« Mon précédent billet a suscité plusieurs commentaires intéressants, dans le sens où ils illustrent bien à quel point le débat macroéconomique est devenu particulièrement confus lorsqu'il concerne la zone euro. Il y a confusion car lorsqu’on parle de la politique budgétaire, les gens pensent à la Grèce, aux renflouements et à tout ça. Ce n’est pas ce dont nous sommes en train de parler ici. Nous parlons de ce qui se passe lorsque la politique monétaire de la zone euro ne marche plus.

Si elle marchait, la zone euro connaîtrait un supplément de relance monétaire partout et l’inflation moyenne serait de 2 %. Parce que l’Allemagne a eu entre 2000 et 2007 un taux d’inflation inférieur à celui de la France et de l’Italie, elle devrait maintenant avoir une plus forte inflation que ces derniers. Quelque chose comme 3 % en Allemagne et 1 % dans les pays comme la France et l’Italie, et ce pendant plusieurs années.

La politique monétaire ne fonctionne pas en raison de la trappe à liquidité, si bien que nous avons au final un taux d’inflation proche de 0,5 % en zone euro, avec une inflation allemande à 1 % et une inflation proche de zéro pour la France et l’Italie. Cela signifie que la zone euro connaît un vaste gâchis des ressources. Comme pourrait le suggérer n’importe quel manuel, ce gâchis pourrait être évité si le Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) était suspendu ou, mieux, si les Etats-membres mettaient en œuvre une relance budgétaire coordonnée.

Pourquoi est-ce que ça ne se passe pas comme ça ? Il y a deux explications : l’ignorance et l’avidité. L’ignorance vient du fait que beaucoup partagent la croyance erronée et sans fondements scientifiques selon laquelle la relance budgétaire ne peut ou ne doit se substituer à la politique monétaire dans une trappe à liquidité. L’avidité vient du fait que l’Allemagne cherche à ne pas avoir un taux d’inflation de 3 %, parce qu’elle contrôle la politique budgétaire.

Ceux qui affirment que l’Allemagne aiderait la France et l’Italie en acceptant une suspension du PSC et à adopter un plan de relance budgétaire se trompent. Si les choses fonctionnaient normalement, l’Allemagne connaîtrait une relance (monétaire) sans qu’elle ait eu à donner un quelconque accord, que ça lui plaise au non. Ce que l’Allemagne est en train de faire, c’est de tirer profit du fait que la politique monétaire dysfonctionne, et ce aux dépens du reste de la zone euro. Les gains de l’Allemagne (une plus faible inflation) sont bien faibles comparés aux coûts que subit la zone euro dans son ensemble.

Souvent l’avidité nourrit l’ignorance. C’est malheureux, mais pas surprenant, de voir que plusieurs Allemands pensent que tout cela concerne la Grèce, les transferts budgétaires et des réformes structurelles, parce que c’est ce qu’on ne cesse de leur répéter. Je ne sais pas combien de dirigeants et de faiseurs d’opinion en Allemagne comprennent ce qui est en train de se passer vraiment et dissimulent malgré tout le fait que l’Allemagne tire un profit au détriment des autres pays-membres de la zone euro. Ce qui est plus difficile à comprendre, c’est pourquoi le reste de la zone euro laisse l’Allemagne en toute impunité. »

Simon-Wren Lewis, « Eurozone delusions », in Mainly Macro (blog), 29 août 2014. Traduit par Martin Anota