’environ 9,5 fois celui des 10 % les plus pauvres, contre 7 fois trente ans auparavant. Les inégalités de revenu s’accroissent même dans des pays de l’OCDE comme l’Allemagne, le Danemark et la Suède, où elles étaient traditionnellement faibles. Une concentration croissante du revenu au sommet de la distribution est parmi les explications clés de la hausse des inégalités dans plusieurs pays de l’OCDE (cf. graphique 2). Aux Etats-Unis, 47 % de la croissance du revenu au cours de la période 1976-2007 est allée aux 1 % des ménages les plus riches ; le centile supérieur s’accapare 37 % des gains de croissance au Canada, 20 % en Australie et au Royaume-Uni.

GRAPHIQUE 1 Coefficient de Gini du revenu disponible

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GRAPHIQUE 2 Part du revenu primaire détenue par le centile supérieur (en %)

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La crise économique a exacerbé la hausse des inégalités de revenu primaire dans les pays de l’OCDE. Si l’on exclut les effets atténuateurs de l’Etat-providence, les inégalités de revenu primaire (c’est-à-dire dans la répartition du revenu entre travail et capital) se seraient accrues autant au cours des trois premières années de la crise qu’elles ne le firent au cours des 12 années précédent la crise (cf. graphique 3). Même après avoir pris en compte les taxes et transferts, les inégalités se sont accrues dans plusieurs pays, notamment la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, la République slovaque et l’Espagne (…).

GRAPHIQUE 3 Variation du coefficient de Gini entre 2007 et 2010 (en points de pourcentage)

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Même si elles restent élevées, les inégalités de revenu se sont néanmoins réduites dans plusieurs pays en développement et pays émergents. Malgré une rééducation des écarts de revenu depuis les années quatre-vingt-dix en plus parties du monde, en particulier en Amérique latine, les écarts de revenu entre riches et pauvres restent plus élevés dans ces pays que dans la zone de l’OCDE (cf. graphique 4). C’est le cas du Brésil, où le ratio entre le revenu des 10 % le plus riches et celui des 10 % les plus pauvres s’élève à 50 pour 1. Et en Afrique du Sud, les inégalités ont continué de s’accroître et le ratio est désormais supérieur à 100 pour 1. En Chine, les disparités de revenu s’accroissent effectivement entre le début des années quatre-vingt-dix et 2005, mais elles ont commencé à baissé dans la période récente. (…)

GRAPHIQUE 4 Coefficient de Gini dans le monde à la fin des années 2000

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Dans les pays de l’OCDE, le seul mais important moteur de l’accroissement des inégalités de revenu a été la plus grande dispersion des salaires. Les gains comptent pour environ les trois quart des revenus des ménages parmi la population en âge de travailler. Dans la plupart des cas, (…) les rémunérations des 10 % des salaires les plus riches se sont accrues plus rapidement que ceux des 10 % les plus pauvres. Il y a un nombre de facteurs derrière cette tendance :

  • La mondialisation est souvent considérée comme le principal coupable pour la hausse des inégalités et du chômage, mais les données suggèrent que son effet a été limité, du moins dans la zone de l’OCDE. Certains ont craint que les travailleurs à faible revenu soient affectés de façon disproportionnée par la concurrence à l’importation et que la délocalisation des activités des secteurs de biens et services échangeables ait diminué la demande pour la main-d’œuvre peu qualifiée. L’accroissement des importations en provenance des pays à faible revenu tend à élargir la dispersion des salaires, mais seulement dans les pays avec une faible législation de protection de l’emploi. L’analyse de l’OCDE suggère que la plus grande intégration commerciale a eu un impact limité sur les inégalités et l’emploi. L’impact de la mondialisation sur les inégalités a été mineure relativement à celui des changements technologiques.

