« Paul Krugman a l’habitude de dire que, depuis la crise financière, l'économie keynésienne de base a plutôt bien marché. L’accroissement de la dette publique n'a pas conduit à une hausse des taux d'intérêt. L'augmentation de la base monétaire (via l’assouplissement quantitatif, ''quantitative easing'') n’a pas conduit à une accélération de l’inflation. Mais ce ne sont pas les seules domaines où l'économie keynésienne se révèle efficace. L’analyse keynésienne nous dit presque tout ce que nous devons savoir pour comprendre ce qui s'est passé dans la zone euro depuis sa création.

Certaines personnes adorent dénoncer l'économie mainstream, car elle n'a pas réussi à prédire la crise financière. Mais la nature de la crise de l'euro a été prédite par la macroéconomie keynésienne standard en économie ouverte. Le vrai problème avec une union monétaire était que les pays pourraient être touchés par des chocs asymétriques, or ils ne disposent plus de leur propre politique monétaire pour y faire face. De nombreux économistes, y compris moi-même, ont déclaré que ce problème devait être abordé par une politique budgétaire anticyclique active – ce que propose justement l’analyse keynésienne standard. Cette recommandation a été ignorée.

Ce que les personnes qui utilisent l'analyse keynésienne n’ont pas prédit était que le choc qui révèlerait tout ça, en l’occurrence le fait que les marchés financiers feraient l'erreur de supposer le risque souverain de chaque Etat-membre disparaitrait une fois l'euro a été créé, une erreur qui a contribué à réduire fortement et rapidement les taux d'intérêt dans la périphérie. Mais une fois que c’est arrivé, l'économie keynésienne raconte le reste de l'histoire. Ce vaste plan de relance monétaire a conduit à un excès de demande dans la périphérie de la zone euro par rapport à son cœur. Cela a accéléré l’inflation dans la périphérie inflation, ce qui a conduit à une détérioration chronique de la compétitivité.

Ce boom dans la périphérie n'a pas été compensé par une contraction budgétaire. En fait, les finances publiques apparaissaient saines en raison du boom et la focalisation sur le Pacte de stabilité et de croissance sur les déficits n’a pas incité les autorités publiques à durcir la politique budgétaire. Finalement, la baisse de la compétitivité mit un terme au boom, mais l'analyse quantitative keynésienne suggère que ce processus de correction peut prendre un certain temps, s’il bute contre de puissantes forces expansionnistes.

Donc l'économie keynésienne a dit que cette histoire européenne finirait dans les larmes et ce fut précisément le cas. La nature exacte des larmes n’est dans une certaine mesure qu’un détail. (Si vous pensez que la crise de la zone euro trouve son origine dans les excès budgétaires plutôt que dans les excès du secteur privé, vous êtes malheureusement mal informé.) Bien sûr, l'économie keynésienne ne pouvait pas prévoir la réaction perverse des autorités budgétaires face à la crise lorsqu’elle éclata : l'austérité budgétaire menée aussi bien dans le noyau ainsi que la périphérie. Elle ne pouvait pas prévoir cette réaction, car elle apparaît stupide dans un cadre keynésien. Mais quand l’austérité s’est généralisée à partir de 2010, l'analyse keynésienne en a clairement souligné les répercussions. Comme elle le suggéra, la zone euro a basculé dans une deuxième récession en 2012, notamment en raison de perverses décisions de la part des autorités monétaires.

Paul Krugman note également que la plupart de ceux qui ont parié contre les prédictions keynésiennes en ce qui concerne l’évolution des taux d'intérêt et de l'inflation après 2009 n'ont pas encore admis qu'ils ont eu tort et que l'analyse keynésienne avait raison. Malheureusement la zone euro montre que ce genre de déni peut perdurer pendant plusieurs décennies ! Mais il y a une raison pour laquelle nous enseignons l'économie keynésienne : elle fonctionne. »

Simon Wren-Lewis, « Keynesian economics works: Eurozone edition », in Mainly Macro (blog), 18 mai 2014. Traduit par Martin Anota


« La reprise de la croissance des États-Unis s’est amorcée en 2010 et a été soutenue, mais à un rythme modeste. La reprise au Royaume-Uni n'a vraiment commencé qu'en 2013, mais la croissance peut être très rapide en 2014. Est-ce que ce sera le tour de la zone euro en 2014 ? La croissance au Royaume-Uni pourrait être très forte cette année car il y a une forte marge de rattrapage suite aux années perdues de 2010-2012. Puisque la marge de rattrapage est encore plus large en zone euro suite aux récessions de 2009 et de 2012, est-ce que la croissance de la zone euro sera-t-elle également rapide ?

Le tableau ci-dessous indique que ce ne sera peut-être pas le cas. Il représente les taux d'épargne des ménages dans ces trois zones, mais aussi en Espagne.

TABLEAU Taux d'épargne des ménages

Wren-Lewis_taux_d__epargne_zone_euro_Etats-Unis_Espagne_Royaume-Uni.png

source : Wren-Lewis, d’après les données de l'OCDE et d’Eurostat

Focalisons-nous sur les changements. Au cours de la Grande Récession de 2008-2009, nous avons vu une augmentation du taux d'épargne partout, comme on pouvait s'y attendre après une crise financière. Aux États-Unis et Royaume-Uni, l’épargne est restée élevée jusqu'en 2013. La reprise en 2013 au Royaume-Uni résulte directement de la baisse du taux d'épargne. Une fois de plus, c'est ce à quoi vous pouvez vous attendre après une crise financière : une période prolongée de forte épargne comme les agents réduisent leur emprunt et qu’ils restaurent leur bilan, suivie par une stimulation de la demande lorsque les taux d'épargne reviennent à la normale.

Ainsi pouvons- nous nous attendre à la même dynamique dans la zone euro en 2014 et après ? La réponse est probablement non, parce que la baisse du taux d'épargne a déjà eu lieu, et ce avant qu’elle ait lieu au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Il y a une explication évidente pour cela, encore tout droit sorti de la littérature keynésienne. A la différence de la crise financière, la récession de la zone euro en 2012 a été une récession provoquée en grande partie par un resserrement budgétaire. Et comme la macroéconomie de base vous l’indique, si le secteur public décide d’épargner plus, le secteur privé doit épargner moins.

La zone euro semble avoir déjà eu son coup de pouce sur la croissance grâce à la baisse du taux d'épargne : il a contribué à modérer l’ampleur de la récession de 2012. Cela signifie également que nous ne savons pas dans quelle mesure les équilibres financiers des consommateurs de la zone euro ont été restaurés : l’épargne peut avoir diminué entre 2010 et 2011, non pas parce que la correction est achevée (ce que nous espérons dans le cas du Royaume-Uni et des États-Unis en 2013), mais simplement parce que les revenus ont chuté. Donc, pour 2014 et après, l'impulsion pour la reprise peut devoir venir d'ailleurs. Le rythme du resserrement budgétaire peut ralentir, mais il constitue encore un frein à la croissance. La croissance au Royaume-Uni et des États-Unis aidera, mais cela peut être compensé par une baisse du taux de croissance dans les pays émergents. Y a-t-il autre chose qui pourrait servir de base à une forte reprise de la zone euro ? »

Simon Wren-Lewis, « The eurozone recovery and household savings », in Mainly Macro (blog), 20 mai 2014. Traduit par Martin Anota