« Mario Draghi a surpris les marchés la semaine dernière avec une nouvelle baisse des taux directeurs et un projet d’assouplissement quantitatif (quantitative easing) pour commencer à acheter des actifs et ainsi accroître le bilan de la BCE. Ces deux actions sont bienvenues, ainsi que le changement de propos et de ton dans ses commentaires. Il souligne la nécessité pour les autorités publiques de la zone euro d'entreprendre de puissantes actions.

Malheureusement je crains que cela vienne trop tard et ne soit pas suffisant. Alors que le projet d’achats d’actifs de la BCE puisse effectivement accroître son bilan au cours des prochains mois, il se pourrait que cette action ne fasse finalement ramener son bilan à la taille qu’il avait il y a quelques mois. Il est vrai que les achats de certains actifs puissent avoir un plus puissant impact que les précédents programmes de prêt bancaire, mais cela pourrait ne pas suffire.

Et en ce qui concerne les taux d’intérêt, la BCE a certes finalement ramené ses taux directeurs à zéro, mais cela prit tellement de temps que la zone euro s’est davantage enfoncée ces derniers moins dans la faible inflation (lowflation). Et comme l’inflation ralentissait, les taux d’intérêt réels se sont mécaniquement accrus. Voici ci-dessous un graphique qui compare les taux d’intérêt réels dans la zone euro et aux Etats-Unis. (Les taux d’intérêt réels sont calculés en prenant le taux d’intérêt de la banque centrale auquel nous retranchons le taux d’inflation au cours de l’année précédente.)

GRAPHIQUE Taux d’intérêt réels (en %)

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Ce que nous pouvons tout d’abord noter, c’est que depuis le début de l’année 2012, les taux d’intérêt ont augmenté en Europe, alors qu’ils restaient relativement stables aux Etats-Unis. Au cours des deux dernières années, les taux d’intérêt ont augmenté de plus d’un point de pourcentage en Europe, alors qu’ils diminuaient d'un point de pourcentage aux Etats-Unis. Cela résulte des différences dans le comportement de l’inflation et celles-ci s’expliquent très certainement par la divergence des politiques mises en œuvre des deux côtés de l’Atlantique en 2011, avec des taux d’intérêt plus élevés en zone euro qu’aux Etats-Unis.

Si les récentes actions de la BCE ne suffisent pas, que peut-on faire d’autre ? Peut-être que les gouvernements européens pourraient commencer à écouter Mario Draghi et inverser l’orientation de la politique budgétaire, peut-être même de façon coordonnée entre les différents Etats-membres de la zone euro. En l’absence d’un tel assouplissement coordonné des politiques budgétaires, la BCE ne dispose que de très peu d’outils. Elle pourrait essayer d’accroître les anticipations d’inflation, en espérant que cela se traduira par des hausses de salaires et des prix. Mais accroître les anticipations d’inflation va nécessiter de très fortes communications, peut-être en déclarant explicitement qu’une déviation temporaire de l’inflation au-delà de la cible de 2 % est bienvenue. Ou même mieux, la BCE pourrait relever sa cible d’inflation (une hausse qui pourrait être temporaire, pour seulement quelques années).

Les seules autres alternatives est la "monnaie hélicoptère", ce qui implique une hausse permanente de la base monétaire, de l’offre de monnaie, soit via des achats permanents d’actifs, soit via des transferts directs aux gouvernements ou aux ménages (lisez le billet de Simon Wren-Lewis où il explique la différence entre l’assouplissement quantitatif et la monnaie hélicoptère ou Williem Buiter qui explique pourquoi la monnaie hélicoptère marche toujours). Il y a récemment eu un débat entre les banquiers centraux à propos de cette idée, mais cette option est toujours exclue en raison des contraintes légales ou pratiques, qui sont en l'occurrence susceptibles d’être plus fortes dans le cas de la BCE.

La discussion autour de la monnaie hélicoptère aux Etats-Unis mena à l’expression "hélicoptère Ben" (Helicopter Ben) pour désigner l’ancien président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke. Peut-être qu’il est temps de voir "hélicoptère Mario" faire tout ce qu’il faut (whatever it takes) pour sauver la zone euro. Et trouver une image pour illustrer ce à quoi cela pourrait ressembler est bien plus facile avec Mario Draghi… »

Antonio Fatás, « Whatever it takes to see helicopter Mario (Draghi) », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 7 septembre 2014. Traduit par Martin Anota


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