« Il est plus facile de considérer les problèmes de la zone euro en considérant tout d’abord la zone euro dans son ensemble et en observant ensuite les différents pays. Dans les deux cas, la zone euro est en train de faire exactement les mêmes erreurs que celles qui ont été commises lors de la Grande Dépression des années vingt et des années trente.

La zone euro subit actuellement un manque chronique de demande agrégée. L’OCDE estime un écart de production (output gap) de presque -3,5 % en 2013. La banque centrale ne peut ou ne désire en faire beaucoup pour accroître la demande, donc la relance budgétaire apparaît nécessaire. C’est la première leçon de la Grande Dépression qui est ignorée. Mais au lieu d’avoir une relance budgétaire, le Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) nous impose d’embrasser l’austérité.

Dans la zone euro, nous avons un problème provoqué par une Allemagne cherchant à vendre moins cher que les autres pays-membres sur la période 2000-2007. Je ne suis pas en train de suggérer que ce fut une politique délibérée, mais les conséquences ne furent pas saisies par les gouvernements des autres pays-membres à cette époque. Une certaine correction a été à l’œuvre en 2007, mais elle fut inachevée. Or, quelle est la seconde leçon de la Grande Dépression et de l’étalon-or ? Chercher à corriger via la déflation et la réduction des salaires s’avère non seulement difficile, mais aussi inutilement douloureux.

La solution qui fut adoptée dans les années vingt et les années trente fut une série de dévaluations (quitter l’étalon-or). Ce n’est pas possible dans la zone euro. Cependant l’ajustement est bien moins coûteux s’il repose sur une hausse des prix dans le pays qui est trop compétitif, plutôt que par une baisse des prix dans les pays qui ne sont pas compétitifs. Nous ne sommes pas forcément en train de parler d’une forte inflation : une période où l’inflation s’élèverait en Allemagne à 3 % et juste un petit au-dessus de 1 % ailleurs devrait suffire. Or, ce que nous voyons aujourd’hui, c’est une inflation qui s’élève en Allemagne à 1 % et à peine au-dessus de zéro dans le reste de la zone euro.

GRAPHIQUE Coûts du travail unitaires relatifs (en indices, base 100 année 2000)

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Ici une sorte d’indignation morale l’emporte sur la logique économique dans le débat. Plusieurs Allemands se demandent pourquoi ils devraient souffrir d’une inflation de 3 % pour aider des pays dont les gouvernements se sont montrés irresponsables. C’est un mauvais raisonnement, parce qu’ils voient une inflation inférieure à la moyenne de la zone euro comme une vertu plutôt que comme un péché. Le fait qu’un pays-membre connaisse une inflation inférieure à la moyenne de l’union monétaire (comme ce fut le cas de l’Allemagne au début des années deux mille) n’est pas un signe de vertu, mais le signe d’un problème, tout comme le fait qu’un pays-membre connaisse une inflation supérieure à la moyenne de l’union monétaire.

Un pays ne peut indéfiniment chercher à vendre moins cher que ses concurrents. Tout pays connaissant une inflation inférieure à la moyenne de la zone euro doit s’attendre à ce qu’il connaisse plus tard une inflation supérieur de la moyenne. Si la zone euro pouvait connaître une inflation moyenne de 2 % au cours des prochaines années, cela passerait par une inflation de 3 % en Allemagne : ça fait partie du contrat de l’euro. Tant que les responsables politiques allemands cherchent à revenir sur ce contrat en empêchant la BCE d’utiliser des moyens non conventionnels pour atteindre sa cible (en l’occurrence une inflation de 2 % pour l’ensemble de la zone euro) ou en insistant sur le respect d’un Pacte de Stabilité et de Croissance déflationniste, alors ils deviennent responsables de la misère que connaît actuellement la zone euro.

Je n’ai mentionné à aucun moment de la dette publique ou des réformes structurelles. Celles-ci ne sont que des détails à côté des problèmes que sont l’insuffisance de la demande et la faiblesse de l’inflation. En mettant l’accent sur ces faux problèmes, les responsables politiques détournent notre attention des vrais problèmes. Deux des principales leçons de la Grande Dépression sont qu’il faut utiliser la relance budgétaire pour sortir d’une trappe à liquidité et qu’il est trop douloureux de faire porter aux pays non compétitifs tous les coûts du réajustement. La zone euro n’a pas réussi à apprendre ces leçons. »

Simon-Wren Lewis, « Lessons of the Great Depression for the Eurozone », in Mainly Macro (blog), 28 août 2014. Traduit par Martin Anota