« La croissance dans la plupart des pays émergents a ralenti depuis 2010-2011. La reprise qu’ils ont connue suite à la crise financière mondiale a atteint son pic en 2010-2011. Depuis lors, la croissance a ralenti parmi les pays émergents. En fait, 80 % des pays émergents ont connu un ralentissement en 2012 et, à la fin de l’année 2013, la croissance des pays émergents était en moyenne inférieure de 1,5 point de pourcentage inférieure à celle de 2010-2011. Ce ralentissement synchronisé est comparable dans son ampleur et sa persistance aux précédentes crises, lorsque la croissance dans plus de 70 % des pays émergent ralentit au même instant pour une période comprise entre 4 et 6 trimestres. Ce qui est différent aujourd’hui, c’est que l’épisode n’est pas dû à une crise. Même si la nature synchronisée du ralentissement suggère des facteurs potentiels qui soient communs à l’ensemble des pays, telles que la faiblesse de la demande extérieure et la normalisation de la demande domestique par rapport aux pics d’après-crise, sa persistance suggère que des facteurs structurels ont aussi été à l’œuvre. Il y a aussi d’importantes différences dans la magnitude du ralentissement entre les pays. Par exemple, depuis 2010-2011, la croissance de la production a ralentit de 2,25 points de pourcentage en Chine (en atteignant environ 7,75 % en 2013), de 2,75 points de pourcentage au Brésil (en atteignant 2,25 %) (…).

Quel rôle ont joué les facteurs externes et domestiques dans le récent ralentissement ? (…) Notre analyse suggère que l’essentiel du ralentissement s’explique par une plus faible demande extérieure. Le ralentissement de la croissance depuis 2010-2011 s’explique largement par une plus faible demande de la part des partenaires à l’échange (…). (…) Les pays avancés et la Chine expliquent l’essentiel des variations de la demande extérieure pour les pays émergents. D’autres facteurs extérieurs (les changements dans les termes de l’échange et les conditions financières) ne sont pas statistiquement significatifs pour expliquer le ralentissement de la croissance durant la période 2011-2013 (…).

Les facteurs domestiques ont aussi joué un rôle pour expliquer le récent ralentissement, bien que leurs contributions diffèrent selon la période et les pays. En particulier, le rôle de la politique budgétaire changea au cours de ces années ; elle devint restrictive en 2013 dans plusieurs pays, ce qui reflète l’annulation de la relance mise en œuvre en réponse à la crise financière mondiale. (…) les pays émergents qui étaient en surchauffe avant le ralentissement (…) sont également ceux qui ont connu les plus amples ralentissements de la croissance. (…)

La persistance du ralentissement dépend de la nature cyclique ou structurelle des facteurs. Un ralentissement qui s’expliquerait par des facteurs structurels (c’est-à-dire par un déclin du taux de croissance potentielle de l’économie) serait plus difficile à inverser et donc plus persistant, tandis qu’un ralentissement conjoncturel serait plus temporaire. Cependant, discerner la nature structurelle ou cyclique des facteurs est un exercice complexe et sujet à beaucoup d’incertitude. Il nous amène à exiger le taux de croissance potentielle d’une économie, or celui-ci n’est pas observable et change au cours du temps. La croissance potentielle tend à être procyclique, s’élevant en période de bons temps dans la mesure où l’investissement et l’accumulation du capital s’élève et où la productivité totale des facteurs s’améliore, et inversement en période de mauvais temps.

Malgré ces limites, nous tentons de décomposer le ralentissement actuel en composantes conjoncturelles et structurelles. Nous estimons les taux de croissance potentielle pour 70 pays émergents au cours de la période 1980-2018 (…). Nous constatons que les facteurs conjoncturels et structurels sont en moyenne d’égale importante pour expliquer le récent ralentissement dans les pays émergents. Ce résultat implique qu’une partie du ralentissement pourrait être temporaire (la composante conjoncturelle) et que la croissance s’accélérera lorsque les principaux partenaires commerciaux (en l’occurrence les pays avancés) connaîtront une plus forte croissance. Par contraste, le ralentissement dû aux moindres taux de croissance potentielle est plus persistant et va nécessiter des effets concertés de la part des autorités publiques. Comme nous l’avons précédemment noté, le déclin dans la croissance des pays émergents est plus difficile à expliquer et il reflète probablement des facteurs spécifiques aux pays, le retrait des politiques expansionnistes et l’impact permanent de la crise financière mondiale sur le potentiel de croissance dans les pays émergents ou dans les pays avancés qui constituent leurs partenaires commerciaux. Cela dit, les rôles relatifs des facteurs conjoncturels et structurels pour expliquer le ralentissement varia significativement d’un pays émergent à l’autre. Par exemple, les facteurs structurels apparaissent bien plus importants en Europe émergente, où les gains de la libéralisation peuvent avoir élevé le niveau de production potentielle plutôt que la croissance, tandis que les facteurs conjoncturels semblent dominer en Asie émergente. »

FMI, « Emerging markets in transition: Growth prospects and challenges », staff discussion note, n° 14/06. Traduit par Martin Anota