  • Le progrès technique a été plus profitable aux travailleurs les plus qualifiés, en particulier dans les pays de l’OCDE. Pendant des décennies, le progrès technique a accru la productivité plus rapidement dans le secteur manufacturier qu’ailleurs, réduisant la demande de travail, en particulier de travail peu qualifié. Combinée avec une plus grande ouverture au commerce international, cette tendance a aussi créé de nombreux emplois faiblement qualifié dans les secteurs manufacturiers des pays en développement et émergents. La récente vague des technologies d’information et de communication a aussi permis aux gens avec les bonnes qualifications ou ceux spécifiques au secteur financier de jouir de gains de revenu significatifs, tandis que les travailleurs faiblement qualifiés n’en ont pas profité. Par conséquent, l’écart de gain entre les travailleurs qualifiés et les travailleurs peu qualifiés a grossi. Dans certains pays comme les Etats-Unis, le changement technologique biaisé en faveur du travail qualifié a provoqué un changement de le demande de travail en faveur du travail plus qualifié. Pourtant, l’offre de tels individus n’a pas gardé le rythme avec la demande croissance, comme cela est indiqué par le ralentissement du nombre de diplômés dans l’enseignement supérieur.

  • Les réformes législatives et les changements institutionnels menant à une concurrence accrue et à une plus grande flexibilité sur les marchés des produits et du travail ont accru les opportunités d’emplois, mais aussi contribué à la plus grande inégalité de salaire. Depuis les années quatre-vingt, les pays de l’OCDE ont mené des réformes significatives en ce qui concerne la régulation pour renforcer la concurrence sur les marchés des biens et services et pour rendre les marchés du travail plus adaptables. Les réformes incluent la suppression des barrières à la concurrence dans les règles touchant aux marchés des produits, une législation de protection de l’emploi plus flexible pour les travailleurs avec des contrats temporaires et, dans certains cas, une baisse du salaire minimum. Les taux de syndicalisation ont aussi chuté dans la plupart des pays de l’OCDE. (…) le fait que les travailleurs permanents continuèrent à jouir de la protection de l’emploi plus stricte que leurs pays en contrats temporaires dans la plupart des pays contribua à accroître la segmentation du les marchés du travail et à détériorer la qualité de l’emploi. (…)

  • Les parts croissantes du revenu du capital ont aussi accru les inégalités de revenu entre ménages. Les inégalités de revenus du capital ont accrue plus que les inégalités de rémunérations dans la plupart des pays de l’OCDE. Mais, à environ 7 %, la part du revenu du capital dans le revenu des ménages total demeure toujours modeste en moyenne, bien que les individus les plus riches tendent à recevoir une plus large part de leur revenu du capital. Les ratios patrimoine sur revenu se sont accrus brutalement dans les pays de l’OCDE depuis le milieu du vingtième siècle. Le défi que cette tendance soulève pour les autorités publiques est que le patrimoine est transmis de génération en génération, perpétuant les inégalités à la fois dans le patrimoine et dans les revenus qui sont tirés de ce dernier. Rendre la croissance plus inclusive pourrait passer par une taxation plus progressive du patrimoine et par une taxation plus progressive de l’héritage. Tous deux pourraient être difficiles à être mis en place dans un environnement de mobilité internationale plus forte du capital.

  • La crise mondiale et ses racines financières ont rallumé un débat sur l’impact de l’approfondissement financier sur les inégalités. (…) "La finance est un outil puissant de développement économique, mais avec d’importants effets non linéaires" (Beck, 2013). La récente crise financière mondiale souligne l’importance des cadres régulateurs qui découragent les participants aux marchés financiers de se tourner vers des activités risquées, souvent en déconnexion avec le financement de l’investissement réel, ce qui les rend certes profitables en temps normal, mais grandement douloureux pour l’économie réelle lorsque les risques se matérialisent. Les rémunérations exceptionnellement hautes exacerbent les inégalités de rémunérations et aussi attirent une part plus élevée des travailleurs qualifiés, ce qui pénalise la productivité dans d’autres secteurs qui dépendent du capital humain qualifié.

  • Finalement, les systèmes de taxes et prestations sociales sont devenus moins redistributifs dans la plupart des pays depuis le milieu des années quatre-vingt-dix. Depuis le milieu des années quatre-vingt, les systèmes de redistribution dans la plupart des pays de l’OCDE compensent plus que la moitié de la hausse des inégalités de revenu primaire. Cependant, même si les inégalités de revenu primaire sont atténuées après le milieu des années quatre-vingt-dix, les inégalités de revenu disponible des ménages continuèrent à s’accroître comme les effets stabilisateurs des taxes et prestations sociales déclinèrent. »


OCDE, All on board: Making inclusive growth happen, mai 2014. Traduit par Martin Anota



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