« Les déflations ne sont pas toutes identiques. Du fait des nombreuses baisses de prix intervenues au XIXe siècle, au début du XXe et depuis les années 1990, les données historiques peuvent révéler d’importantes caractéristiques de la dynamique de déflation. On en dénombre quatre principales.

Premièrement, les données abondent en épisodes de déflation "bénéfique" ou du moins "bénigne" au sens où ces épisodes de baisse des prix ont coïncidé avec des périodes où la production a augmenté suivant sa tendance ou n’a enregistré qu’un repli modeste et momentané. Avant la Première Guerre mondiale, les épisodes de déflation ont été généralement bénins, le PIB réel ayant poursuivi son expansion alors que les prix baissaient (cf. graphique, cadre de gauche). La croissance réelle moyenne enregistrée sur les cinq années qui ont précédé un pic des prix a été à peu près comparable à ce qu’elle était sur les cinq années suivantes (2,3 % contre 2,1 %). Au début de l’entre-deux-guerres (dans les années 1920 principalement), le nombre de déflations plus coûteuses ("mauvaises") a augmenté (cf graphique, cadre du milieu) : la production a continué d’augmenter mais beaucoup plus lentement – les taux moyens avant et après le pic des prix se sont respectivement établis à 2,3 % et 1,2 %. (L’impression que des déflations particulièrement graves se sont produites dans l’entre-deux-guerres est dominée par l’expérience exceptionnelle de la Grande Dépression, au cours de laquelle les prix dans les économies du G 10 ont chuté cumulativement d’à peu près 20 % tandis que la production se contractait d’environ 10 % ; cette expérience n’est pas parfaitement illustrée dans le graphique, cadre du milieu.)

GRAPHIQUE Périodes de déflation : les bonnes et les mauvaises (pic de l'indice = 100)

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Les épisodes de déflation des vingt-cinq dernières années ont, en moyenne, été bien plus proches des bons épisodes de déflation enregistrés avant la Première Guerre mondiale que de ceux du début de l’entre-deux-guerres (même si repérer des pics de prix dans cette période est bien plus difficile que dans les périodes antérieures parce que les récentes déflations tendent à être passagères). Pour les épisodes les plus récents, les taux moyens de croissance du PIB avant et après les pics ressortent à respectivement 3,6 % et 3,1 %, une différence qui n’est pas statistiquement significative.

La deuxième caractéristique importante de la dynamique de déflation révélée par les données historiques est l’absence générale de risque intrinsèque de spirale déflationniste – la Grande Dépression est le seul épisode au cours duquel une spirale déflationniste s’est développée sous forme de baisse de prix marquée et persistante. Lors des épisodes antérieurs à la Première Guerre mondiale, les chutes de prix ont été persistantes mais peu importantes, avec un recul cumulé moyen d’environ 7 % de l’indice des prix à la consommation. Plus récemment, les épisodes déflationnistes ont été de très courte durée et la chute des prix a été modérée ; l’exception notable est le Japon, où les prix ont reculé cumulativement de 4 % de la fin des années 1990 jusque très récemment. Les données tendent à réfuter l’idée que les déflations conduisent à de violentes spirales déflationnistes, surtout ces dernières décennies. De plus, le fait que les salaires soient moins flexibles aujourd’hui qu’ils ne l’étaient autrefois réduit la probabilité d’une spirale baissière autoalimentée des salaires et des prix.

Troisièmement, plus que les déflations généralisées, ce sont les déflations des prix des actifs qui ont régulièrement et fortement nui aux performances macroéconomiques. De fait, la Grande Dépression aux États-Unis et la déflation japonaise des années 1990 ont été précédées par un effondrement des valeurs boursières et, surtout, des prix immobiliers. Ces observations laissent à penser que la chaîne des causalités va essentiellement de la déflation des prix des actifs au ralentissement de l’économie réelle, puis à la déflation, et non d’une déflation générale à l’activité économique. Cette idée est également étayée par les trajectoires des prix et de la production réelle dans l’entre-deux-guerres (cf. graphique, cadre du milieu), qui montrent que le PIB réel a tendu à se contracter avant l’apparition de la déflation.

Quatrièmement, les récents épisodes de déflation se sont souvent accompagnés d’une hausse des prix des actifs, d’une expansion du crédit et d’une forte augmentation de la production. Citons pour exemples les épisodes survenus dans les années 1990 et 2000 dans des pays aussi différents que la Chine et la Norvège. Le risque existe qu’une politique monétaire accommodante mise en place lors de bonnes déflations pour rapprocher l’inflation de l’objectif favorise involontairement l’accumulation de déséquilibres financiers. À la longue, cette résistance aux "bonnes" déflations peut déboucher sur de "mauvaises" déflations si la correction des déséquilibres engendre des perturbations. »

Banque des Règlements Internationaux, 84ième rapport annuel, 29 juin 2014.