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« Simon Wren-Lewis, dans l’un de ses derniers billets, rejette l’idée selon laquelle l’économie britannique aurait connu avant la récession un boom insoutenable alimenté par la dette. (…) Si l’on se focalise sur la seule trajectoire de la dette, on risque d’avoir un portrait trompeur de la soutenabilité de la croissance ou des dépenses. Wren-Lewis utilise les données britanniques pour montrer que le fort accroissement de la dette que l’on a pu observer avant 2007 au Royaume-Uni a été synchrone avec une hausse de la valeur des actifs que les ménages détenaient, si bien que la richesse nette s’est en fait accrue (malgré la hausse de l’emprunt). Le rôle des prix immobiliers est la clé pour comprendre ces développements. Wren-Lewis affirme que dans le cas du Royaume-Uni les prix immobiliers suivaient une tendance haussière à cause d’une combinaison de faibles taux d’intérêt et d’une offre limitée.

La manière la plus simple pour comprendre cette idée est de réfléchir à deux scénarii alternatifs lorsqu’on considère l’achat des services immobiliers : soit louer, soit emprunter pour acheter un logement (dans ce dernier cas, aucun loyer n’est certes versé dans le futur, mais des paiements hypothécaires devront être effectués pour couvrir le coût de l’emprunt).

Dans le premier scenario, il n’y a pas de dette, dans le second cas il n’y a une hausse de l’endettement. En quoi la présence de dette rend-elle le second scénario (…) plus insoutenable que la première ? On pourrait suggérer qu’en raison de la propriété de l’actif, il est possible que les prix d’actifs baissent et génèrent par là des pressions financières, ce qui incite alors les agents à réduire d’autres dépenses. Exact, mais la même chose peut également survenir dans le premier scénario où une hausse éventuelle des prix des logements (et des loyers) réduit le revenu après versement du loyer pour le ménage et amène également les agents à réduire les autres formes de dépenses (ils n’ont certes pas besoin de se « désendetter », mais tout de même de réduire d’autres dépenses). Il y a, bien sûr, des différences en termes de capacité d’ajustement face aux chocs en raison de l’illiquidité des logements comme actifs, mais il y a fondamentalement une forte symétrie dans la mesure où la propriété de l’actif génère des rendements potentiels si le prix d’actif s’accroît, mais à des pertes si ce dernier chute, tandis que la location vous expose à un risque de hausses des rentes si les prix immobiliers s’accroissent.

Ce qui complique l’analyse est l’hétérogénéité des agents. Le logement s’avère être un actif spécial qui est principalement détenu pour jouir des services qu’il fournit. En plus, nous sommes tous quelque peu exposés aux fluctuations des prix immobiliers, soit parce nous louons un logement, soit parce que nous l’avons acheté. Cela signifie que lorsque nous considérons un scénario mettant l’accent sur la location nous ne devons pas oublier que quelqu’un d’autre possède l’actif. Ceci peut dans certains cas réduire le risque agrégé dans la mesure où la hausse des prix immobiliers affecte les locataires tout en bénéficiant aux propriétaires, mais les effets agrégés peuvent dépendre des caractéristiques des individus qui sont exposés aux différents risques. Par exemple, même si le patrimoine net agrégé aux Etats-Unis est aujourd’hui plus élevé qu’avant la crise (selon la Réserve fédérale des Etats-Unis…), cela dissimule de fortes différences entre les ménages, dans la mesure où les analyses empiriques suggèrent que les inégalités de patrimoine se sont accrues durant cette période (…). Et cette hétérogénéité peut avoir de profondes répercussions au niveau agrégé en raison des différences dans l’accès de financement ou des dynamiques de dépenses. Mais dans ce cas l’histoire est plus complexe que celle d’un pays vivant au-delà de ses moyens en empruntant.

Donc, les hausses de l’endettement ne suggèrent pas en soi que l’économie connait un boom insoutenable. Mais nous ne pouvons pas non plus exclure qu’elles puissent refléter d’autres tendances économiques qui pourraient à terme menacer la croissance, en particulier lorsque nous prenons en compte l’hétérogénéité des agents. Malheureusement, le manque de données désagrégées aussi bien que de modèles théoriques solides et acceptables avec agents hétérogènes rendent cette analyse un peu plus spéculative. »

Antonio Fatás, « A recession without a boom? », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 7 août 2014. Traduit par Martin Anota