Germany__The_Telegraph_.jpg

« Dans le billet où je parlais de l’échec de la zone euro à tirer les leçons de la Grande Dépression, j’ai parlé de l’Allemagne en disant qu’elle était "trop compétitive". Selon certains commentaires à mon billet, ce serait une contradiction dans les termes : comment un pays pourrait-il être trop compétitif ? Je pensais qu’il était évident que je parlais seulement des prix relatifs ; le fait d’être compétitif en termes de qualité est un tout autre sujet. Ce que j’affirme, c’est que l’Allemagne est devenue beaucoup trop compétitive en termes de coût entre 2000 et 2007 par rapport à quasiment tous ses partenaires de la zone euro.

Il y a d’innombrables graphiques qui montrent comment certains indicateurs comme les coûts unitaires du travail de l’Allemagne et de certains pays périphériques ont divergé au cours de cette période. Beaucoup considèrent que cette divergence suggère un problème du côté des seuls pays périphériques : pour une raison ou une autre, la demande aurait été trop forte dans les pays périphériques, ce qui aurait poussé à la hausse l’inflation. Cependant, comme Francesco Saraceno le montre, la réelle anomalie ici est l’Allemagne. L’Allemagne n’a pas seulement accru sa compétitivité par rapport aux pays périphériques : elle est aussi devenue plus compétitive que ses voisins immédiats. Entre 1999 et 2008, les coûts unitaires du travail furent stables en Allemagne, alors qu’ils augmentaient en moyenne chaque année de 2 % en France, de 3 % en Italie, de 2,1 % en Belgique et de 2,3 % aux Pays-Bas (selon les estimations de l’OCDE).

Cela s’explique par la puissante compression des salaires réels en Allemagne. Le graphique ci-dessous représente les hausses annuelles des salaires réels en Allemagne (soit par rapport à l’indice des prix à la consommation, soit par rapport au déflateur du PIB) en comparaison avec la productivité du travail. Bien que ces deux séries n’évoluent pas toujours dans le même sens, la divergence entre, d'une part, les salaires réels mesurés relativement au déflateur du PIB et, d'autre part, à la productivité du travail est inhabituelle, car elle implique une modification de la part du revenu du travail.

GRAPHIQUE Les salaires réels et la productivité en Allemagne

Wren-Lewis__Allemagne_productivite_et_salaire_reel.png

Qu’importe la raison expliquant cette compression inhabituelle des salaires, celle-ci se révèle problématique dans une union monétaire si les autres pays ne font pas la même chose. A moins que l’Allemagne soit entrée dans la zone euro à un taux de change qui était fortement non compétitif (il y a de bonnes raisons de douter de cette éventualité) et à moins qu’il y ait eu une détérioration structurelle dans la compétitivité hors-prix de l’Allemagne qui devrait être compensée (ce qui semble peu probable, vu ses larges excédents de comptes courants), alors ces gains de compétitivité doivent être inversés. L’inflation allemande, qui était inférieure à celle du reste de la zone euro, doit nécessairement devenir supérieure à celle-ci pour une certaine période. Ce sont les règles du jeu pour tout pays-membre d’une union monétaire.

Puisque l’Allemagne est l’anomalie, ce sont bien ses actions qui se révèlent problématiques. Je suis habituellement réticent à mélanger macroéconomie et moralité, mais ceux qui suggèrent que ça doit être les autres pays-membres qui doivent s’ajuster vis-à-vis de l’Allemagne se trompent complètement. Même si vous croyez que les salaires réels allemands doivent chuter pour réduire le chômage structurel, l’Allemagne n’a pas le droit d’imposer la même politique aux autres pays-membres. Parce qu’elle a voulu être moins chère que ses voisins, elle doit finir par connaître tôt ou tard une inflation supérieure à la cible de la BCE (par exemple une inflation de 3 % de l’indice des prix à la consommation, ce qui signifie probablement que les salaires nominaux doivent s’accroître de 4, voire 5 %). Si les choses ne se passent pas ainsi, l’Allemagne devra stimuler son économie pour que ce soit tout de même le cas. Malheureusement, pour l’heure, elle fait preuve de l’équivalent du comportement antisocial en union monétaire. »

Simon Wren-Lewis, « Can a country be too competitive? », in Mainly Macro (blog), 13 septembre.